Programmation éblouissante pour cette édition 2022 qui s’achève ce week-end, site d’exception qui magnifie la manifestation, équipe brillante autour de Jean Varela : le Printemps des Comédiens excelle mais paraît un peu en difficulté sur le renouvellement de son public.
Le jeudi 16 juin, LOKKO organisait un débat sur “Théâtre et quartiers : pourquoi ça ne matche pas ?” avec Nourdine Bara, dans les locaux d’Uni’Sons. Quand on quitte ces chaleureux combattants de la diversité à la Paillade, se rendre, à un kilomètre à vol d’oiseau, au Printemps des Comédiens projette dans une faille spatio-temporelle. L’homogénéité du public y est frappante. Si on devait lui appliquer les normes du marketing numérique, les personae, on dirait : “enseignant à la retraite”. On sait que le public du théâtre ne fait pas exception aux caractéristiques socioprofessionnelles très marquées dans la fréquentation du spectacle vivant. Pourtant, la proposition du Printemps des Comédiens est tout le contraire d’une offre trop élitiste, trop spécialisée ou intimidante ne concernant qu’un public restreint. Sauf le prix des places : pour voir le Tartuffe de la Comédie française, tout en haut de l’amphi d’O, il fallait payer une quarantaine d’euros. L’ambition artistique a un coût. Des sièges n’ont pas trouvé preneurs. On sent qu’un aggiornamento est à faire. Notamment financier ?
Pour tout le reste, toutes les cases sont cochées. Artistiquement, l’édition 2022 pourrait se résumer ainsi : un voyage en première classe. Les derniers spectacles vus ont tous été épatants notamment “La tentation des pieuvres” de la géniale Maguelone Vidal. Mise en musique raffinée d’un repas partagé pour cent personnes avec une bourride de sèche au menu. Le “Peer Gynt” virevoltant et forain de David Bobée avec la révélation Radouan Leflahi, un acteur étonnant, un fils sans père, élevé par sa mère dans un village de l’Atlas (une exception salutaire de diversité, mais une exception). Ou encore “Prométhée”, fable d’une poésie puissante sur la surdétermination de l’héritage culturel grec sur l’état mental et social du peuple. Une première française pour la troupe de Nikos Karathanos. Première également pour “Los Anos” de Mariano Pensotti : la percutante comédie dystopique d’une Argentine post-moderne où l’on voit simultanément deux temps de la vie d’un homme.
C’est désormais une manifestation majeure à Montpellier qui ne cesse de se renforcer. Une équipe de haut vol s’est constituée, avec notamment Éric Bart à la programmation, ancien directeur de programmation à l’Odéon-Théâtre de l’Europe à Paris – un grand voyageur du théâtre au solide carnet d’adresses – ou encore Marko Rankov, le directeur de production qui vient des Bouffes du Nord.
Son directeur Jean Varela, lui-même, a gagné en puissance. Après avoir littéralement propulsé le deuxième festival de théâtre français (même si la presse nationale s’est faite plus discrète cette année), il a obtenu ce qu’il voulait depuis longtemps : la direction artistique de tout le Domaine d’O sur toute l’année. Il veut en faire “une cité du théâtre”. Ce qui pose la question de l’articulation avec le Centre dramatique national. Un sujet qui a l’air un peu sensible.
Le site du domaine d’O est un atour majeur, unique à Montpellier. Il donne de la magie et du corps à la manifestation. C’est à peu près le seul endroit où les spectateurs peuvent “manger avec Podalydès” sous la pinède se réjouit Jean Varela, qui y cultive un esprit de “famille”, avec un feeling juste avec les journalistes.
Un autre atout distinctif : le travail sur toute la filière. Avec les stages de “Campus” (sur le masque, le multimédia…), avec “Warm Up”, un festival dans le festival qui montre le travail en cours de compagnies émergentes, avec la collaboration intense avec l’ENSAD, l’école nationale supérieure d’art dramatique, c’est un travail depuis l’amont (la création) jusqu’à l’aval (la diffusion) qui se met en place, et croise une bienveillance toute particulière pour les compagnies régionales. Ce genre de cases que les politiques aiment bien voir cocher. Toute une jeunesse de plus en plus visible au festival qui franchira peut-être bientôt le 4e mur ?
Photo à la UNE : Radouan Leflahi dans “Peer Gynt” @Arnaud Bertrereau.