And Just Like That : “Je me suis construite, et déconstruite avec elles”

La suite de “Sex and the City”, “And Just Like That” avec l’iconique Sarah Jessica Parker est diffusée sur TF1 à partir de ce 4 janvier. Les héroïnes de la série américaine culte ont inspiré plusieurs générations. Clara Mure a grandi avec elles.

Qui ne connait pas “Sex and the City”, la série culte mettant en scène quatre amies new-yorkaises, trentenaires et célibataires, diffusée entre 1998 et 2004 sur M6 et rediffusée dix ans plus tard sur W9 ? Si vous n’avez pas vu la série, vous avez peut-être été voir l’une des deux adaptations cinématographiques éponymes, sorties en 2008 et 2010, qui ont rapporté respectivement plus de 418 et 295 millions de dollars au box-office. Ou encore la série préquelle “The Carrie Diaries” (2011) relatant l’arrivée de la jeune Carrie à New-York dans les années 80, à la croisée entre “Katy Keene” et “Gossip Girl” ? Et bien moi je les ai tou.tes vu.es, le moindre épisode, film ou série dérivée jusqu’au nouveau chapitre, humblement appelé “And Just Like That” que l’on pourrait traduire par “Et juste comme ça”. La première saison est à présent entièrement disponible sur HBO Max et Salto, la plateforme française qui nous offre le luxe du US+24. Un documentaire sur les coulisses du reboot vient même de sortir aux Etats-Unis.

Racisme, transphobie, sexisme, âgisme : une version 2022 militante

Mais alors, en quoi la version 2022 diffère des six saisons et près de 100 épisodes de la série originelle ? Ses créateurs Michael Patrick King et Darren Star auraient pu compter sur les fans de la première heure, ravi.es de retrouver les héroïnes vingt ans après, en se faisant de l’argent facile, sans pousser trop loin le scénario. Pourtant, en dix épisodes, ils sont parvenus à traiter – parfois finement parfois moins – de racisme, de transphobie, de sexisme et d’âgisme en affichant fièrement l’évolution des protagonistes, la cinquantaine, fidèles à elles-même et en même temps traversant des bouleversements : des affres de l’âge avec les corps qui lâchent, aux questionnements identitaires et existentiels de leurs enfants, à la parole libérée sur la sexualité pour une époque qui creuse le fossé des mentalités. Le temps est passé et pourtant l’engouement est toujours le même (dit la fille qui a payé deux mois d’abonnement à Salto, impatiente de profiter chaque semaine d’un nouvel épisode diffusé). 

J’ai traversé les affres de l’adolescence grâce à elles

Mais alors, pourquoi, à même pas trente ans, je m’identifie autant à des personnages qui ont le double de mon âge, allant jusqu’à verser une larme lorsque j’ai découvert en décembre dernier la bande d’annonce de “And Just Like That” ? Cette série compte pour moi, car elle a grandi avec moi ou plutôt car j’ai grandi avec elle, loin de New-York mais proche de ces femmes. J’étais très jeune quand j’ai découvert “Sex and the City” sur mon écran de télévision, c’était le genre de série qu’on regardait en cachette parce qu’il y était question de “sexe”, surtout pour les scènes avec Samantha Jones, la publiciste présentée comme une “croqueuse d’hommes”. Cette libre penseuse décomplexée et amie fidèle m’inspirait beaucoup, tout comme le personnage de Charlotte York, galeriste éprise d’art avant-garde et pourtant si conservatrice, ou encore Miranda Hobbes, l’avocate si forte qui essayait de percer dans un monde dominé par des hommes.

Mais celle à laquelle je m’identifiais, c’était Carrie bien sûr. Carrie Bradshaw, l’écrivaine et chroniqueuse pour le “New-York Star”, décryptant les relations amoureuses et humaines de son groupe d’amies avec auto-dérision et tendresse. Mais au-delà de notre amour commun des mots, il y avait la passion pour la mode. Oui car Carrie était plutôt du genre excentrique à oser porter des robes haute couture importables en pleine rue, des chapeaux trop voyants, des escarpins trop hauts. Et à cet âge ingrat de l’adolescence, où ma vie était partagée entre le divorce de mes parents et le harcèlement scolaire, la vie trépidante de Carrie et ses amies me permettait de rêver, entre leurs dîners dans des restaurants branchés, leurs histoires d’amour passionnées et leur clan pour survivre à la réalité.

« Tout comme Carrie, je me sentais à part »

À défaut de vivre une histoire d’amour ou dans un milieu social privilégié, j’avais la mode pour m’exprimer, pour faire de ma différence une force, un étendard fièrement assumé. Tout comme Carrie, je me sentais à part, inadaptée, et mes fringues me donnaient une raison d’exister au sein de cette société lissée. Chaque matin je passais des heures à choisir minutieusement les accessoires adaptés aux Converse colorées. Carrie était comme une idole et une icône pour une génération toute entière, mais c’était surtout la grande soeur que je n’ai jamais eue. C’est ainsi qu’au fil des années, je n’ai cessé d’affirmer mon style comme une identité et de collectionner les stilettos avec autant de ferveur qu’elle l’aurait fait. Mes pieds en ont souffert mais ma tête s’est relevée. Et aujourd’hui je n’ai plus rien de cette petite fille timide qui se cachait dans un coin de la cour de récré. J’ai moins besoin d’excentricité pour exister, mais je garderai toujours dans mon coeur cette originalité.

Alors en effet, comme le disait Candace Bushnell, l’autrice du roman éponyme qui a inspiré “Sex and the City”, la bande de Carrie n’était à l’origine “pas très féministe”. Celle qui l’aurait le plus été par son caractère émancipé et révolté, c’était Samantha, mais son interprète a refusé d’y participer vingt ans après. Pourtant même si elle était déjà d’un âge plus avancé, son personnage dans la soixantaine aurait certainement encore bouleversé les normes infligées. D’où mes attentes pour le reboot de la série en vue de mes convictions et de ma conscience militante qui ont grandi au fil du temps. Et à ma grande surprise, les héroïnes de la série ont évolué dans la même direction que je l’ai fait, et ce, de manière naturelle. Comme si on s’était construites et déconstruites ensemble.

Le féminisme intersectionnel dans le mille

Dès le premier épisode, le ton est donné. D’une ère post-Covid où l’on retrouve les filles en premier dans le dernier restaurant prisé. Carrie (Sarah Jessica Parker), Miranda (Cynthia Nixon) et Charlotte (Kristin Davis) n’ont pas trop changé et pourtant au fond tout a évolué. Miranda, révoltée face aux discriminations provoquées par un “décret anti-musulmans” promulgué, a quitté le droit des sociétés pour reprendre des études de droit humanitaire à l’Université auprès d’une professeure émérite racisée. Elle subira des critiques âgistes et sexistes sur son apparence physique, la faisant douter de ses capacités : le féminisme intersectionnel dans le mille. Le Covid lui aura laissé une addiction au départ niée, une manière d’aborder l’alcoolisme social banalisé. Et son couple, enlisé dans une routine, explosera quand son désir sera attisé et qu’elle renaîtra dans une relation bien moins hétéronormée. Je dois avouer que voir Miranda s’assumer dans sa pansexualité a pour mois été l’apogée de mon identification. Et Charlotte, toujours à vouloir briller dans la haute société, en miss parfaite qu’elle a toujours été, attendant la même exigence de ses êtres aimé.es, devra affronter un obstacle à sa vie bien cadrée. L’un.e de ses enfants, Rose, lui avouera sa non-binarité et sa volonté de changer de prénom pour coller à son identité. Aussi, lors de sa “they-mitsva” célébrée par une rabbine trans, avec chai et kippa arc-en-ciel, elle expliquera simplement ne pas vouloir être enfermé.e et se laisser le temps de décider : “Je ne veux aucune étiquette : ni fille, ni garçon, ni non-binaire, ni jui.f.ve, ni chrétien.ne, ni musulman.e, ni new-yorkais.e” et sa mère incrédule de demander “donc maintenant tu n’es plus rien ?”, iel de répondre : “je n’ai que 13 ans, est-ce que je peux juste être moi ?”. La vérité sort toujours de la bouche des enfants n’est-ce pas ? Finalement, même si Carrie est passée du magazine papier au podcast sans grande révolution (ne devenant pas une millenial pour autant), c’est la maladie et la mort qui traverseront son personnage. Lui donnant de la consistance et une résilience certaine, endeuillée dès le premier épisode et confrontant ensuite le vieillissement de son corps qu’elle acceptera au fil du temps et grâce aux femmes qui l’entourent dans un esprit sorore et militant.

Moins de privilèges, plus de diversité !

Cela sera confirmé par l’arrivée de quatre personnages racisé.es et engagé.es qui mettront les hommes au second plan et apporteront de la diversité au casting d’origine. Entre la très chic et éloquente Lisa Todd Wexley (interprétée par Nicole Ari Parker) surnommée la “Charlotte noire” par Anthony et la professeure et activiste Nya Wallace (par Karen Pittman), à l’apparence aussi non-conventionnelle que les moeurs – luttant notamment contre l’injonction à la maternité – ou l’agente immobilière et nouvelle grande amie de Carrie, Seema Patel (interprétée par Sarita Choudhury), femme forte et indépendante d’origine indienne.

Mais c’est le personnage de Che Diaz (jouée par Sara Ramírez) qui prendra le plus de place. Cellui que l’on connaît comme Callie Torres dans la série médicale à succès de Shonda Rhimes, « Grey’s Anatomy », a toujours été activiste des droits de la Communauté LGBTQ. Lauréat.e du prix Ally for Equality Award en 2015, iel a fait son coming out en tant que bisexuel.le en 2016 et en tant que non-binaire en 2020. Dans “And Just Like That”, iel incarne Che Diaz, une personne non-binaire, humoriste très engagé.e dans la défense des droits LGBTQ, producteur.rice de l’émission de radio “X, Y et moi” qui parle des rôles de genre et de sexe, et dans laquelle Carrie Bradshaw représente “les femmes cisgenres” quand iel se présente comme “diva mexico-irlandaise non binaire représentant tous les autres genres moins chiants”.

C’est ainsi qu’à l’issue d’une alerte “woke moment”, iel assumera ne pas pouvoir représenter tous les genres, les orientations sexuelles ou les races, louant la diversité et la complexité des êtres humains. Pour son stand-up aussi émouvant qu’inspirant, pour sa déconstruction radicale des relations sociales jusqu’à sa manière d’être au monde et à soi-même, pour l’imparfaite mais passionnée histoire d’amour qu’iel vivra avec l’une des personnages principales, et pour les piques qu’iel lancera avec sarcasme au seul mec de son émission du style “en tant que mâle cis hétéro, comment éradiquer le système patriarcal de genre et le diktat de l’hétérosexualité ?”, son personnage sera clairement mon préféré de cette première saison car iel est dans la vérité de son être, à l’écran comme dans la vie.

À côté, il est évident que Carrie peut passer pour “une femme mariée coincée et bourgeoise”, comme iel lui reprochera, mais c’est aussi ça la force de cette première saison, c’est de montrer qu’au-delà des apparences, ce qui compte c’est l’envie que l’on a de vouloir évoluer et de se transformer pour devenir la meilleure version de soi-même. En se détachant de l’élan égotique de la “bonne personne”, des regrets et de la culpabilité qui les rongent, Carrie, Charlotte et Miranda se libèrent et ainsi nous libèrent. Et lorsque l’épisode final montre Carrie qui redevient Carrie Bradshaw avec son podcast intitulé comme une boucle bouclée “Sex and the City”, il ne s’agit pas d’être nostalgique d’une époque révolue mais de (re)trouver sa voix avec la volonté de s’améliorer dans son domaine de prédilection. Son amitié avec Samantha qui semble renaitre des cendres de son grand Amour formule la promesse d’une saison 2. Une bonne nouvelle lorsque l’on sait qu’à part “Grace and Frankie”, rare sont les séries où les personnages principaux ont plus de 50 ans. Car oui, même après cet âge, on peut jouir de la vie et ça, c’est réconfortant !

 

Une série inclusive pionnière

Quelle joie fut la mienne de pouvoir lire dans les sous-titres français une écriture inclusive et un vocabulaire adapté à la non-binarité. Le plus révolutionnaire dans cela, c’est que les personnages de la série sont naturellement engagé.es, utilisant le pronom neutre « they » en anglais, traduit par « iel » en français. Assumant aussi la nécessaire pédagogie et leurs peurs qu’il faudra du temps pour apaiser. Le queer-washing ainsi évité, le personnage d’Anthony (interprété par Mario Cantone), toujours aussi blasé et misandre assumé, catalysera la haine des détracteurs wokistes. Car le wokisme est un concept désignant l’éveil des consciences face aux oppressions subies par les minorités (notamment LGBTQ, personnes porteu.r.ses d’un handicap, racisé.es et/ou sexisé.es). Historiquement associé à la lutte contre le racisme envers les Afro-Américain.es, le mouvement intersectionnel, rencontrant le classisme, l’agisme, le validisme, le sexisme (etc.) soulève l’importance de s’exprimer et d’agir en conscience de ces inégalités sociales dans une société patriarcale et capitaliste. Rappelons qu’au sein de la campagne présidentielle, tant le gouvernement que les politiques de droite et d’extrême-droite déplorent un « totalitarisme woke » (selon Valérie Boyer) ou « les dérives de l’idéologie “woke” » (pour Nicolas Dupont-Aignan), rapprochant ce mouvement militant à la « Cancel Culture » (dixit Jean-Michel Blanquer), sous couvert de liberté d’expression et d’universalisme républicain défendu.es. La remise en question dans la série « And Just Like That » des assignations de genre et des orientations sexuelles est donc plus que bienvenue et témoigne d’une prise de position politique forte.

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