Marianne Crebassa n’est pas seulement l’enfant du pays comme sur-souligné par les médias, c’est surtout une chanteuse d’exception, à la carrière internationale, prête désormais pour les grands rôles. Ses deux prestations ont été des moments marquants du festival Radio France 2022.
Les fées qui se sont penchées sur le berceau de Marianne Crebassa ne furent guère avares : une beauté radieuse, une chevelure de publicité capillaire, une présence scénique incroyable mais surtout une voix d’exception qui en quelques années l’a propulsée sur les grandes scènes internationales. Révélée au Festival de Radio France par un René Koering découvreur de nouveaux talents (*), elle y revient en guest-star pour deux spectacles différents. D’abord “Sea Pictures” d’Edward Elgar avec l’Orchestre National de France le 21 juillet dernier à l’Opéra Berlioz, dont elle a proposé une version subtile, accompagnée par l’orchestre national de France, dans un “seul en scène” très applaudi (ci-dessous) puis un récital le 26 juillet.
On l’a connue garçonne et fine comme une liane dans “Les Noces de Figaro” où elle incarnait un Cherubino mutin et attachant, la voici toute ronde, magnifiquement enceinte et épanouie sur la scène de l’Opéra Comédie, pour ce récital dont la plupart des mélodies figurent dans son album “Seguedilles” paru en 2021 chez Warner Classics.
Accompagnée au piano par Alphonse Cemin avec une complicité déjà ancienne, elle offre une invitation au voyage, un retour aux sources ibériques de sa famille, originaire d’Alicante et de Valencia. Son grand-père maternel, viticulteur dans l’Hérault, gagnait des concours de chant amateurs. “Je n’ai pas connu mes grands-parents espagnols, déclarait-elle en 2021 sur France Musique, à l’occasion de la sortie du disque, on ne parlait pas espagnol à la maison mais le choix de ce répertoire était une évidence comme un voyage aux sources familiales, une façon d’incarner une forme de transmission.”
De Massenet à Debussy, en passant par Ravel ou le catalan Monpou, force est de constater que sa voix transcende cette musique du vingtième siècle pas toujours dénuée de mièvrerie. L’accompagnement au piano est souvent moins efficace que la guitare et personnellement, j’ai un faible pour la version des “Nuits d’Espagne” de Massenet où elle est accompagnée par le guitariste Thibaud Garcia. La voix est là, la technique irréprochable, la joliesse sans conteste mais on reste un peu sur sa faim comme si une sorte de retenue empêchait l’émotion de surgir.
Sans aucun doute le timbre incroyable de Crebassa, ses graves proches d’un timbre de contre alto, son haut médium si riche, incroyablement large, créent une pâte qui sied à la perfection aux rôles plus dramatiques. Son “vivan los que rien” (longue vie à ceux qui rient) extrait de “La vie brève” de Manuel de Falla fait surgir la sensualité d’un timbre parfaitement projeté, émouvant et ciselé. La deuxième heureuse surprise est “La seguedilla” de Carmen qu’elle interprète avec beaucoup de profondeur et de mystère ! D’ailleurs elle a déjà expliqué qu’elle se voyait dans une Carmen plus chic, plus intuitive avec une vraie nature profonde, loin de la vulgarité qu’on lui associe parfois.
Une évidence pour le public festivalier : une chanteuse prête pour de grands rôles, visiblement heureuse de ce retour au pays et de la visibilité offerte par la programmation du cru 2022 du Festival Radio France.
(*) Tout a commencé par une simple audition au Conservatoire de Montpellier. Marianne Crebassa, qui habite à Agde (elle est née à Béziers en 1986) accompagne une amie. Elle décide de tenter sa chance elle aussi. Dès les premières notes, le jury est bouche bée. Dans ce jury : René Koering, le fondateur du festival Radio-France. Premier baptême en 2008 à l’opéra de Montpellier, alors qu’elle étudie la musicologie en parallèle à la faculté Paul Valéry, dans “Manfred” de Schumann avec Hervé Niquet. Puis ce sera un fameux concert en 2010 du festival Radio France où l’on découvre une jeune chanteuse à la voix rare dans l’opéra “Wuthering Heights” de Bernard Herrmann. Elle y interprétait Isabel Linton, l’épouse méprisée d’Heathcliff, l’infernal amant de Cathy, d’après le célèbre roman d’Emily Brontë. Au début de l’acte III, elle s’était levée pour jouer au piano une mélodie langoureuse et triste, avec la même aisance qu’au chant.
Une carrière fulgurante commence qui la mène à l’atelier lyrique de l’Opéra de Paris puis aux plus grandes scènes mondiales, de la Scala de Milan au festival de Salzbourg. Juste avant le festival, elle participait au puissant spectacle, dans le stade de Vitrolles, de Roméo Castellucci – à partir de la symphonie “Résurrection” de Gustav Mahler – au festival d’Aix-en-Provence.
On peut écouter cette courte interview de Marianne Crebassa à France Musique avant le concert du 21 juillet, ici (elle n’a, hélas, pas accordé d’entretiens à la presse locale). Où elle annonce préparer un rôle dans lequel on l’attend : “Carmen” de Bizet.
Photos Marc Ginot.