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Replay sur les incroyables voitures des fêtes votives

En Petite Camargue, à Aigues-Mortes et au-delà, l’atmosphère des fêtes votives était galvanisée par la fréquentation du taureau et par les incroyables voitures de fêtes dans les années 60/70, disparues depuis peu. Un ouvrage récemment paru au Diable Vauvert en fait vivre l’épopée, signé Numa Grenan, un Parisien d’origine camarguaise, DJ de la guinguette Rosa Bonheur à Paris, avec la collaboration de Frédéric Saumade, anthropologue, et Eddie Pons, illustrateur.

Il y a des écarts chez Numa Grenan. C’est un drôle de personnage. À 45 ans, il est collaborateur de productions audiovisuelles. Il vit à cheval entre Montpellier et Paris. La vie moderne. Plus insolite : dans la capitale, c’est un DJ fameux, qui anime de sons électroniques le Rosa Bonheur, une guinguette très branchée des soirées dominicales sur les hauteurs des Buttes-Chaumont. Mais quand il revient dans son environnement melgorien (à Mauguio), il replonge dans un univers familial totalement camarguais, découlant de la lignée tutélaire d’un ancêtre gardian.

Numa Grenan est devenu l’initiateur et le co-auteur d’un ouvrage, sous le titre “Voitures de fêtes”.

C’est ainsi que Numa Grenan est devenu l’initiateur et le co-auteur d’un ouvrage, sous le titre “Voitures de fêtes”, récemment paru aux éditions du Diable Vauvert. De quelles fêtes s’agit-il ? Des fêtes votives des villages et petites villes de Petite Camargue. À Aigues-Mortes, à Aimargues, au Cailar, à Lunel ou Vauvert, ces fêtes interminables enchaînent jusqu’à trois week-ends consécutifs, dont une semaine complète entre les deux derniers. Leur démesure tient aussi dans leur atmosphère,  galvanisée par le culte du taureau. Le taureau camarguais, celui qu’on ne tue pas en piste, celui qui meurt de sa belle mort, après avoir coursé, tout furieux d’intelligence animale, les hommes qu’on appelle raseteurs, et qui tentent d’arracher des ficelles et des glands fixés entre leur cornes acérées.

Les fêtes votives : un esprit techno ?

Autour de ces courses camarguaises, très spectaculaires, dont les stars annoncées à l’affiche sont autant les bêtes que les hommes, se décline toute une culture qui tisse le lien entre les champs et le village. Les clubbers montpelliérains, addicts aux discothèques et paillotes des plages, n’imaginent pas, pour la plupart, ces grands rendez-vous juvéniles, à l’ambiance frénétique, à propos desquels Numa Grenan ose un parallèle avec l’univers électronique underground : “Après tout, les vraies tribus nomades de la techno des années 90 venaient poser leurs sons dans les espaces sauvages de Camargue. Quant à nos fêtes votives, elles sont gratuites, dans l’espace libre et se déroulent autant en plein jour que la nuit.”

On arrêtera là cette mise en parallèle, tant on y écoute des fanfares plutôt que des labels londoniens, et on y suce le pastis plutôt que la pastille. N’empêche : la célèbre discothèque de la Chourascaïa, cachée dans les marais d’Aigues-Mortes, a connu bien des nuits où se mêlèrent la verve villageoise et la branchitude urbaine. Maintenant : les voitures. Les fameuses “Voitures de fêtes”, dont Numa Grenan a voulu faire tout un livre (sur la photo, la grande plasticienne Sophie Calle).

De vieux tacots bichonnés

Ces voitures se mirent à pulluler dans les années 60 et 70, quand l’automobile devint un symbole de l’émancipation moderne. Une bande de jeunes, parfois soudés pour être de la même classe d’âge scolaire, se cotise pour mettre la main sur un vieux tacot encore capable de rouler, bichonné par le plus mécano d’entre eux. On découpe le véhicule, on le pourvoit d’un grand plateau, on en renforce le toit, on en décoiffe le coffre, on le repeint, le customise, le couvre de slogans et de bons mots. On s’y hisse, à dix. À quinze. À vingt. Et c’est parti.

Les fameuses “Voitures de fêtes”, dont Numa Grenan a voulu faire tout un livre.

C’est parti par les chemins jusqu’aux champs pour le petit déjeuner, qui n’est déjà pas arrosé que de café au lait, avec la saucisse grillée pour viennoiserie. Vient le moment tant attendu de rentrer au village en cortège. La voiture trouve alors sa valeur stratégique : de tout temps, la jeunesse fêtarde s’est donné pour mission de semer la pagaille, au grand dam des gardians, qui, sur leurs chevaux, tentent d’encadrer en bon ordre les taureaux qui cavalent vers les rues du village et l’arène. Cela peut s’étaler sur des kilomètres, et la voiture pétaradante et sonore, parfois refuge aussi sous l’assaut du taureau, devient le clou de cette cohorte endiablée.

Chaque village en a plusieurs. Si la plupart d’entre elles sont exclusivement masculines, on en connaît des mixtes, et quelques-unes d’exclusivement féminines. Cela peut se terminer en parade à l’arrivée dans l’arène. Les déguisements, la musique, en rajoutent à cette folie pétaradante, dans la poussière soulevée. Quelle valeur y accorder : “Tu ne quittes pas ces amis de toute la journée, on est ensemble, ensemble”, lâche simplement Numa Grenan, sans hésiter un instant. Et la voiture est le totem.

De grandes signatures

Dans l’ouvrage qu’on a à présent sous les yeux, l’anthropologue Frédéric Saumade analyse finement le phénomène. Le fameux dessinateur du monde taurin, Eddie Pons, y va de son humour à croquer, et le non moins fameux journaliste de “Libération”, Jacques Durand, partage aussi ce monde. Numa Grenan développe lui-même son témoignage réfléchi.

600 clichés parvenus

Quant à l’illustration, elle s’érige en monument collectif. Une plateforme fut créée sur Facebook, pour recueillir les documents auprès des Camarguais. Six cents clichés sont parvenus. Deux cents sont reproduits dans l’ouvrage. C’est un grand œuvre de mémoire, abondé aussi par les mairies, les clubs taurins et comités des fêtes, les correspondants de presse villageois, les artisans photographes de bourgades -profession aujourd’hui quasi disparue.

Au reste, les voitures de fêtes ont disparu elles aussi. Elles ont été interdites en 2018, après un accident grave survenu à Aigues-Mortes.

Interdites aujourd’hui

Au reste, les voitures de fêtes ont disparu elles aussi. Elles ont été interdites en 2018, après un accident grave survenu à Aigues-Mortes. Numa Grenan médite : “Là encore, la logique de la sécurité l’aura emporté. Et c’est sans doute très significatif. Les voitures de fêtes avaient prospéré dans une époque ivre de débordements, et de détournement des codes établis.” C’était au temps où des voitures magnifiques, acquises pour une bouchée de pain, pouvaient s’égarer dans d’improbables marais pour tenter de rattraper un taureau échappé. Un monde de fous, à deux pas de Montpellier.

Voitures de fêtes. Numa Grenan, Frédéric Saumade. Préface de Jacques Durand, illustrations de Eddie Pons. Éditions Au Diable Vauvert. 96 pages, 200 documents photographiques. 25€

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