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Dans « Un Si Grand Soleil », l’image de Montpellier bien loin de la réalité

Depuis 4 ans, « Un Si Grand Soleil » assure une promotion puissante à Montpellier en prime time, avec de grosses retombées économiques. Mais la série de France 2 donne une image décalée de la ville, jeune, aisée et entreprenante, assez raccord avec la communication politique. Le décryptage pour LOKKO d’universitaires montpelliérains.

C’est un prime time aux plus de 3 millions de téléspectateurs comme Montpellier n’en a jamais eu. Ses places, ses quartiers contemporains, ses lieux patrimoniaux, ses rues : jamais Montpellier n’a été aussi bien filmée. Montpellier mais aussi ses environs : l’arrière-pays, le bord de mer, la Camargue, etc. Mais la série à succès donne une version idyllique de la ville que l’on ne reconnaît pas toujours. En sciences de l’information et de la communication, on parle de « médiatisation du territoire de tournage », explique Nathalie Séverin, qui s’intéresse à la « mise en tourisme des territoires ». Doctorante, elle fait partie avec Elsa Pallin, doctorante également, du groupe de recherches initié par Frédéric Marty, maître de conférences en Sciences de l’Information et de la Communication à l’Université Paul Valéry, qui ont étudié « Un si grand soleil » sous tous les angles, en particulier la distorsion de l’image de la ville.

« La médiatisation du territoire de tournage »

LOKKO avait fait état de ce « triomphe de la filière télévisuelle » qui s’est mise en place en Occitanie. Des retombées économiques ont été mesurées en termes d’emploi, tant dans les métiers de l’audiovisuel que l’hôtellerie-restauration. Récemment une sorte d’euphorie touristique s’est emparée des lieux de tournages. En témoignent les boutiques de produits dérivés ou l’organisation de visites guidées à Montpellier mais aussi à Sète et Saint-Laurent-d’Aigouze pour « Demain Nous Appartient » et « Ici Tout Commence ». « Ce tourisme est un des points d’intérêts de mon travail de recherche. Je cherche à comprendre comment ça se met en œuvre« , explique Nathalie Séverin (photo ci-dessous), qui a eu l’opportunité de travailler en tant que technicienne consultante auprès de collectivités qui accueillent des tournages.

« Pour le bureau d’accueil des tournages de la Métropole, j’ai réalisé un benchmark (une étude de marché ndlr) des conséquences de tournages, qui ont eu lieu dans le monde entier, sur les territoires. L’idée étant de créer des dispositifs de valorisation du territoire auprès des publics, en particulier une visite guidée à l’Office de tourisme de Montpellier. » Nathalie Séverin reste pragmatique dans ses préconisations : il s’agit en premier lieu de pouvoir identifier la série dans la ville, et pour les fans de la série qui arrivent à Montpellier, d’être entendus et accueillis.

D’ailleurs, l’universitaire reprend parfois sa casquette initiale de guide conférencière lors des visites guidées autour de « Un Si Grand Soleil » pour l’Office de tourisme de Montpellier, qu’elle a initiées. La mise en place de ces parcours (pour l’instant exclusivement dans l’Écusson) s’est faite après la période Covid, à l’été 2021. Si les visites ne sont pas vraiment régulières (2 à 3 par mois), on constate forcément un boom pendant les vacances scolaires, les deux mois d’été mais aussi Toussaint et Noël avec une intensification du rythme à 2 à 3 visites hebdomadaires. « Ces visites marchent bien. On a une moyenne de douze personnes par visite », précise Nathalie Séverin.

Le développement du « set-jetting« 

Inédit en Occitanie, ce nouveau genre de tourisme de masse est déjà bien connu hors de nos frontières. Ça s’appelle du set-jetting (résultat de la combinaison des mots « jet-set » et « setting », dans le sens de plateau de tournage, ndlr). Ça désigne les voyages vers des destinations de tournages de films ou de séries. Nathalie Séverin cite volontiers la série « Game of Thrones », apparue dans son benchmark et pour cause : quelques scènes tournées en Écosse, à Séville ou encore à Malte ont suffi à doper le tourisme de 25 à 30 % d’une année sur l’autre. Marseille, LA référence du genre en France avec « Plus Belle La Vie », n’est pas en reste : « en 2018, on estimait que la série drainait environ 400 000 visiteurs par an », précisent « Les Échos ». Bref, une tendance voyage à suivre et à prendre au sérieux.

Des fans plus attachés aux acteurs qu’au territoire

« Pour la visite guidée organisée par l’Office de tourisme de Montpellier, il est bien indiqué qu’il n’y a pas de visites de studio », explique à son tour Elsa Pallin, qui étudie la réception critique d’“Un Si Grand Soleil” par les spectateurs. « Malgré cela, on a remarqué que les gens venaient avec l’espoir de croiser des acteurs dans la rue ! » Pour répondre à cette attente, l’Office de tourisme a invité récemment des acteurs de la série à rejoindre les visiteurs sur le parcours thématique. Un joli cadeau de Noël pour les fans de la série, ravis de découvrir en vrai ces visages familiers du petit écran (photo).

« Les premiers résultats de nos entretiens sur les visites nous disent que le territoire n’est pas le principal enjeu : leur identification et leur attachement aux personnages sont le plus important, commente Elsa Pallin. Très vite, les publics nous parlent de tel personnage comme si c’était un membre de leur famille. À ce sujet, j’ai aussi interrogé des ados entre 14 et 17 ans qui ont des comptes Instagram sur les personnages, des pages de fans. On a vraiment l’impression que ce sont des personnages qui ont changé leurs vies, qui les aident au quotidien, leur ont donné un espoir… »

Une perception biaisée de la région

Mais, tout à leur fascination pour leurs héros, quel rapport les fans des séries entretiennent-ils avec le territoire ? Par quel biais le considèrent-ils ? Elsa Pallin et Frédéric Marty profitent des visites guidées pour observer et tenter d’analyser les rapports entre les séries et le patrimoine, de creuser cette question de ses représentations. 

Il s’agit pour certains d’une radicale redécouverte de leur ville (comme ici avec le zoo, passage obligé des vacances scolaires). Elsa Pallin raconte : « À l’image de ce couple de retraités montpelliérains que j’ai interrogés, il apparaît que pour quelques téléspectateurs, la série va permettre la redécouverte de leur ville avec des plans qu’ils n’avaient jamais vus. » 

Mais les chercheurs ont pu constater que la perception de la ville dans l’espace était souvent faussée : « Il y a par exemple une scène où les jeunes courent depuis la place de la Canourgue et se retrouvent presque instantanément à la plage d’un coup de vélo, ajoute-t-elle. C’est un privilège enviable mais on sait bien que c’est loin de la réalité et cela fait sourire quelques montpelliérains », commente à son tour Frédéric Marty.

Une métropole sudiste sans accent

Si la ville et ses territoires photogéniques constituent ce que Nathalie Séverin appelle des « marqueurs identificatoires » (comme le tram ou la place de la Comédie), Montpellier est le plus souvent évoquée selon les canons de n’importe quelle métropole : « une ville avec des éléments architecturaux ou démographiques typiques de la métropole française », selon Frédéric Marty. Tout se passe comme si « la sphère locale n’était qu’un prétexte pour développer une représentation globale”.

À peine fait-on quelques concessions pour pimenter la série d’une composante sudiste. « ‘Un Si Grand Soleil’ ne pourrait pas être tourné dans le port du Havre, parce que c’est beaucoup moins exotique. Il y a vraiment ces clichés, ces valeurs (positives) du Sud. L’idée est bien entendu de susciter un intérêt pour le territoire ; c’est aussi pour ça qu’on filme des espaces extérieurs de convivialité, comme la place de la Canourgue », souligne Frédéric Marty. Sans pour autant avoir recours aux stéréotypes classiques du Sud de la France : pas d’accent et pas de tradition locale. De ce point de vue, « Un Si Grand Soleil” relève d’un point de vue ethnocentré, à la parisienne, qui ne constitue pas vraiment un progrès dans les représentations.

La réalité sociale zappée

Cette image d’une ville pacifiée, boboïsée est peu raccord avec la ville réelle. Rien des mutations compliquées sur les mobilités. Pas mal d’acteurs sont des cyclistes heureux. Rien sur l’insécurité au quotidien, plutôt quelques faits divers spectaculaires. Et encore moins d’évocations du niveau exceptionnellement élevé de minimas sociaux. Au contraire, « Un Si Grand Soleil » évite les quartiers populaires, les embouteillages et a réquisitionné pour ses plans extérieurs de somptueuses villas. « Des choix sont fatalement faits pour le bien du divertissement », commente Nathalie Séverin.

À LOKKO, où se trouvent quelques amateurs de série, notre analyse est que cette vision réductrice du territoire relève de ce réalisme émotionnel, typique du soap opera, bien résumé pour « Deadline » par Sam Levinson, le créateur de la série pour adolescents « Euphoria » : ce qui compte, ce n’est pas vraiment la vérité des situations, plutôt les émotions des personnages, la façon dont ils perçoivent le monde, beaucoup moins la réalité qui les entoure.

Ville jeune, active et entrepreneuriale, la ville télévisée « coïncide avec certains des axes de la stratégie de communication de la métropole », analyse de son côté Frédéric Marty. Très parlant le personnage de Noémie (Lucile Krier, en photo ci-dessus), jeune néo-agricultrice bio et bobo en conflit avec William (Olivier Cabassut), son voisin agriculteur conventionnel et bourru.

Entre les objectifs du divertissement et le récit politique, une entente tacite.

Photos : Montpellier Tourisme, France Télévision

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FLORIN dan
FLORIN dan
1 année il y a

Je connais bien Montpellier (ou, tout au moins, pas mal) venant, puis habitant la région depuis 19885 – C’est vrai que la ville a bien changé, mais laissons aux amateurs de la série -dont je suis- cette vue « idyllique » de la ville – il est toujours bon de garder la meilleure impression et sensation de « bien-être » même si la réalité est plutôt déconcertante dans certains quartiers !!

Renaudon
Renaudon
1 année il y a

Ces propos d étude universitaire cette analyse démontre que vous ne connaissez rien à la télévision. On ne va pas tourner un documentaire sur Montpellier mais une fiction agréable à regarder pour un large public. Oui on reconnaît Montpellier la belle oui comme dans toutes les villes il y a des quartiers qui méritent une étude sociologique mais ce n est pas le but j aime Montpellier j aime cette série.

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