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Au festival Arabesques, des artistes furieusement libres

Séquence anti-conformiste au festival Arabesques ce dimanche avec les Kabareh Cheikhats, des hommes qui transmettent un répertoire traditionnel féminin, ensuite une historienne différente de l’Algérie : Malika Rahal et l’humoriste Djamil Le Shlag (photo) qui parle de l’Islam avec une liberté inouïe.

« Vous êtes-vous déjà connectés à votre féminité ?« 

L’affiche ce dimanche à Arabesques, tranchait avec le classicisme de la veille (le grand Marcel Khalifé a impressionné) : des propositions inédites, iconoclastes qui ont largement tenu leurs promesses. « Vous êtes-vous déjà connectés à votre féminité ? » : les débuts du leader du groupe Kabareh Cheikhats dans cette adresse aux hommes de la salle, pleine, du théâtre Jean-Claude Carrière ont été d’emblée percutants. En une phrase, l’équation est posée. Dans une culture arabo-musulmane qu’on sait pudique, et surtout encore très genrée, ces 4 chanteurs et 4 musiciens habillés en femmes (sauf un qui a tenu à garder son costume et sa chéchia) portent avec énergie et humour leur provocation.

Séquence anti-conformiste au festival Arabesques ce dimanche avec les Kabareh Cheikhats, des hommes qui transmettent un répertoire traditionnel féminin.

« Est-ce qu’on vous a déjà traitées de cheikats ? » demande-t-il ensuite aux femmes du public. Les cheikhats sont des femmes à la mauvaise réputation, libres, sans hommes : leurs chants constituent un patrimoine exceptionnel, hélas, « en voie d’extinction ». « Il en resterait une petite centaine seulement au Maroc », nous précise Habid Dechraoui, le directeur du festival. Ce concert leur rend hommage jusque dans les tenues. On ne dirait pas que les djellabas sont de celles que portent les résidentes chics des riads de Marrakech et les perruques sont assez improbables, à l’image de ces femmes populaires aussi audacieuses que rugueuses, à la langue bien pendue. Il y a cette cheikhat qui chantait en 1930 pour les jeunes assassinés par le Charles Mangin, général de l’armée d’Afrique, et réclamait qu’on fasse de la place aux femmes. En 1930 ! Une autre évoque la mythique Simca, dans les années 70. C’est politique, drôle et terriblement festif. Les Kabareh Cheikhats de Casablanca ont mis le feu au théâtre Jean-Claude Carrière, ça dansait partout, même sur les sièges, équipe organisatrice comprise. Premier coup de cœur !

« Les Algériens ne veulent pas d’excuses« 

Arabesques fait place à l’intelligence vivifiante de l’historienne toulousaine Malika Rahal, sous le chapiteau, avec la librairie La Cavale (débat animé par Fadilha Benammar-Koly).

À la suite de quoi, place à l’intelligence vivifiante de l’historienne toulousaine Malika Rahal, sous le chapiteau, avec la librairie La Cavale (débat animé par Fadilha Benammar-Koly). Née à Toulouse, chargée de recherche à l’Institut d’Histoire du Temps Présent (IHTP), elle a publié un livre qui a connu un certain retentissement : « Algérie 1962 – Une histoire populaire » (La Découverte). Et vient de recevoir le prestigieux prix des Rendez-vous de l’histoire de Blois. À partir de multiples archives et de rencontres avec 80 familles, elle a reconstitué une histoire des vies ordinaires prises dans la grande Histoire. Elle raconte par exemple l’immense marché aux puces d’Oran après le départ des Français. En Algérie, où l’on voit encore des armoires normandes chez les antiquaires, les objets parlent. Cette chronique des vies minuscules apporte un éclairage nouveau sur ce qu’on a appelé « les biens vacants ». Au passage, Malika Rahal a tordu le cou au mythe de la repentance. « Les Algériens que j’ai rencontrés ne veulent pas des excuses. On attribue à ce peuple des questions qui ne sont pas ses questions. Les Algériens veulent juste la vérité ». À lire !

« Les Marocains, vous avez colonisé Montpellier ou quoi ?« 

« Oulala, le public d’Arabesques ! On dirait que le grand remplacement a commencé ! » En fin de journée, c’est une rock-star de l’humour, Djamil Le Schlag, qui a déboulé avec du gros son et des spots rouges au sol sur la scène du théâtre Jean-Claude Carrière, affichant « complet ». Auvergnat d’origine marocaine, titulaire d’un poste envié d’amuseur sur France Inter, il use jusqu’à la corde de son privilège d’humoriste. Djamil Le Schlag, ça claque. Même au Jamel Comedy Club, a-t-on déjà vu un humoriste faire dire « Allah Akbar » à la salle en chœur, pour contester son appropriation par les islamistes ? Osant tout, jouissant ouvertement de son jeu avec les limites, ce surdoué de la punchline se dit musulman mais reproche aux Arabes leur langue « trop agressive ». Soupçonne ses parents – mère voilée, père barbu – de donner « des signes de radicalisation ». S’indigne qu’un pharmacien du Plan Cabanes à Montpellier l’ait salué par un « Salam Aleykoum ». En adoptant un point de vue de « blanc » (né à Vichy) quand il raconte le voyage annuel au bled ou les séances traumatisantes avec des vieilles femmes poilues au hammam quand il avait 5 ans…

"Oulala, le public d’Arabesques ! On dirait que le grand remplacement a commencé !" lance la rock-star de l’humour, Djamil Le Schlag.

Un redoutable spécimen de ce qu’il appelle lui-même la « schizophrénie identitaire ». Djamil Le Shlag a vécu à Montpellier. Son récit d’ancien étudiant en sociologie à Paul Valéry qui a vécu un enfer aux urgences de l’hôpital Lapeyronie pour une entorse, acheté ses Reebok au marché de la Paillade, était le bonus d’un one man show décoiffant. Djamil Le Shlag a battu à Montpellier son record de spectateurs : 580 personnes. Un autre coup de cœur !

C’est vraiment réjouissant, et exemplaire, de voir une communauté partageant, dans des rires puissants, sa propre mise à distance et de vivre cette catharsis au sein d’un public aussi idéalement diversifié. Pas du tout donneur de leçon, le festival Arabesques fait confiance aux artistes pour que se produise ce genre de progrès par l’humour, la danse ou la musique. Il a bien raison.

Le festival continue cette semaine, voir ici. Photos Luc Jennepin.

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