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Blanc sur Soulages

Pour aimer le peintre Pierre Soulages, « il faut déposer son mental acharné ». Cet « espace austère de contemporanéité qui se fait écho de la beauté rude et massive de son œuvre », Clara Mure le fait apprécier comme animatrice d’ateliers de méditation (*) à partir de la collection Soulages au musée Fabre. Elle l’enseigne également à l’Université du Tiers-Temps et en a fait un des sujets principaux de sa thèse. Son hommage à ce grand explorateur du noir, décédé à 102 ans, ce 26 octobre.

Le musée Fabre est gratuit ce week-end, les 28 et 29 octobre de 10h à 18h, en hommage au peintre qui lui a fait une importante donation.

Soulages est mort. Je ne vais pas pouvoir l’interviewer pour ma thèse. Enfin pardon, c’est triste. Enfin, je crois. Il avait tout de même 102 ans. Il a laissé un bel héritage : un musée dans sa ville natale aveyronnaise, une collection au musée Fabre de Montpellier, les vitraux de l’abbatiale de Conques.

Finalement, c’est l’histoire d’une rencontre ratée. D’un acte manqué à quelques années près. Pouvoir l’appeler mais ne pas l’avoir fait. Avoir eu peur de passer à côté, des mots justes à sélectionner avec respect, des questions à poser sans projeter. Était-il le peintre des origines et sa peinture une poétique du sensible ?

Beaucoup le limitent au peintre de l’outrenoir, moi-même au début de mes études à Montpellier, rencontrant ces grands polyptyques je déclarais : je n’aime pas Soulages. Ah oui car l’homme et l’artiste ne faisaient qu’un, sans en connaître l’un ni en comprendre l’autre, je l’affirmais avec une certaine fierté, du contre-courant de la vague d’idolâtrie qui le suivait. Et pourtant, dix ans après, j’enseigne son œuvre à l’Université. A-t-on corrompu mon âme ou l’ai-je ouverte au geste créateur ? Je penche pour la deuxième option. Car au fil des années, j’ai vidé ma tête des idées tranchées, des concepts à souhait et d’une ignorance comblée pour épurer mon être face à la grande beauté. Faire de la place pour la poésie du monde. Et je suis revenue au sein du parcours Modernité, m’installer sur ces bancs en cuir si confortables de notre cher musée. Fabre me regardait. Je ne pouvais plus fuir l’ambiance pesante, l’Unique Trait de Pinceau qui me jugeait.

J’ai déposé ma pensée, mon mental acharné. J’ai parfois regardé l’oeuvre d’à côté avec ce bleu et ce rouge qui jaillissaient. J’ai aimé cette lumière qui perçait à jour la bataille silencieuse. Soulages était arrivé à Montpellier pendant la Seconde Guerre Mondiale, nous étions en zone libre. Et le musée des Beaux-Arts avait été son refuge, tout comme il devenait le mien dans le chaos de la ville plus de soixante ans après.

(Ici, mon oeuvre préférée : « Peinture » 290×654, janvier 1997)

Aujourd’hui, j’amène des publics méditer face aux grands panneaux de Soulages. Une invitation à lâcher prise, se libérer par le souffle et se laisser inspirer par la beauté du geste pictural, d’une œuvre observée, d’un poème qui surgit. Se connecter à tous ses sens dans ce sanctuaire qu’est le Musée. Cultiver le silence sacré. Réapprendre à regarder, à sentir, à être au monde, en pleine conscience.

La salle 47 est baignée de lumière grâce au mur de verre pensé par l’artiste lui-même. Son oeuvre muséographiée. Par cette matière laiteuse et diaphane que renferme la paroi, l’espace austère de contemporanéité se fait écho de la beauté rude et massive de son oeuvre et de ses origines. Des vitraux de Conques, sacrés en humilité et dans la simplicité qui dit tout, au musée de Rodez dont l’imposante structure semble flotter sur la vallée. Son oeuvre renferme le chemin de croix d’un homme traversé par l’acte de créer et du sacerdoce de cette responsabilité. Intensité et sérénité d’une oeuvre mûrement travaillée. Artisan de la pensée ou plutôt faiseur d’espace de liberté pour le regardeur tourmenté.

Il y a une part de sacré dans son universalité. Et quand je ferme les yeux -pour mieux sentir son oeuvre dans le voile lumineux qui se dépose sur mes paupières et la gravité qui empreint mon être- j’entends. Les enfants, qui s’amusent à parcourir les œuvres en mouvant leurs corps. Ils jouent avec la lumière, ils déploient leur pensée en quête de vérité. Ils savent que la mort n’est pas noire, ils savent que l’outrenoir, c’est la clarté. C’est le secret de l’être et de la vie. Dans la texture acharnée, dans l’horizontalité, ils savent déceler. Ils voient même du blanc dans ce noir que l’on aimerait toucher.

Le blanc, c’est la couleur du deuil en Asie. L’Asie c’était Soulages aussi. Soulages est mort. Je l’ai réalisé.

(*) Clara Mure est la fondatrice de l’entreprise Existere dont le cycle « Art et Méditation » propose des ateliers et visites silencieuses méditatives, notamment au Musée Fabre.

20 millions d’euros, le tableau 

« Je n’ai pas de théorie de la peinture, c’est ce que je fais qui m’apprend ce que je cherche », disait-il. Ne souhaitant pas plus transmettre que de créer un courant, Soulages laisse une monumentale œuvre de 1 500 tableaux. Une carrière hors-norme qui en faisait l’artiste français contemporain le plus admiré dans le monde entier. Charles Laugthon, Alfred Hitchcock et Otto Preminger l’adoraient. Le 16 novembre 2021, chez Sotheby’s à New York, un tableau de Pierre Soulages, intitulé « Peinture 195 x 130 cm, 4 août 1961 » a été adjugé 20,2 millions d’euros. 

Noces de chêne avec Colette

Soulages et sa femme Colette, amie, femme, agent. Deux inséparables, éternellement vêtus de noir. Il la rencontre aux Beaux-Arts de Montpellier dès le premier jour de son arrivée à l’école : « une espèce de petit chevreau, une fille qui n’avait presque pas de cheveux et portait des chaussures en bois. Elle sortait tout juste d’une typhoïde ». Sétoise, Colette Llaurens est à l’origine de leur installation dans une villa avec un fabuleux jardin sur le mont Saint-Clair. Ils venaient de fêter leurs noces de chêne à Rodez : 80 ans de mariage !

La donation Soulages au musée Fabre

La donation Soulages du musée Fabre a été citée par la ministre de la culture Rima Abdul-Malak dans son hommage. En 2005, l’artiste faisait au musée montpelliérain une exceptionnelle donation de vingt toiles et de dix dépôts, dévoilée au public dans l’aile du musée rénové qui lui est consacrée. Ce geste fort va être le point de départ d’un renouveau pour l’art contemporain à Montpellier. 

« Ce musée a compté pour moi »

Soulages à l’inauguration en 2010 au musée Fabre de Montpellier de l’exposition consacrée aux vitraux de l’abbaye de Conques qu’il avait réalisés de 1986 à 1994. À l’âge de vingt ans, en pleine Seconde Guerre mondiale, alors étudiant à l’école des beaux-arts de Montpellier, il découvre le musée Fabre au sujet duquel il écrira plus tard : « plus que tout autre, ce musée a compté pour moi ».

Un musée-mausolée à Rodez

Il ne voulait pas de musée en son nom. Ce qu’il avait refusé à Georges Frêche, qui rêvait de refaire le Guggenheim de Bilbao à Montpellier avec sa caution, il l’avait accordé à Rodez, sa ville natale (il est né à Rodez le 24 décembre 1919. Sa mère tenait une boutique de chasse et de pêche, son père était forgeron et carrossier). Il avait accepté la proposition de la ville à condition que d’autres artistes que lui soient exposés. En 2014, il avait inauguré son musée, avec cette amabilité et ce détachement qui le caractérisaient. 

Les documentaires

– À voir en accès libre, un vieux documentaire de l’INA filmé chez lui à Sète, ici.

– Le dernier documentaire en date (2017), signé Stéphane Berthomieux, a été produit par les Films d’ici (Montpellier). En accès libre sur arte.tv, ici.

Photos : Wikipédia, Clara Mure, Centre-Presse Aveyron, M3M, Musée Fabre, Musée de Rodez.

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MR PHILIPPE MARECHAL
2 années il y a

En hommage à cet immense artiste humaniste :

https://flic.kr/s/aHsjZZejHt
https://flic.kr/s/aHsjZgc1g1

Cordialement.
Philippe.

S.Demidjuk
S.Demidjuk
1 année il y a

Enfin Soulagé

Maintenant que Soulages est parti, les experts vont nous gargarise avec une surenchère des supplétives absurdes sur son génie. Oui, son génie de manipulation, génie de communication, génie de blabla clair-obscure dans le outre-noir et tutti quanti pour les « avertis » que gobe le même tableau qu’il fabriqué, sans honte, depuis cinquante ans. Marcel Duchamp lui-même était  » convaincu que les artistes sont des imposteurs du moment qu’ils ont le moindre succès ». L’œuvre de Pierre Soulages….est peut-être l’une des plus étonnantes comédies des temps modernes d’après Jérome Serri. Et pour Pierre Dac « Quand on voit ce qu’on voit, que l’on entend ce qu’on entend et que l’on sait ce que qu’on sait, on a raison de penser ce qu’on pense »

S.Demidjuk

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