La Vignette a ouvert sa saison avec la compagnie britannique Forced Entertainment de Tim Etchells, et « Under Bright Light », son spectacle percutant et drôle sur l’aliénation de la vie de bureau.
Huit cartons format cube. Un escabeau. Un bureau en trapèze, tout seul, sans ses collègues sensés s’aligner à ses côtés pour accueillir une éventuelle réunion. Le sol est en moquette vert acide. Un paravent blanc. Et puis c’est tout. La machine infernale peut démarrer.
Les voilà qui arrivent. Les travailleur.ses en combinaisons bleues. Déplacer et replacer. Voilà leur tâche. Faire et défaire. Ils et elles ne se regardent pas, jamais ne se touchent. La musique (très intéressante composition de Graeme Miller), faussement guillerette, les accompagne. Des sonneries font leur travail, elles aussi : scander le temps. Mais la ronde incessante des six interprètes continue, indifférente. Clowns et clones. Il n’y a plus d’heures, pas de pointeuse et la tâche n’a ni début ni fin.
La Cie britannique Forced Entertainment, dirigée par Tim Etchells, continue, avec ce dernier spectacle « Under Bright Light », d’explorer la question du contrôle. Ici, il est tellement fort qu’il se mue en autocontrôle. Pas de chef, pas de gardien, juste une étrange énergie qui anime des êtres hypnotisés par leur bullshit job. On pourrait être dans un entrepôt d’Amazon. Dans un open-space au 30e étage de la City. Dans le cerveau de celui qui envoie dix lettres de motivation chaque jour. On pense à l’une des dernières pièces de Maguy Marin (« Ligne de crête », 2018), où l’aliénation de la vie de bureau était là aussi pointée par le déplacement de corps mécanisés, chargés d’objets.
Les cris d’alarme de notre société de l’inutile résonnent sur les scènes. Capitalisme cannibale. « On achève bien les chevaux » (Sydney Pollack, 1969) s’impose aussi à la vision de ces ouvriers qui s’épuisent. Mais ici il n’y a même pas un chimérique prix à gagner. On attend la poussière qui viendra gripper la machine. Certain.es se couchent. Mais se relèvent aussitôt, reprenant la tâche. Pas de chaos, les gestes sont millimétrés, chacun.e sur son trajet illogique mais prémédité. Qui va craquer ? Quand tout cela va-t-il péter ? Ça recommence, le mouvement renaît toujours, même de ses cendres, quand on croit que c’est fini, tout reprend. Et puis, dans une belle chorégraphie, voilà qu’un flux et reflux s’impose, les objets sont organisés en vagues, on s’échappe du huis clos du bureau, les humains s’effacent. Et on respire.
Photos Hugo Glendinning