Au Cinemed, images fortes et femmes puissantes

La Sicilienne Letizia Battaglia a été la grande photographe anti-mafia. Une fiction lui rend hommage, présentée en avant-première au Cinemed. « Ne dis-rien » sur les violences conjugales est le film qui a changé les choses en Espagne. Sa réalisatrice Icíar Bollaín était ce week-end au festival du cinéma méditerranéen.

« La violence conjugale continue d’exister, mais elle n’est plus comme avant, un sujet qui reste à l’intérieur des foyers. A cette époque, personne ne s’en mêlait. Tout restait derrière des portes fermées. Il y avait eu un cas médiatique, celui d’une femme passée à la télé pour témoigner mais son mari avait fini par la brûler ! À partir de mon film ‘Ne dis-rien’, il y a eu une ouverture, un observatoire de la violence a été créé et surtout la parole s’est libérée. Cette question est devenue une question de santé publique. »

Icíar Bollaín au Cinemed

Icíar Bollaín était à Montpellier ce week-end (ici, au Diagonal) pour présenter son dernier film, en avant-première : « Les Repentis ». Une fiction inspirée de la vie de Maixabel Lasa, la veuve de Juan María Jáuregui, assassiné par l’ETA, qui a pu rencontrer les auteurs du crime, membres de l’organisation séparatiste basque. Un film de 2021 qui a fait sensation en Espagne. Ce n’est pas la première fois que le cinéma d’Icíar Bollaín impacte la société de son pays. Avec « Ne dis-rien », sorti en 2004, multi-primé aux Goyas, elle a fait bouger les lignes.

"Ne dis rien", le film de Icíar Bollaín, présenté au Cinemed

« Ne dis-rien » raconte la délivrance d’une femme battue par son mari. Un Antonio, prototype du macho espagnol. Physique imposant, torse velu, regard noir, une surpuissance masquant une sévère faille narcissique. Dépassé par ces émotions, il cogne. Face à lui : une femme fragile, Pilar, va s’échapper. Femme au foyer, elle se forme et devient guide de musée, soutenue par sa sœur et ses amies. Une résistance au féminin, étape par étape, de l’amour aveugle au regard neuf et froid sur l’époux. L’une des scènes les plus frappantes du film (parfois drôle) : le groupe de thérapie entre maris violents décidés à « changer ». Un film sans pitié sur le machisme espagnol dont Icíar Bollaín prend soin de montrer les déterminismes historique, social, culturel.

« Letizia Battaglia est indissociable de la libération de Palerme »

« Letizia Battaglia : Tourner la vie et la mort à Palerme », en 2 parties, est une histoire de Palermitains. Son réalisateur Roberto Andò ainsi que l’actrice principale Isabella Ragonese habitent cette merveilleuse ville sicilienne. Il raconte la vie de Letizia Battaglia qui a été directrice du service photo du quotidien communiste de Palerme « L’Ora » de 1974 à 1990.

Hommage à Letizia Battaglia au Cinemed

Pendant vingt ans, son Pentax sera l’une des plus puissantes armes anti-mafia. Ce qu’elle appelait « un archivio di sangue », une archive de sang. Elle aura passé sa vie à prendre en photo des scènes de crime à vomir pour dire au monde ce qui se passe dans sa ville. Certaines de ses photos sont entrées dans l’histoire. Notamment celle-ci : le jour de son arrestation, Leoluca Bagarella, l’un des tueurs les plus violents de Cosa Nostra, essaye de se libérer des policiers qui l’encadrent, pour l’attaquer.

L'arrestation de Leoluca Bagarella par Letizia Battaglia

En 1985, elle est la première femme européenne à se voir remettre le prestigieux prix Eugene Smith. Son travail a eu une portée historique majeure. En documentant les relations du monde politique avec Cosa nostra, elle a aidé la justice et contribué à des arrestations. C’est une de ses photos qui a servi de preuve pour démontrer les mensonges de l’ancien président du conseil Giulio Andreotti et ses liens avec le milieu. Ses clichés en noir et blanc constituent aussi une œuvre de premier plan sur les jeunes filles de Palerme, son autre grand sujet. Menacée de mort, bravant la culture machiste de son métier, elle a eu tous les courages. 

Palerme au Cinemed par Letizia Battaglia

« Je connaissais depuis 50 ans cette femme qui a dédié sa vie à combattre la mafia. Elle était folle. J’étais fou. Je lui ai demandé de devenir mon adjointe quand je suis devenu Maire. À Palerme, à ce moment-là, la mafia dirigeait la ville. Le chef de la police, le maire, l’évêque : tous étaient mafieux », a témoigné, à l’issue de la projection, l’ancien maire Leoluca Orlando qui a libéré Palerme de la mafia, et est aussi président de Cinemed.

« Letizia Battaglia : Tourner la vie et la mort à Palerme » restitue parfaitement la dimension sacrificielle de cette diva du photojournalisme, amie de Pasolini, qu’on voit à la fin du film, peu de temps avant sa mort, en avril dernier, à 87 ans. Leoluca Orlando lui a rendu cet hommage : « Letizia est indissociable de la libération de Palerme ». Un regret : l’exposition qui lui est consacrée dans une salle du centre Rabelais est un peu cheap.

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