Selon un sondage récent pour le compte de l’ONG Amnesty International, 48 % des Français considèrent comme « improbable » le fait de regarder au moins un match de la Coupe du monde de football qui démarre en novembre prochain au Qatar. Les prises de position courageuses de l’acteur Vincent Lindon et de l’ancien footballeur Éric Cantona (*) ont contribué à déclencher une tardive prise de conscience.
LOKKO a sollicité une trentaine de personnalités montpelliéraines. 16 ont répondu. Se dégage une majorité écrasante d’appel au boycott mais quelques voix font entendre une autre musique…
Contributions réunies par Valérie Hernandez, Jean-Philippe Vallespir, Virginie Bardou, Clara Mure.
Notre méthode est très empirique : nous avons repris les articles récents de LOKKO, avec des visages, des sujets, qui constituent une sorte de communauté naturelle de nos curiosités journalistiques. Et puis nous avons ajouté des élus : ils ne sont pas la population la plus visible dans LOKKO, mais les solliciter s’imposait.
Une enquête soumise toutefois à l’aléa des silences choisis notamment dans le monde du sport : Mohed Altrad, chef d’entreprise et président du MHR, le club de rugby de Montpellier, a décliné. Pour le football, nous attendons la position de Laurent Nicollin, le président du MHSC que nous ajouterons à notre panel, le cas échéant.
On a tenu un principe : celui de la parité femmes et hommes. Enfin, une quinzaine de personnes n’ont pas répondu. C’est leur droit le plus strict en tant que personnalités de la société civile. Mais ça l’est un peu moins pour des élus comme Patrick Vignal, le député Renaissance, ou encore Alenka Doulain, conseillère municipale d’opposition qui a choisi de « passer son tour ». Et aussi Philippe Saurel, l’ancien maire.
Hélène Jayet : « 3 mégatonnes de CO2 d’empreinte carbone »
Il m’arrive de regarder les matchs de football, même si ça étonne mon entourage. Cette fois-ci, je ne pourrai(s) pas. Il y a déjà longtemps que le financement et le sponsoring du football par certaines marques me choquent et me questionnent. En 2016, les travaux au Brésil pour les JO m’avaient scandalisée avec expulsions et destruction des favelas et la flambée immobilière au nom de l’exploit sportif… Mais au Qatar, cela va encore plus loin. L’exploitation humaine de ces migrants d’Inde, d’Iran, du Pakistan, d’Irak, du Népal, du Bangladesh et du Sri Lanka n’est pas sans rappeler la longue histoire de la traite esclavagiste que je questionne dans mon travail de plasticienne. L’histoire se répète. Les statistiques officielles du Qatar indiquent que plus de 15 021 personnes non qataries sont mortes entre 2010 et 2019. Mais, sans enquête, les données sur les causes des décès ne sont pas fiables, selon Amnesty International. Le coût humain est très lourd, l’impact écologique aussi. Cette coupe du monde est une aberration, une décision incompatible avec les urgences climatiques. L’empreinte carbone de cette édition : environ 3 mégatonnes de CO2…
Artiste visuelle.
Michaël Delafosse : « Jamais ce pays n’aurait dû avoir la coupe du monde«
Le choix du Qatar, c’est absolument un non-sens sur le plan sportif. Jamais ce pays n’aurait dû avoir la coupe du monde. Ce n’est pas un pays qui a une tradition de football comme la France et d’autres, dans lesquels beaucoup de jeunes jouent et vivent le football. Cette coupe du monde est un scandale écologique, et sur le plan humain, cela a été exécrable, il y a eu des conditions de travail épouvantables. Et en plus, il apparaît que ce choix (du Qatar) a été guidé par la corruption. Donc, je n’ai aucune sympathie, et n’apporte aucun soutien à ce Mondial. Jamais on n’aurait dû se poser ces questions. Maintenant, c’est en conscience que l’équipe de France y va. J’espère que dans quatre ans, le football sera une grande fête. Là, franchement, ce sport ne montre pas sa meilleure image. Et ce serait un geste fort de la boycotter. À un moment donné, il faut savoir dire les choses. Là, nous sommes aux antipodes des valeurs que porte le football.
Maire de Montpellier et président de Montpellier Méditerranée Métropole.
Anne Bourrel : « Un miroir tendu vers l’Occident«
C’est un peu tard pour crier maintenant que tout est fabriqué, que des ouvriers ont perdu la vie dans des chantiers pharaoniques mais boycotter pourrait au moins servir à jeter l’éclairage sur un pays que nous les Européens nous connaissons mal. Au Qatar, où les températures vont facilement au-delà des 45 degrés, tout est climatisé, pas seulement les stades mais aussi les centres commerciaux, les entreprises, les maisons privées. Les Qataris sont servis par une population immigrée sous-payée, souvent pakistanaise, vivant entassée dans des immeubles aux façades impeccables. C’est un pays dont le modèle économique a longtemps été basé sur le pétrole, qui cherche depuis deux décennies d’autres moyens d’exister et qui construit lentement son identité, en prenant, il me semble, les pires chemins du capitalisme. Le Qatar finalement, les Émirats arabes unis aussi, c’est un miroir tendu vers l’Occident. On peut s’y voir nous-mêmes en version XXL, déformés et grimaçants.
Écrivain, dernier livre paru : « Le Dernier invité » (La Manufacture de livres).
Sonia Chalbi : « Oui pour des raisons éthiques et politiques«
Oui absolument pour des raisons éthiques et politiques. En ces temps de crise énergétique sans précédent, il est devenu indécent voire obscène de voir cette débauche de climatisation et les remarques totalement déplacées des principaux intéressés sur les chars à voile. Et surtout c’est un pays dans lesquels les droits humains sont régulièrement bafoués, où la charia est appliquée et qui n’a jamais réussi à convaincre la communauté internationale qu’il ne finançait pas le terrorisme. Y-a-t-il besoin d’autres raisons ?!
Animatrice d’ateliers d’écriture (Papiers de soi).
Mitia Fedotenko : « Boycotter c’est penser à nos enfants !«
L’état du Quatar viole des droits de l’homme, participe au financement du terrorisme mondial, montre son non-respect pour l’environnement, ne s’intéresse au monde que par le prisme du bénéfice financier pour que l’argent produise de l’argent. Et tout cela alors que les gens meurent de faim à chaque coin de rue, qu’il y a des guerres dans chaque coin de la planète, que la crise économique frappe à nos portes, que la crise énergétique nous attend cet hiver, et que la crise écologique est déjà là. Boycotter le championnat de gaspillage d’argent, c’est être un citoyen du Monde et penser à Demain, penser à nos enfants, penser à notre planète !
Chorégraphe, organisateur de dansePlatForma, un festival réunissant artistes russes et ukrainiens qui aura lieu à Montpellier en janvier 2023.
Joanda : « Pour les JO 2024, Paris osera-t-elle la décroissance ?«
Nous sommes devant une course à la croissance alors que notre planète vit déjà à crédit. Le progrès et la croissance sont deux choses différentes. Au Qatar, il n’y a aucun signe de progrès lorsqu’on œuvre pour la climatisation à ciel ouvert ou lorsqu’on érige de toute pièce en plein désert une nouvelle ville, « Lusail », de 250 000 habitants ou encore lorsqu’on construit des hôtels ou des aéroports pour le football. Nous sommes dans une course à la croissance qui précipite l’Homme vers le degré zéro de la réflexion. Au Qatar, il y a ceux qui verront une vitrine du foot et les autres qui comprendront les dérives d’un monde qui se perd dans une société consumériste prête à tout pour mieux vendre des McDo, Nike ou autre Toyota. Nous connaissons déjà les deux finalistes de ce mondial : Doha contre son voisin Dubaï, arbitrés par la Fifa. Ce ne sera de toute façon pas la victoire de la bio-économie. Et pour l’organisation de ses Jeux Olympiques en 2024, Paris osera-t-elle le pari de la décroissance ?
Chanteur occitan, dernier disque sorti « 1000 ans ».
Fadelha Benammar-Koly : « Que cela nous serve de leçon«
Un non-sens écologique décidé par des dépositaires de la confiance des citoyens. Boycotter n’est pas suffisant, ou arrive trop tard. On boycotte quelque chose qui existe. Il aurait fallu se mobiliser (et je m’inclus) bien avant, au moment de la décision de faire ce championnat et pousser au déplacement de cette manifestation dans un pays plus « éco-logique ». Le mal est fait en grande partie, les infrastructures hors de prix et tout le reste… Que cela nous serve de leçon pour les prochains événements de ce type.
Présidente de la commission des relations internationales région Occitanie / Vice-présidente au Tourisme et au Musée en Lodévois et Larzac / Présidente d’Unisons.
Coralie Mantion : « Honte à la FIFA ! »
Triplement oui ! Amoureuse du football, je ne regarderai pas cette coupe du monde entachée de sang. Organisée dans un pays soupçonné de financer l’islamisme radical, avec un code pénal qui prévoit la lapidation des femmes, cet événement est un scandale. Une aberration humaine avec 6500 morts sur les chantiers depuis l’attribution en 2010. Une aberration écologique, avec des chaleurs telles qu’il faut climatiser les stades ! Honte à la FIFA d’avoir privilégier les strass et paillettes du Qatar. Une FIFA déconnectée du monde.
Architecte, élue écologiste, Vice-présidente à l’Aménagement durable du territoire de la métropole de Montpellier.
Zita Chelvi-Sandin : « Une absurdité écologique »
J’aime le foot, j’adore cette ambiance « coupe du monde » avec la ferveur des supporters, l’émotion et la joie après chaque but (de l’équipe de France, ça va de soi…). Mais cette année, je ne prendrai aucun plaisir à regarder ce championnat au prix de milliers de vies humaines, de non-respect des droits humains, à l’heure ou le climat est notre principale préoccupation, cette absurdité écologique. Je n’ai pas de poids, je suis simple citoyenne. C’est mon humble choix et avis.
DJ, conseillère départementale de l’Hérault, canton Montpellier 5.
Jean de Laguionie : « Je plaide coupable«
Le seul reproche qu’on pourrait nous faire – à nous qui nous opposons et appelons au boycott – c’est de nous réveiller bien tard. Je plaide même parfaitement coupable. Je me rappelle pourtant qu’à l’annonce de ce choix, je l’avais trouvé aberrant mais j’avoue aussi qu’après la chose avait quitté mon esprit. Comme il me semble loin désormais le temps où avec mes frères et camarades de lycée, nous jetions nos cartables aussitôt que le car scolaire nous jetait sur le pavé après les cours. Et que nous courions alors ventre à terre en direction du stade situé au bout de la rue. Je rends grâce à Vincent Lindon d’avoir tout dit – du moins l’essentiel – sur cette Coupe du monde. En un mot : obscène. J’ai relayé sur ma page perso Facebook le propos de l’ex Montpelliérain désormais comédien et joueur d’anthologie Éric Cantona. Qui complétait bien les propos de l’acteur Vincent se refusant à être le lindon de cette sinistre farce. Et mon compteur a explosé comme jamais : 2150 « likes » à ce jour !
Responsable de La Maison 2 La Chanson.
Fatma Nakib : « L’appât du gain supplante tout le reste »
Rafraîchir des lieux ouverts est une ineptie. Je goûtais déjà peu aux grands raouts commerciaux de la FIFA, son système inégalitaire pour les femmes, mais là je suis choquée de l’aberration écologique que cette coupe du monde 2022 représente. Je n’ai rien contre les joueurs et joueuses, mais là trop, c’est trop. Les organisateurs et financeurs n’en ont-ils aucune conscience ? Si, bien sûr. Il est évident qu’ici l’appât du gain supplante tout le reste et particulièrement le climat.
Élue écologiste à la Ville de Montpellier, chargée de l’égalité et des droits des femmes.
Célia : « La fin de l’abondance ? »
« C’est la fin de l’abondance » selon notre cher président de la République. Comment pouvons-nous cautionner alors cette hérésie de vouloir climatiser des stades à ciel ouvert ? Il y a plus de 200 ans, nous avons écrit les Droits de l’Homme : « Liberté, Égalité , Fraternité ». Comment pouvons-nous cautionner alors un pays qui bafoue les droits humains ? Un pays qui exploite des travailleurs migrants ? Un pays où la femme n’est rien sans parler des personnes LGBTQ+ ? Nous n’avons jamais été concertés sur le choix du lieu de cette coupe du monde donc que pouvons-nous faire ? Quel est notre levier de contestation ? Nous ne pouvons que boycotter ! Et puis comme personne ne s’y rendra en char à voile, raison de plus pour boycotter !
Instagrammeuse, archéologue reconvertie dans l’IT.
Julien Bouffier : « C’est l’enfant qui est en moi qui regarde«
C’est compliqué mais mon sentiment bouge au fur et à mesure que la machine avance. Je suis vraiment un fondu de football qui coche à l’avance les matches sur mon calendrier pour ne pas sortir ces soirs-là. Voire même des écrans traînent en régie pendant les spectacles donc oui, c’est compliqué. Mais dans tous les cas, ce ne peut être la même fête populaire. Ce ne doit pas. Alors oui, c’est trop tard. Est-ce un argument devant la construction indigne de ces stades ? L’aberration de ces stades climatisés… Mais c’est ce modèle économique poussé à sa démesure et qui agit 365 jours par an que j’accepte, en regardant jouer des gens qui gagnent en un mois ce que peut être je gagnerai en dizaines d’années. Et en même temps, c’est l’enfant qui est en moi qui les regarde. Alors est-ce que l’enfant doit rester naïf ? Probablement pas. Il est certain que pour moi – l’enfant qui mangeait des sandwiches au Nesquik quand il allait voir avec son grand frère des matches au Parc des Princes – j’aurais honte de la joie pure.
Metteur en scène, sa dernière pièce « Dans la foule » évoquait le drame du Heysel.
Gérald Chanques : « Si on boycotte le Quatar, il faut être cohérent avec le reste«
Je vous réponds du stade, cela fait des années que j’amène mon fiston au foot partout le week-end, qu’on partage ce sport fantastique en suivant des joueurs, des équipes, qu’on parle stratégie et arbitrage. Je crois qu’il sera difficile pour un amateur de boycotter complètement ce mondial, tout comme notre Ligue 1 où les salaires interrogent pourtant le fonctionnement de la société (1 lit sur 4 fermé au CHU cet été car les soignants ne veulent plus faire ce métier qui demande tant de sacrifices). Et puis je vous réponds avec ce smartphone qui utilise des terres rares dont le commerce suscite les pires atrocités. Si on boycotte le Quatar, il faut être cohérent avec le reste. C’est louable d’en discuter et je respecterai le choix de chacun.e.
Professeur au département d’Anesthésie-Réanimation du CHU de Montpellier.
Hubert Vialatte : « Le Qatar est propriétaire du PSG depuis plus de dix ans…«
En tant que mordu de foot depuis que j’ai 7 ans, je ne boycotterai pas la Coupe du monde au Qatar à la télé. Impossible de rater cet événement ! La magie du coup d’envoi du match d’ouverture, lorsqu’on se dit, entre amis et en famille : « C’est parti… » Voilà pour le côté émotionnel. Sur un plan politique, je rappellerai que la Qatar est propriétaire du Paris-Saint-Germain depuis plus de dix ans. Personne en France n’a appelé au boycott du PSG. On peut pourtant considérer que le PSG fait partie d’une forme de souveraineté nationale. Ce débat n’est même pas posé par les médias. Sûrement que les milliards des pétrodollars font vivre beaucoup de monde et achètent le silence. Sur le plan idéologique, je n’aime guère que l’on m’ordonne sur quel thème je devrais m’indigner. Comme tout citoyen, je suis libre. Et j’ai tendance à fuir cette mode des indignations collectives, ostensibles, téléguidées et un peu faciles, à travers lesquelles on s’achète une conscience à bon prix avant le week-end. Par ailleurs, des coupes du monde ont déjà eu lieu dans des pays peu recommandables : l’Argentine de la junte militaire en 1978, la Russie, plus récemment, en 2018. Oui, des milliers d’ouvriers migrants sont morts au Qatar dans la construction des stades, sur fond d’esclavagisme moyenâgeux. Bien sûr, faire une coupe du monde en plein désert dans des stades climatisées est une hérésie environnementale. Pour ces raisons, même si on m’invite tous frais payés pour assister à la finale, et que la France la joue, je n’irai pas.
Journaliste, directeur de l’agence HV.
Hamza Aarab : « Les mêmes, je ne les ai pas autant entendus pour la Chine et ses jeux »
On ne m’a jamais demandé de boycotter la coupe du monde au Brésil ! Pas plus celle des États-Unis et ses milliers de morts lors de la guerre d’Irak peu avant. Les mêmes qui appellent au boycott, je ne les ai pas autant entendus pour la Chine et ses Jeux. Je ne crois pas que ce boycott, pas plus cette fois-ci, soit le fruit d’une empathie pour les victimes. Victimes qui le disputent à la climatisation dans les débats. Dans la balance, pas sûr que les 6500 morts l’emportent tant le cynisme a noirci les cœurs. Aujourd’hui encore, des pauvres gens travaillent sur des chantiers dans les mêmes conditions. Qui pour défendre ces gens-là, qui pour protéger les vivants ? Qu’ils boycottent les Smartphones, qu’ils gagnent en cohérence, ça donnera plus de force aux bonnes causes ! Puis Paris, les Jeux, la gentrification qui va repousser les pauvres le plus loin possible, ça dérange qui ? Se liguer contre le Qatar pour exprimer son indignation, il est évident que ça ne coûte pas cher, ni à la conscience, et cela sans réveiller les contradictions, celles qui nous impliquent tous. Alors on y va franchement ! En général, le foot business me dégoûte, c’est l’opium du peuple. Mais je refuse de suivre cette culture de l’emballage, de la posture. La télécommande en main, ce sera moi et ma conscience.
Président du MMF, Montpellier Méditerranée Futsal.
(*) L’ancien joueur de football Éric Cantona est le président du jury, aux côtés de sa compagne, Rachida Brakni, du festival du cinéma méditerranéen qui a lieu du 21 au 29 octobre à Montpellier.
De haut en bas et de gauche à droite sur la photo : Anne Bourrel, Joanda, Coralie Mantion, Michaël Delafosse, Mitia Fedotenko, Fatma Nakib, Gérald Chanques, Célia, Hubert Vialatte, Zita Chelvi-Sandin, Julien Bouffier, Fadelha Benammar-Koly, Sonia Chalbi, Hélène Jayet, Jean de Laguionie, Hamza Arab.