L’accent d’Occitanie figure désormais dans Waze, la célèbre application gratuite de navigation en GPS aux 140 millions d’utilisateurs. Cette innovation est un coup de maître de la filiale de Google. À notre grande surprise, deux figures occitanes de Montpellier, Bruno Cécillon et le chanteur Joanda valident. Seul le conseiller aux langues régionales d’Occitanie se montre plus nuancé.
“Allez ! Tout est dans la malle, on peut partir !” Mardi 31 mai, Waze lançait trois nouvelles voix pour “rendre hommage à nos accents régionaux” – le Toulousain, le Marseillais et le Ch’ti.
On ne présente plus ce GPS communautaire, aujourd’hui profondément ancré dans la vie des Français sur l’ensemble du territoire. La particularité de Waze, ce sont ses voix, beaucoup plus amusantes et moins robotiques que celles de ses concurrents. La version française en compte beaucoup : on a Vanessa, la Française “neutre”, la voix française de Morgan Freeman ou encore la voix du Capitaine Haddock. Ces voix déjà existantes sont enregistrées par des comédiens qui évitent de dire les noms des lieux et se cantonnent à des directions simples. On évite les prononciations “malheureuses” des Parisiens et les mauvaises retranscriptions du bilinguisme régional pratiqué dans les signalétiques locales. Ainsi, les nouveaux Antonin le Toulousain, Mireille, la Marseillaise, et Biloute, le gars du Nord, vous diront simplement “prends la première à gauche” ou “prends la troisième sortie”.
À la rédaction de Lokko, on s’interroge sur l’utilisation à des fins commerciales de ce parler régional. Pour rappel, Waze est entré dans le giron de Google en 2013. À une époque où l’audio est un véritable enjeu de pouvoir, le géant américain a su se positionner mais ses proclamations humanistes ne sont pas totalement convaincantes…
Sous l’impulsion des GAFAM, le GPS, qui était autrefois un outil destiné à informer les conducteurs sur le trafic routier et à offrir des conseils pour éviter les embouteillages, est devenu presque exclusivement populaire pour son contenu ludique. La gamification de l’appli fait prendre le risque aux langues régionales, considérable marqueur identitaire, d’un usage caricatural. Il n’est pas innocent que cette formule du départ pour la voix toulousaine – “Allez ! Tout est dans la malle, on peut partir !” – ramène au temps des calèches…
Sur France Bleu Occitanie, la journaliste Bénédicte Dupont a mis les pieds dans le plat. “C’est juste de la communication ou c’est pour rendre les bouchons plus sympa à Toulouse ?”, a-t-elle demandé à Jérôme Marty, le directeur régional de Waze. À chacun de se faire son opinion. “Notre objectif était que les accents reflètent la diversité du territoire français”, s’est-il défendu auprès de LOKKO, plaidant pour la sincérité de cette initiative.
Joanda : “la caricature, c’est l’accent parisien”
Nous avons interrogé trois défenseurs des langues régionales sur ce point. En leur demandant si ce geste avait, selon eux, quelque chose à voir de manière plus ou moins consciente avec la glottophobie*. N’y a-t-il pas un risque de caricature sous couvert de marketing ?
Chanteur occitan, Joanda (photo) accueille l’initiative “avec bienveillance, mais c’est surtout une nécessité, une obligation linguistique, a-t-il commenté pour LOKKO. “En tant que chanteur occitan, je me retrouve complètement dans un GPS qui parle comme moi. La caricature, c’est cet accent ‘parisien’ qui nous est imposé à travers des outils de ce type (soit dit en passant utiles) et présenté comme la norme, le seul accent. Le plus, ce serait d’avoir les particularités phonétiques locales pour les noms de lieux et de rues pour aller au bout de l’initiative. Quand elles sont prononcées par un Parisien qui essaie de se caler sur notre prononciation c’est là que ça devient caricatural. On le voit bien quand Maps prononce Vendres ou Pézenas par exemple.”
Bruno Cécillon : “c’est plutôt sympathique”
Bruno Cécillon, grand homme du théâtre en occitan et figure de Radio Lenguadoc, approuve aussi : “c’est plutôt sympathique, c’est moins robotique et plus humain : tout le monde a des accents, des façons de parler, il n’existe pas de personnes sans accent, c’est un mythe. Même les Parisiens ont un accent. Le seul cliché c’est de penser que tout le monde parle pareil.”
Quant à Elatiana Razafi, maîtresse de conférences en sociolinguistique à l’Université Toulouse-Jean-Jaurès, elle soutient la démarche, sans oublier pour autant que Waze est une entreprise commerciale. Interrogée pour “20 minutes”, elle explique que “c’est important d’avoir une visibilité des accents, d’être exposés à la diversité linguistique et de la banaliser, c’est aussi un moyen de valoriser ces accents et ces expressions qui sont souvent l’objet de remarques, au mieux amusées, au pire désobligeantes.”
Cela chiffonnerait presque que cette nouvelle fonctionnalité rencontre l’adhésion des Occitanistes les plus engagés, ceux qui font preuve par ailleurs d’un anti-capitalisme assumé. On ne les voyait pas saluer de la sorte le marketing vertueux de l’appli américaine.
Benjamin Assié : “J’invite Waze à prendre contact avec nous”
Conseiller régional délégué aux langues et cultures régionales, Benjamin Assié, est le seul de nos interlocuteurs à avoir un point de vue plus nuancé. “On a un vrai problème avec l’altérité en France. On a une voix uniformisée dans nos institutions, à la télévision, c’est l’accent de la bourgeoisie parisienne, et pour beaucoup de métiers, il est demandé de ‘perdre son accent’. Quand on laisse la place à l’altérité des accents différents de l’accent ‘officiel’, c’est au mieux avec humour au pire avec sarcasme et mépris. Ça veut dire que cet accent c’est bien pour la galéjade mais pas pour la réussite ou l’élévation sociale. Quel message ça envoie aux enfants qui apprennent l’occitan à l’école ? Aux millions de locuteurs actifs du catalan et de l’occitan en Europe ?”
La Région a lancé un plan d’action pour le développement et la promotion des langues régionales. Nos langues régionales, ce sont des façons de parler mais ce sont surtout des héritages, nous a-t-il expliqué en substance. “Dans la région, on élabore des signalétiques sonores en occitan et en catalan dans les trains, les métros… sans pour autant changer de registre de langue. J’invite Waze à prendre contact avec nous pour aller au bout de leur initiative pour ‘refléter la diversité du territoire français’.”
Waze, l’histoire d’un coup de maître
Fin décembre, Waze a organisé un sondage pour ses abonnés pour qu’ils choisissent les nouvelles voix de l’application (ci-dessous). Ces voix ont été ensuite enregistrées par des comédiens locaux, et tout a été testé et approuvé par les “acteurs de carte” (des utilisateurs qui participent quotidiennement à l’enrichissement de l’application, des bêta-testeurs dans le jargon). Les prénoms, les intonations, les expressions, tout a été pré-testé pour refléter de la manière la plus fidèle les accents choisis.
Vous voulez vous faire accompagner par Antonin, le représentant de l’accent toulousain, censé incarner l’accent d’Occitanie ? C’est facile, vous appuyez sur le petit haut-parleur en bas de votre écran puis sur “Voix Waze”. Est-ce qu’on aura bientôt d’autres accents, et pourquoi pas, un Waze en occitan ? Actuellement, Waze prépare une voix en breton… Et en attendant, les Wazers (les utilisateurs de Waze) peuvent enregistrer leurs instructions pour profiter de l’expérience… avé leur propre accent !
* Pour le sociolinguiste Philippe Blanchet qui est à l’origine de ce néologisme, la glottophobie c’est “le mépris, la haine, l’agression, le rejet, l’exclusion, de personnes, discrimination négative effectivement ou prétendument fondés sur le fait de considérer incorrectes, inférieures, mauvaises certaines formes linguistiques usitées par ces personnes, en général en focalisant sur les formes linguistiques”.