Fondateur du cinéma Diagonal (*), Antoine Pereniguez a vendu 51% des parts du cinéma à la société de production et de distribution de cinéma d’auteur Haut et Court, également à la tête d’un réseau de salles. Une succession qui a du sens et ne devrait pas susciter de grands changements : « avec 30% de parts du capital, rien ne pourra se faire sans mon fils et moi-même ».
À relire l’article présentant le rachat par Haut et Court dans LOKKO.
« La meilleure formule pour que Diagonal continue sa route »
LOKKO : Pourquoi avoir vendu ? Est-ce que ça va si mal ? On avait l’impression que Diagonal résistait plutôt bien à la crise ? Il était même, avant le Covid, un des cinémas les plus performants de France ?
ANTOINE PERENIGUEZ : Contrairement à ce que dit un journal local avec un titre racoleur – « Le Diago sauve sa peau », le Diago va très bien ! Les choses sont très simples. Il s’agit de l’humain. L’humain en l’occurrence, c’est moi. Je suis maintenant un vieux monsieur : je vais avoir 69 ans dans quelques jours. J’ai mûri l’idée de l’avenir du Diagonal depuis un moment, et en particulier depuis la rentrée de septembre. J’en ai conclu que le mieux pour le cinéma, pour moi aussi ensuite, c’était de céder la majorité des parts de Transversal Films, la société gestionnaire de Diagonal, à quelqu’un d’énergique, et de plus jeune, connaissant bien le métier. Martin Bidou m’avait dit il y a longtemps déjà – quand j’ai commencé à prendre un peu de temps pour moi – qu’il serait intéressé. J’ai pensé qu’il était le meilleur pour le cinéma. Nous sommes strictement dans la même ligne de défense du cinéma d’auteur. J’ai vu ce qu’ils avaient fait avec le Sémaphore à Nîmes, qui a été préservé, c’est vraiment très bien. C’est la meilleure formule pour que Diagonal continue sa route, avec le même nom – ça, c’est à vie -, et la même équipe. Je vais donc pouvoir prendre ma retraite pour de vrai !
Le montant de la transaction ?
Ce n’est pas une histoire d’argent mais d’amour pour le cinéma…
« Mon fils continue à assurer la direction du cinéma »
Tout le monde pensait que votre fils Charlie était prédestiné à vous succéder. Que l’avenir du Diagonal se jouerait dans le cadre d’une succession familiale. De ce point de vue, c’est un peu une surprise.
C’est que les gens ont des clichés s’ils ont imaginé quelque chose de traditionnel comme une succession de « père en fils ». Charlie est toujours associé de Diagonal. Ensemble, lui et moi, nous avons 30% des parts. Rien ne peut sans faire sans notre accord. Et Charlie continue à être le directeur.
Il n’y a pas de doute là-dessus ?
Non. Mon fils continue à assurer la direction du cinéma. Tout comme Noémie Bédrède continue d’assurer la programmation. Il y a juste la tête du gérant qui change ! À la place de la tête d’un vieux, c’est le visage, jeune, d’un beau gosse et d’une personne dynamique ! Et d’un très bon pote.
« Un brin de programmation à Paris »
Même si Haut et Court n’est pas un loup, plutôt un frère d’armes, logiquement, une partie de la programmation va échapper à Montpellier. On voit mal Haut et Court ne pas prendre le lead sur ce sujet en rachetant le cinéma.
C’est plus moi le chef, c’est Martin qui va organiser cette programmation. Il est possible qu’il y ait un brin de programmation à Paris mais, dans le fond, ce ne sera pas un vrai changement. Toutes les salles comme la nôtre en France sont en lien avec des grands distributeurs nationaux qui nous réservent les copies du futur Tarantino ou du prochain film des frères Coen, par exemple. Il faut quand même faire la demande même s’il s’agit d’un accord tacite. Là, en effet, ce ne sera peut-être plus Montpellier mais le nouveau gérant qui va se charger de ces relations-là pour planifier la sortie de ces « grands » films et des films de Haut et Court dans toutes les salles de son réseau. Au niveau des films d’auteurs indépendants, qui ont besoin de se faire connaître, du travail de terrain, il se fera toujours sur place à Montpellier avec un public à travailler qu’on connaît bien.
Les 40 ans du cinéma ? Comment vont-ils être pensés et organisés ?
Ah j’aimerais bien que ce ne soit que les 20 ans qu’on fête comme ça je pourrais reprendre le gouvernail… Les 40 ans se feront évidemment, ça, ça ne peut pas changer. Ils seront fêtés comme prévus. Il est question d’une soirée au moment du « Diago en plein air », en juillet, mais aussi un événement à la date exacte de l’anniversaire, le 1er juin.
Que devient l’association Les Chiens andalous qui gère l’éducation à l’image ?
J’en suis le président et je le reste.
« On est perpétuellement à la recherche de nouveaux publics »
À quoi attribuez-vous cette bonne résistance du Diagonal à la crise actuelle et qui a été souvent évoquée par Martin Bidou dans ses interviews ?
En 2022, il y a eu une remontée de la fréquentation à 275 000 entrées, c’est-à-dire une perte de 20% par rapport à 2019, qui a été une excellente année, la dernière avant la pandémie. Par rapport à l’ambiance générale, on est plutôt pas mal. On est ceux qui ont perdu le moins. On a un public très fidèle, très assidu, qui languissait la fin de la pandémie pour pouvoir revenir. La recette ? Il y a un énorme travail quotidien pour gagner de nouveaux publics. Au Diago, il n’y a pas que des vieux, il y a plein de jeunes aussi ! On est perpétuellement à la recherche de nouveaux publics.
Quels sont les concurrents du Diagonal ? Gaumont certainement avec sa « stratégie du pop corn » que vous avez combattu ? Mais Utopia aussi, une sorte de frère ennemi ?
Pathé Gaumont, bien sûr ! Si on regarde bien la programmation du Gaumont Comédie, ils essayent d’attirer des « clients » comme ils les appellent avec des films qui n’ont rien à faire chez eux, qui ne sont pas pour leur public. Le Multiplexe, pareil, qui sort des films au même moment que nous. Mais il y a peu de monde dans leurs séances… Utopia, c’est un circuit qui fait sa cuisine, qui est censé faire la continuation des films que nous sortons, c’est de la concurrence si on veut… Je dirais que c’est plutôt complémentaire. On n’a pas tout à fait le même esprit…
« Le public n’est pas si attaché à ma personne »
Justement, c’est quoi l’esprit Diago ? Avec ces changements, et un gérant parisien, est-ce qu’on ne va pas perdre cette incarnation – en particulier à travers vous – qui était sa marque ? (Tony Gatlif a dit : « chez Antoine, c’est plus beau qu’à Cannes ! »)
Je ne suis plus très présent physiquement dans les présentations de films depuis quelques temps déjà et personne ne s’en est plaint ! Chaque fois que j’y vais, je ressens toujours cet accueil chaleureux. Le public n’est pas si attaché à ma personne. Et l’esprit du Diagonal, il persiste. Il y a une très bonne équipe, il y a du monde aux projections-débats et ça fonctionne !
Qu’est ce qui a changé en 40 ans pour le cinéma ?
Pour le cinéma d’auteur, ce qui a changé avec l’évolution technologique, c’est qu’il y a beaucoup plus de films avec peu de moyens. Parmi ces films, il y a de bonnes surprises, mais beaucoup n’arrivent pas à sortir au cinéma. Il y a aussi beaucoup plus de documentaires, souvent très intéressants. Donc on a une vraie créativité, davantage de films à voir sur les écrans des smartphones mais tout le monde ne parvient pas à produire des œuvres pour les écrans des cinémas.
« Je n’ai aucune inquiétude pour l’avenir du cinéma »
La domination des plateformes est-elle inquiétante pour vous ? Est-ce que c’est le glas du cinéma ? Comment vous voyez l’avenir du cinéma ?
C’est comparable aux années 60 avec la vidéo qui se popularisait par les magnétoscopes, mais la magie est toujours la même. Voir un film avec du public, partager une œuvre dans une salle avec des émotions vécues ensemble, quelle que soit la concurrence, rien ne pourra jamais enlever ce plaisir-là. On l’a vu pendant la pandémie. On a souffert. On avait besoin de toucher l’autre, au sens propre comme au sens figuré. Ce ne sera jamais égalé. Je n’ai aucune inquiétude pour l’avenir du cinéma. Il existera toujours dans 200 ans.
Comment ça se passe dans le cinéma en Espagne où vous vivez ?
En 2022, il y a eu une belle production, un nouveau cinéma et de nouveaux cinéastes intéressants, en particulier, le fils de Fernando Trueba, Jonás, ou la Catalane Carla Simon, Ours d’or à Berlin en 2022 dont le film « Alcarras » va bientôt sortir en France. Et comme en France, la fréquentation remonte.
« Rien ne change ! Le prix des places non plus ! »
Certains, comme Jérôme Seydoux, pensent qu’il faut augmenter le prix des places, faire du cinéma un produit de consommation de luxe. Vous avez tranché récemment pour le Diagonal : il n’y aura pas d’augmentation des tarifs. Est-ce que ça reste vrai ?
Rien ne change ! Le prix des places non plus !
Que faites-vous maintenant de vos journées là où vous vivez, près de Figueras ?
Je vais au cinéma ! Mais, malheureusement, je n’ai pas beaucoup de choix. Il y a un petit Multiplexe à Figueras… À Gérone, il y a un cinéma qui fait partie du réseau Europa Cinémas, et qui porte un nom qui fait gloire au cinéma français : le « Truffaut », très aidé par la ville et géré par un collectif de critiques de cinéma. On parle depuis des années d’un jumelage entre le « Truffaut » et le « Diagonal » mais on ne l’a encore jamais fait. Sinon, je bricole, j’aime beaucoup ça. Pendant la pandémie, j’ai écrit un scénario mais les producteurs ne veulent pas financer un vieux scénariste comme moi. C’est pas grave. Je prépare des voyages. Je pars bientôt en Colombie avec ma compagne pendant deux mois. Je lis beaucoup, surtout des auteures femmes, espagnoles et latino-américaines. Je ne m’ennuie pas.
Diagonal, la marque conquérante aux 8 cinémas
(*) Il a existé jusqu’à 8 cinémas Diagonal sous l’impulsion d’Antoine Pereniguez, qui aura été une figure marquante de la culture montpelliéraine. Le premier a été lancé en 1983. C’est l’actuel cinéma Nestor Burma à Celleneuve. Puis ce sera, en 1987, le Diagonal Campus, l’actuel Utopia. Ensuite le cinéma de la Paillade dans ce qui est aujourd’hui la Maison pour Tous Louis Feuillade, ouvert en 1989. En 1993, à la place d’un ancien cinéma porno, est lancé le Diagonal Centre, place Saint-Denis. Ultime joyau d’un empire aux pieds d’argile qui a connu son lot de passion, et de cinéphilie flamboyante, d’achats et reventes, de liquidations judiciaires et de brouilles, l’actuel cinéma Diagonal de la rue de Verdun avait été acheté à Gaumont, l’ennemi juré contre lequel Antoine Pereniguez a bataillé une bonne partie de sa vie. Si on ajoute deux cinémas éphémères à Sète et une tentative d’implantation dans le 5e arrondissement de Paris, cela porte à 8 le nombre de cinémas sous l’enseigne montpelliéraine d’art et essai.
Bienvenue à Martin Bidou et à Charlie Pereniguez.Merci de garder l’excellente programmation de Noemie Bédére. Que vive notre « Diagonal » sans pop corn et autres…j’ai connu les 8 cinéma diago… que notre Diago centre vive encore longtemps.
Denise GUILBERT Envoyé depuis mon mobile Samsung
bonjour,
très bel article, beau parcours que celui d’Antoine.
Tant qu’à faire l’historique, et en contre-point du perfide « frère-ennemi » de votre question, il pouvait utilement être précisé qu’Antoine a fait ses premières armes d’exploitant à Utopia Avignon et ouvert son premier cinéma montpelliérain, à Celleneuve, grâce à – et sous enseigne – Utopia, avant de le rebaptiser Diagonal. C’est bien pour cette raison qu’au moment où le navire prenait l’eau, il s’est tourné vers Utopia pour la reprise de l’ex-Diagonal Campus. Mais on est heureux quoi qu’il en soit de la consolidation et de la poursuite de l’aventure du Diago au sein du circuit de cinémas géré par Martin Bidou et Haut et court.
Et bon vent au toujours, quoi qu’il en dise, jeune retraité !
Merci Arnaud Clappier pour ces précisions utiles !