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Réchauffement climatique : le monde culturel bouge lentement en Avignon

La pluie de cendres du 14 juillet sur Avignon, conséquence de l’incendie de Gravezon, a produit un choc au coeur du plus grand festival mondial de théâtre. Un débat du Syndeac l’a montré : le monde culturel tente de réagir après des années de tâtonnement.

“Don’t look up. À quelques kilomètres d’Avignon, un incendie ravage la garrigue asséchée par des mois de canicule et de vagues de chaleur continues."

“Don’t look up. À quelques kilomètres d’Avignon, un incendie ravage la garrigue asséchée par des mois de canicule et de vagues de chaleur continues. Plus de 200 pompiers aux prises avec les flammes, pendant qu’une pluie de cendres s’abat sur les festivaliers sonnés par la canicule du jour. Vertige, colère. La culture doit prendre la mesure de la catastrophe et non y contribuer. La mutation doit être radicale, elle est urgente. Ne prenons pas le risque de nous habituer ni de nous résigner.”

Les mots très forts sur sa page Facebook du Montpelliérain Nicolas Dubourg (en bleu sur la photo), le président du principal syndicat du spectacle vivant en France, donnent le ton (1). Un directeur de théâtre a reçu une cendre dans l’œil, craignant le pire. Des yeux qui piquent, un ciel dantesque : voilà l’ambiance du festival d’Avignon, le 14 juillet. À la Manufacture, la gérante de la buvette craquait littéralement de devoir servir toute la journée des verres d’eau aux spectateurs assoiffés.

En introduction, Olivier Py, qu’on croise souvent sur son vélo dans la ville, a parlé de “la révolution verte” du festival d’Avignon.

80 degrés au Palais des papes

Un débat était organisé le même jour par le Syndeac au cloître Saint-Louis. En introduction, Olivier Py, qu’on croise souvent sur son vélo dans la ville, a parlé de “la révolution verte” du festival d’Avignon qu’il dirige.

Entre les pierres anciennes de la cité provençale, quand le thermomètre est à 40 °C, la réverbération peut faire grimper la température jusqu’à 80 °C en plein soleil, obligeant les techniciens à suspendre leur travail en extérieur. « C’est une conséquence très concrète du bouleversement climatique”, a expliqué Paul Rondin, directeur délégué du festival, dans un entretien au journal « La Croix ». Des mesures ont été prises : “politique zéro déchet, distribution de gourdes consignées, une flotte de bicyclettes, dont des vélos cargos pour transporter du matériel lourd”. Des décors et des costumes recyclés. De l’énergie renouvelable, “avec sept de la vingtaine de lieux du festival, dont la Fabrica, la salle permanente du festival, alimentés en électricité 100 % renouvelable”. Un chantier “titanesque” pour installer des LED (seulement à 10-15 % du parc équipé à ce jour).  

Des résistances

"L'affichage est interdit dans les villes. Mais à Avignon, en période de festival, la mairie édite un arrêté pour l'autoriser."

Une révolution de petits pas qui dit en creux l’ampleur des résistances. Preuve de cette inertie : l’affichage emblématique du festival Off est toujours aussi virulent. « L’affichage est interdit dans les villes. Mais à Avignon, en période de festival, la mairie édite un arrêté pour l’autoriser. On va demander à la mairie de ne plus l’éditer pour mettre fin à l’affichage sauvage », avait indiqué Pierre Beyfette, le patron du Off en 2020. Une nouvelle direction, mise en place depuis, y a renoncé. Même du côté des artistes du In, le festival officiel, l’écologie a peiné à devenir un sujet. “Il a été très difficile ces dernières années de trouver des spectacles qui traitaient de la question écologique. L’édition 2022 marque un changement”, a témoigné Olivier Py lors du débat du Syndeac.

Le secteur au stade de l’audit

La transition écologique dans la culture est un sujet très complexe, systémique, qui engage des mutations tant au niveau des bâtiments, des transports autant que dans les politiques sociales que sur le modèle économique de la culture, dans son versant le plus libéral. Autant dire un saut dans le vide. “Les bascules écologiques n’ont pas encore eu lieu. Les outils en 2022 ne sont pas construits. Il est urgent de se coordonner !”, a souligné à son tour Nicolas Dubourg. C’était déjà le cri d’alarme du Shift Project, think tank de référence au festival montpelliérain Dernier Cri, dont LOKKO a fait un podcast.

Des structures ont réagi assez tôt, comme l’opéra de Lille qui a fait son bilan carbone dès 2009, mais le métier globalement tâtonne. Le syndicat des Forces musicales (opéra, musique classique) a démarré au sortir du confinement “un référentiel de secteur, sorte de boite à outils écologique pour permettre à la profession d’avancer”, a indiqué sa présidente Aline Sam Giao qui dirige aussi l’Orchestre national de Lyon.

Du côté de Lille, aussi, on travaille à ce préalable : “on a adressé un questionnaire à tous les opérateurs culturels de la ville – à 120 entrées – pour estimer le niveau d’écoresponsabilité des structures”, a précisé à son tour Marie-Pierre Brisson, adjointe à la culture de la ville de Lille.

Le numérique, un faux remède 

Joris Mathieu, directeur du Centre dramatique national de Lyon, est revenu sur “cette espèce de miracle du numérique qui permettrait de réintégrer les jeunes qui ont déserté les salles. C’est faux. C’est observé nulle part”. Sur la diminution de l’empreinte carbone grâce à la culture à domicile : “La pollution numérique est croissante. C’est la future grande pollution. Pour nous, il est essentiel de maintenir, en salle, un endroit de la rencontre et du partage.”

Des initiatives

Derrière les remparts d’Avignon : un projet innovant, la Scierie, a vu le jour en 2018. Unique. Une ancienne scierie historique devenu tiers-lieu culturel et solidaire qui regroupe une société coopérative d’autopartage, un magasin d’alimentation du réseau Biocoop, et le “premier data center 100% vert, local, à hydrogène”. Ce nouveau lieu du festival d’Avignon, animé par la montpelliéraine Mathilde Gautry, est également “le site de préfiguration d’Écobio, projet d’éco-îlot bio-sourcé, lauréat d’un Plan d’Investissement d’Avenir, porté par l’ADEME«  (2).

Un peu partout, les festivals tentent un virage mais le soupçon de greenwashing est là. Même la tournée actuelle du groupe pop-rock britannique Coldplay se dit éco-responsable…

À Montpellier, des proclamations écologiques ont également surgi dans l’offre festivalière, en particulier pour le Brunch Elektronik qui a eu lieu le 10 juillet et encore davantage pour Palmarosa, un nouveau festival programmé le 20 août qui annonce “un festival vert favorisant les circuits courts ainsi que le tissu économique et associatif local, une scénographie végétale et écologique, une valorisation de la nature”. Il paraît nécessaire d’établir des critères dans ce domaine pour maîtriser l’éventuel ripolinage opportuniste. Actuellement, dans la région, les experts ne reconnaissent que le très ancien et très engagé festival de Thau qui figure dans la carte de référence des festivals écolos en France établie par Vert, le média qui annonce la couleur

Premier accusé : le transport

Reste la question du transport, la plus compliquée. C’est la part la plus importante de l’empreinte carbone du festival d’Avignon avec des spectateurs qui s’y déplacent massivement en voiture et des artistes venus du monde entier en avion…

Initiative singulière : L’Aéronef de Lille, dont le bilan carbone est constitué à 60% par les déplacements de son public (davantage que par les voyages en avion de ses artistes invités), a lancé une plate-forme de “covoiturage”, de “copédalage” et “copiétonnage”.

… et le productivisme culturel

L’épineuse question est le corollaire du productivisme culturel, exacerbé par un élan de rattrapage assez spectaculaire après l’arrêt forcé du Covid. L’arrosage massif des spectateurs du colossal Hellfest, dans une région – la Loire Atlantique – ravagée par la sécheresse, a choqué. Symbole du productivisme culturel, le festival d’Avignon, le plus grand marché du spectacle vivant en France, qui vend 100 000 billets seulement dans le In, peut-il renoncer à son gigantisme ?

(1) Syndeac, syndicat National Des Entreprises Artistiques Et Culturelles, qui représente plus de 400 institutions, parmi lesquelles la grande majorité sont des structures subventionnées.

(2) Les matériaux biosourcés sont issus de la matière organique renouvelable (biomasse), d’origine végétale ou animale.

Le grand débat — Mettre en œuvre la transition écologique dans le spectacle vivant rencontre professionnelle | Festival d’Avignon (festival-avignon.com)

Photos de haut en bas, @LOKKO, @Nicolas Dubourg, @Syndeac, @Festival Off d’Avignon, @La Scierie, @France Bleu.

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