Suite à une bavure policière, une banlieue s’enflamme et provoque une guerre civile en France. Encensé par Médiapart et le rappeur Jay Z, « Athena », le film de Romain Gavras, divise la critique et suscite un malaise dans les « quartiers » (*). Esthétisation irresponsable du mal-être des banlieues ? Le point de vue de l’écrivain Soufyan Heutte.
Dernier livre paru : « Mektoub ! » (Domens)
Sans vouloir dire ce qui fût dit, sans vouloir tirer sur l’ambulance, sans vouloir crier avec les loups, j’ai vu « Athena » et je me dois d’apporter ma pierre à l’édifice de la critique. Si je le fais, ce sera avec mon regard d’auteur (« Mes poings sur les I » et « Mektoub ! »). D’écrivain qui décrit, en vain apparemment, un univers urbain qui rejoint celui du film. La cité, ma cité, celle que je vis, que je vois, que ma plume dépeint.
La touche documentaire
Ceci étant dit et avant de commencer, quelques détails. Rien d’important mais le diable s’y cache dit-on. Premier gros plan (et pas le dernier) sur le frère militaire. Béret rouge du RPIMA et fourreau d’épaule de l’armée de l’air. Direct, ça m’a sorti du film. En arrière-plan, l’avocat de la famille, devine-t-on, Yassine Bouzrou. célèbre réel avocat de famille de victimes de violences policières. Je trouve ce mélange des genres dérangeant. De plus en plus de militants apparaissent dans des films de type sociaux. Sorte de cachets « street cred ».
Pour finir sur les premières minutes du film : l’attaque du commissariat, totalement irréaliste. Mais ce n’est pas le pire. La meute de jeunes encagoulés ne porte pas de gants. Sont-ils assez débiles pour tartiner les portes du commico de leurs empreintes d’éphèbes (ah oui, ils sont filmés sous un certain regard qui les sexualise – « sensualise » plutôt) ?
Des hurlements plus que des dialogues
Au tour du film ou plutôt de l’enchaînement de plans séquences. Un film quasi muet où les hurlements représentent plus de la moitié des sons émis. La sauvagerie primaire des jeunes de banlieue en est décuplée. D’autant qu’en face, les policiers sont stoïques, absorbent cette violence sans y céder à leur tour. Jamais, ils ne tireront de coup de feu. Même en légitime défense. Irréaliste que je vous dis. À une époque où un refus d’obtempérer peut mener à la mort, cette retenue policière me fait froid dans le dos quant au propos du film.
En effet, la scène d’ouverture de l’attaque du commissariat ainsi que celle de l’entrée dans cette cité barricadée est accompagnée d’une musique lancinante signant une sorte de déclin de la France. Et c’est encore plus marquant et marqué quand on découvre la multitude, sans nom et sans nombre, de banlieusards quadrillant leur quartier. Il y en a de partout, une fourmilière. Sur les toits, dans les bâtiments, sur la dalle, aux entrées. C’est toute la population adolescente du quartier qui est présente. Pas de nuance, pas de demi-mesure, chaque adolescent de ce quartier porte en lui la haine de la police.
La police exonérée
Une haine crasse, hideuse, sans motif valable. Car très vite on apprend que la victime de violences policières est en fait victime d’un groupe d’ultra droite. Pourquoi vouloir, ainsi, dépolitiser le propos quant aux violences policières ? Notre société actuelle est en proie aux crimes policiers, aux criminels policiers rarement condamnés. Cette histoire de faux policiers masque les vraies violences policières. Ainsi, la police et son racisme systémique ne sont jamais remis en cause.
Et c’est là pour moi que le bât blesse. Quand on écrit un récit, on doit se poser la question : « Qu’est-ce que ça raconte ? » Qu’est-ce que mes mots signifient ? Pourquoi utiliser celui-ci et non celui-là ? Pourquoi faire mourir tel personnage de telle façon ? Pourquoi celui-ci a-t-il regardé celle-là ? Bref, c’est la base.
Que raconte « Athena » ? Pas grand-chose. C’est un film sans aucun dialogue. Aucun. Pas même un ou deux mauvais dialogues. Il n’y a pas d’échange. Des cris, des insultes et puis c’est tout. Donc verbalement, ça ne raconte absolument rien. La plupart des violences ne sont nullement explicables tout simplement parce qu’inexpliquées.
Dans la mise en scène, c’est tout aussi vide. Des enchaînements de plans séquence, très certainement, techniquement, irréprochables mais qui se succèdent tant que ça ne veut plus rien dire. Tout est plan séquence. Le propos n’est nullement dans l’esthétique m’as-tu vu ni dans la mise en scène laborieuse.
Un anti-racisme ambigu
Reste le scénario. L’ADN de tout film. C’est l’histoire d’un groupuscule d’extrême droite qui, pour attiser les tensions entre la police et les jeunes de banlieue va jusqu’à tuer un jeune arabe (ndlr : l’un de ses frères va se venger, l’aîné tentera de l’en dissuader – photo). Ce crime policier factice va embraser la cité. Mais n’est-ce pas ce que fait précisément Romain Gavras ? Avec ce clip zemmourien, le réalisateur ne vient-il pas attiser les tensions ? Le tout avec un récit tout sauf réaliste mais qui apparaîtra à cette France apeurée par les peaux basanées comme relevant du documentaire voire même de la prospective.
Savoir que Ladj Ly est co-scénariste, producteur et figurant du film est encore plus déprimant et me démotive encore plus à visionner « Misérables » (ndlr : le film de référence sur la banlieue). Dans peu de temps, vous entendrez Marine, Marion, Éric et tant d’autres citer ce film comme « Bac Nord » le fût en son temps. Cette fiction est, de facto, vécue comme un reportage de La Villardière.
Et qu’on cesse de dénoncer le fascisme italien et sa montée. Ici, face à nous, un objet de propagande raciste est porté par ceux mêmes qui se présentent comme antiracistes. Le tout avec un certificat « banlieue certified ».
(*) Visible sur Netflix.