Valérie Chevalier : « Anne Hidalgo a fait preuve d’une grande violence institutionnelle »

Dans un entretien accordé à LOKKO, Valérie Chevalier revient sur les circonstances rocambolesques de la nomination d’Olivier Py à la tête du Châtelet à Paris alors qu’elle était donnée favorite. La directrice de l’OONM évoque aussi les difficultés que traverse Montpellier comme d’autres grandes maisons d’opéra en France obligées de renoncer à certaines programmations.

« Reconnaissante envers Alice Coffin »

LOKKO : En 2018, vous déclariez dans le magazine « L’étudiant » que le milieu de l’Opéra était « hyper macho ». Cette phrase est toujours d’actualité ?

VALERIE CHEVALIER : Ce sont les décideurs qui sont machos : quelle place accorde-t-on réellement aux femmes ? Quels postes occupent-elles ? Elles sont souvent numéro deux alors qu’elles ont les capacités à être numéro un. La plupart du temps, elles servent d’alibi ou de justification de quotas dans les candidatures ! Souvent, les jeunes femmes ne candidatent même pas, sûres qu’au bout du compte, c’est un homme qui sera choisi ! Certaines « osent encore l’ouvrir » et se faire entendre. Je suis reconnaissante envers Alice Coffin, une vraie activiste, une femme qui porte une parole et qui a su dénoncer les faits qui ont entouré la nomination d’Olivier Py.

« Comme si on vivait dans une royauté »

Vous confirmez qu’Olivier Py ne faisait pas partie du choix du comité de sélection.

Franchement, Xavier Couture avait réuni un jury « poids lourd », un comité qui a étudié très sérieusement les dossiers, et reçu les candidats ! Nous avons passé 45 minutes devant ce jury et répondu à toutes leurs questions… À quoi sert cette procédure dont on ne tient absolument pas compte ? Qu’est-ce que ça dit de nos représentants politiques ? Qu’est-ce que ça nous dit de la démocratie ? Tout se passe comme si on vivait dans une royauté…

Dans quel état d’esprit êtes-vous depuis ?

Je ne sais pas… Pour l’instant, j’éprouve un drôle de sentiment que je n’arrive pas à analyser. Je sais que ni mes compétences ni mon projet sont en cause. Déjà, je trouve courageux ceux qui n’ont pas eu peur de dénoncer le procédé.

Vous croyez à l’éventualité de l’influence de l’ancien adjoint à la culture de Anne Hidalgo, Christophe Girard, dans son choix de nommer Olivier Py « avec une vive insistance » selon Télérama ? Ce qui aurait peut-être provoqué un surcroît de colère chez Alice Coffin ? (*)

Oui, lui sans doute et un autre élu dont je tairai le nom. Mais de façon plus générale, Anne Hidalgo a fait preuve d’une grande violence institutionnelle et d’un mépris total pour le travail du comité de sélection.

« Paris, ce n’est pas que des épiceries bio ! »

En l’annonçant par un tweet qui se conclut par « c’est Paris » ?

Et bien justement Paris ce n’est pas ça, Paris ce n’est pas que des paillettes. Tout le monde ne va pas écouter un concert à l’opéra Bastille en achetant un billet à 180€ ! Et le public à Paris, ce sont aussi des classes populaires qui devraient pouvoir aller voir un spectacle. Paris, ce n’est pas que des épiceries bio, c’est aussi des Leader Price !

Avez-vous été contactée par Anne Hidalgo ou son équipe depuis ?

Non ! Aurélie Filippetti (ndlr, ancienne Ministre de la culture et nouvelle directrice des affaires culturelles de la Ville de Paris) m’a appelée pour m’annoncer que les deux finalistes avaient été écartées au profit de quelqu’un d’autre sans le nommer. Le reste, je l’ai appris dans la presse.

Les Scènes de Faust déprogrammées

Plusieurs grandes maisons d’Opéra sont dans la tourmente : l’Opéra du Rhin, Rouen… De votre côté, vous avez annoncé une déprogrammation pour raisons financières. Où en est l’Opéra de Montpellier ?

Toutes les maisons d’Opéra ne sont pas égales : celles qui ont une régie municipale s’en sortent mieux car les équipes sont rémunérées par les villes, ce qui n’est pas notre cas. La programmation des « Scènes de Faust » était ambitieuse mais Schumann n’est pas un compositeur populaire qui attire d’emblée les foules ! Le public vient de plus en plus en famille et s’oriente vers des spectacles qui plaisent à tous comme « La Flûte enchantée » (photo). La billetterie ne démarrait pas : à 190 places vendues sur 2 000, il fallait prendre une décision. C’était de plus un programme avec un coût d’exploitation élevé : des décors à transporter, les frais de déplacement du chœur d’Anvers. Nous avons donc assuré de pouvoir garder une grande partie des chanteurs en proposant à la place le « Requiem » de Verdi qui sera dirigé pour la première fois par Michael Schønwandt.

« Nous réfléchissons à des réformes structurelles »

Les équilibres financiers sont donc bien précaires ?

Nous avons une augmentation des charges liées au coût de l’énergie (+150 000€) à laquelle s’ajoute une baisse du mécénat ( -100 000€). Nous avons la chance d’avoir un public fidèle mais il y a une baisse de billetterie d’environ 10% ce qui correspond à 200 000€. Le Covid a entraîné des frais au niveau des personnels et nous avons aussi de nombreux départs en retraite et puis surtout nous n’avons pas encore terminé le remboursement des aides de la période Covid : lors du dernier C.A de 2021 a été voté le remboursement de l’excédent des aides de l’état soit quasiment un million d’euros. Et surtout, je tiens à le souligner : nous payons 2 millions et demi d’euros de loyer à la société Montpellier Events pour le Corum, ce qui est énorme et constitue une charge très lourde pour l’opéra.

Quelles sont les aides attendues ?

Nous sommes en attente d’une petite aide de l’État pour payer le salaire des chœurs et, avec la Métropole (ndlr : actionnaire majoritaire dans un budget de 20 millions d’euros), nous réfléchissons à engager des réformes structurelles et nous sommes en attente d’une aide de leur part pour passer la crise…

Le Châtelet : une nomination houleuse

(*) En 2017, Anne Hidalgo nomme Ruth Mackenzie à la tête du Châtelet, grand théâtre parisien à la santé florissante. Une gestion calamiteuse et quelque 4 millions d’euros de déficit plus tard, Xavier Couture, son président du conseil d’administration, propose à la maire de Paris un appel à candidatures pour le poste de direction. Il constitue dans ce but un comité de sélection. Y siègeront pendant plusieurs mois des administrateurs du théâtre et des élu(e)s dont Alice Coffin, Carine Rolland élue à la culture ou encore Aurélie Filippetti, directrice des affaires culturelles de la ville .

Novembre 2022 : une trentaine de dossiers sont à l’étude mais rien ne bouge. Anne Hidalgo tergiverse rêvant déjà d’un « outsider » car même si ce comité peut émettre des avis favorables, il est entendu que la Maire de Paris seule, prendra la décision.

Décembre 2022, le comité de sélection rend ses conclusions. Deux candidates semblent correspondre au profil recherché : Valérie Chevalier, directrice de l’Opéra de Montpellier et Sandrina Martins directrice du Carreau du Temple à Paris. Laurent Campellone, chef d’orchestre et directeur de l’Opéra de Tours reste également en lice en troisième position.

Janvier 2023 : les finalistes sont invités à présenter leur projet devant le comité. A l’issue de cette longue audition, deux femmes finalistes arrivent au bout du processus et doivent in fine rencontrer Mme Hidalgo. Cette dernière étape n’aura jamais lieu. Anne Hidalgo annonce la nomination de l’ancien directeur du festival d’Avignon en twittant : « C’est une promesse assurée d’audace, de joie, de surprises et d’impertinences. C’est Paris ! »

Une attitude qui déclenche la stupéfaction dans les rangs du comité de sélection et la colère d’Alice Coffin : l’élue dénonce sur les réseaux sociaux « une nomination sexiste » et « l’entre-soi au sein des institutions culturelles » donnant ainsi le top départ d’un emballement médiatique dans la presse nationale. Elle avait, avec d’autres élues, pointé la proximité de Christophe Girard avec l’écrivain Gabriel Matzneff, accusé de pédophilie, et obtenu son départ de l’équipe municipale.

Photo de Valérie Chevalier @Mario Sinistaj

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