Nathan Waye a été médiatisé par son passage en 2018 dans l’émission « La France a un incroyable talent ». Victime d’une maladie de naissance qui le prive des muscles dans les jambes, le Montpelliérain parcourt les rues Montpellier en fauteuil depuis l’âge de 6 ans. L’été dernier, il publie un coup de gueule sur Facebook dans lequel il se plaint de rencontrer fréquemment des voitures garées sur le trottoir qui bloquent ses déplacements. LOKKO a rencontré le danseur de 22 ans, pour une discussion sur l’accessibilité de Montpellier.
À l’occasion de la Journée internationale des personnes handicapées, Nathan Waye et sa compagnie Mozaïk Danse occuperont, le temps d’un spectacle, le hall d’entrée du Musée Fabre, ce samedi 3 décembre à 18h et 20h. En savoir +, ici.
LOKKO : As-tu eu des réactions après ton coup de gueule sur Facebook, as-tu eu une réponse de la mairie ou de la métropole ?
NATHAN WAYE : J’ai eu des réponses, notamment le commentaire d’Emilie Cabello (adjointe au maire déléguée à l’accessibilité) sous ma publication : « Donne-moi les adresses stp et chaque fois que tu es gêné contacte-moi ». Elle m’a passé son numéro et son mail par message privé. À partir de là, dès qu’il y a une voiture qui se gare sur le trottoir, je la prends en photo et je lui envoie. Mais dans la réalité, rien ne change. J’ai le sentiment que la mairie de Montpellier se montre attentive au handicap mais sans donner de réponse concrète. J’ai souvent appelé les flics mais ils ne font rien. Ils ne verbalisent pas et quand je suis allé au commissariat, ils m’ont simplement donné un bout de papier et m’ont demandé de leur écrire quand j’ai un souci. Ils ne comprennent pas que je tombe sur des voitures mal garées tous les jours et que je ne vais pas m’amuser à écrire à chaque fois un courrier à la DDSP (Direction départementale de sécurité publique). Quand je croise la police, je leur montre les plaques d’immatriculation sur mon téléphone mais ils montrent l’indifférence la plus totale.
Une fois seulement ils ont agi. J’ai rencontré une voiture de flic que j’ai interpellé au moment même où un véhicule bloquait mon passage. Le policier descend de la voiture, verbalise le mec qui le supplie de pas lui mettre l’amende car il en avait soi-disant « pour 2 secondes ! ». Ce à quoi le policier lui répond : « ah, tu veux qu’on la majore l’amende en fait ? » (rires).
« Je file sur les rails du tram, c’est moins dangereux »
Depuis, je colle des autocollants que ma chorégraphe m’a filé sur les pare-brises des voitures qui me gênent. Mais le plus souvent, je m’emmerde même plus à aller sur le trottoir. Je file sur les rails du tram ou sur la route. Je pense que c’est moins dangereux et surtout beaucoup plus rapide !
On parle de voiture sur le trottoir mais on peut aussi parler de celles qui sont garées sur les places réservées aux handicapés, parfois munis de fausses CMI (cartes mobilité inclusion) ! Des cartes que les gens se refilent, parfois ils empruntent celles de leur grands-parents handicapés…
Parlons de l’accessibilité de la ville de Montpellier : je te propose d’évoquer différentes situations du quotidien qui témoignent (ou non) de l’accessibilité de la métropole. Commençons par les transports en commun : sont-ils accessibles et lesquels empruntes-tu ?
Grâce à la roue motorisée que j’utilise pour tous mes déplacements, je ne prends plus les transports en commun. Avant, je prenais le tram et il faut admettre que c’était correct au niveau de l’accessibilité. Les bus un peu moins : beaucoup sont soit démunis de rampes d’accès, soit elles sont dysfonctionnelles…
« Les bus, c’est galère »
Le vrai souci des transports en commun, c’est le monde autour. Les gens ont un irrespect total envers les personnes en fauteuil. Beaucoup sont égoïstes. Quand tu montes dans le tram, il y en a toujours qui sont prêts à tout pour passer devant toi. Certains ont déjà escaladé mon fauteuil… Il ne faut pas en faire une généralité, mais je suis régulièrement tombé sur des cons avec une mauvaise mentalité.
Au niveau logement, les personnes à mobilité réduites peuvent-ils trouver un lieu de vie accessible ET abordable ?
C’est très compliqué. Personnellement, je n’ai pas trop de soucis car je vis dans la même maison depuis tout petit. Certes, il y a quelques galères. Par exemple, ma chambre est à l’étage et je dois monter les escaliers à la force des mains. Il y quelques années, j’avais une baignoire dans laquelle je ne pouvais entrer qu’en faisant une espèce d’équilibre avec mes bras…
Après, ma situation n’est pas si terrible par rapport à d’autres personnes en fauteuil, qui peinent à trouver un lieu de vie, surtout à cause du prix. Les logements accessibles à 100% ne courent pas les rues, et sont souvent excentrés. Surtout, dès qu’il y a des travaux à faire, ça devient cher, et bien que des aides soient mises en place comme la PCH (prestation de compensation du handicap), les particuliers doivent assumer bon nombre de dépenses.
« La loi ne s’applique pas dans la plupart des cinémas, bars et restaurants »
Du côté des loisirs, à quel point c’est difficile pour toi d’aller au bar, au ciné ou autre ?
Même s’il y a des normes comme la loi 2005, elles ne s’appliquent absolument pas le cas dans la plupart des cinémas, bars et restaurants. Au Diagonal par exemple, l’accès à plusieurs salles se fait uniquement par escalier (*). Pour regarder le film que je veux, il faut toujours que je sois accompagné et que la personne m’aide quand je galère. La dernière fois que je suis allé avec mon meilleur ami voir un film, j’ai dû grimper les marches à la force de mes bras. Avec le regard des gens autour, c’est assez humiliant.
« Paris, c’est la merde »
On a compris que la ville doit être plus inclusive dans de nombreux domaines. Mais en comparaison avec d’autres métropoles françaises, où se situe, à ton avis, Montpellier ?
On peut dire que Montpellier est plus accessible que Paris. J’y monte régulièrement pour danser et pour voir mon frère et clairement, c’est la merde ! Je n’ai aucune autonomie et dois toujours être pris en charge. Je ne peux pas prendre le métro à causes des escaliers et les trottoirs sont hauts. Je me dis souvent que les Parisiens en fauteuil doivent être riches et faire tous leurs déplacements en Uber… En plus, utiliser la PAM (Paris Accompagnement Mobilité, un service d’accompagnement des personnes à mobilité réduite) coûte très cher ; au minimum 8€ par trajet. Quand je monte pour faire de nombreuses dates et que le transport n’est pas compris à 100%, je peux en avoir pour plus de 300€ de ma poche.
Cela étant, je ne connais pas toutes les villes de France. Ma vision peut être biaisée car lorsque je me rends dans d’autres villes pour faire mes prestations mes déplacements sont souvent pris en charge de A à Z. Pour comparer, il vaut mieux en parler avec les personnes à mobilité réduite qui vivent en autonomie.
« Si le Président était en fauteuil, le monde serait très différent »
Tu t’intéresses à la politique ? La question du handicap et de l’accessibilité n’a presque pas été abordée lors des dernières élections présidentielles alors même que 12 millions de Français sont touchés par un handicap et que 1 à 2% des Français se déplacent en fauteuil. Comment tu perçois ce paradoxe ?
Je ne suis pas trop la politique, mais je pense que la grande majorité des politiciens s’en foutent. Je n’ai jamais vu ou entendu un politique comme Emmanuel Macron qui y fasse attention. Un jour, ma chorégraphe est allée voir des élus qui étaient complètements déconnectés : ils se vantaient d’avoir des locaux et des installations accessibles. Mais il faut se réveiller ! La loi est passée en 2005, ça devrait être la norme. Il ne se rendent pas compte des difficultés que l’on subit, et ne s’y penchent pas. Si le Président de la République était en fauteuil, le monde serait très différent : bien plus cool et accessible. Là, il y a un député en fauteuil (ndlr : Sébastien Peytavie, député de la 4e circonscription de Dordogne), c’est un début mais il n’a pas assez d’influence pour faire bouger les choses.
« Je suis un porte-parole »
Depuis ton passage dans l’émission « La France a un incroyable talent », tu as été fortement médiatisé. Est-ce que tu sens le besoin d’être une sorte de porte-parole des personnes à mobilité ? Utilises-tu ta notoriété pour porter des messages ?
Bien sûr ! Je suis un porte-parole pour toutes les personnes en situation de handicap. On va dire que je porte le drapeau de la différence. « La France a un incroyable Talent » m’a permis d’être connu comme une personne à part entière. Ma médiatisation peut faire avancer un ou deux trucs, mais elle reste encore très limitée. C’est pour cette raison qu’il faut que les médias aussi relaient ces témoignages et ces expériences pour que ça devienne une vraie question de société et que ça remonte aux oreilles des politiques.
Breakdanceur depuis l’âge de 7 ans
Le talent de Nathan Waye a vite été repéré par son frère et ses amis. Une passion d’enfance qui le suit jusqu’aujourd’hui et qu’il enrichit de danse contemporaine. Son passage en 2018 dans l’émission « La France a un incroyable talent » marque un tournant dans sa carrière. À peine bachelier, il est largement médiatisé. Aujourd’hui membre de nombreuses compagnies (dont Mozaïk Danses), il se produit dans diverses scènes de France. Sur la photo, il est au Festival en scène à Chambéry. En octobre dernier, il a dansé dans le festival du chorégraphe Mourad Merzouki à Lyon. Pas de section de breakdance paralympiques aux JO de Paris de 2024, mais Nathan Waye espère y faire une prestation dans le but de promouvoir sa discipline.
Nathan Waye se déplace en fauteuil propulsé par une troisième roue accrochée au siège. L’objet (d’une valeur de 5 000€), qui lui permet d’arpenter les rues montpelliéraines à 20 km/h, a été acheté grâce à une cagnotte organisée après son passage dans l’émission de M6.
(*) Contactée, l’équipe de Diagonal se dit « parfaitement consciente » du problème mais confie « ne pas avoir les moyens de financer les importants travaux d’accessibilité ».
Photos : Nathan dans la ville/photo Darius Albisson, ensuite lors de « Pommes d’amour », spectacle jeune public de Magalie Lesueur, enfin au Festival en scène en Savoie.