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Nat Yot et Virginie Despentes au Rockstore : un concert d’anthologie

Un concert mémorable, jeudi dernier au Rockstore avec la star de la littérature française et icône féministe Virginie Despentes pour la lecture d’un texte de Calaferte avec la pétillante et impeccable Nat Yot en première partie.

J’écris de chez les moches, pour les moches, les vieilles, les camionneuses, les frigides, les mal baisées, les imbaisables, les hystériques, les tarées, toutes les exclues du grand marché à la bonne meuf« .  Pas question de rater une des « Nuits magnétiques », « mettant en avant des femmes d’exception en des lieux mythiques ou historiques » : ce 16 mars, les iconoclastes organisateurs de What The Fest (*) accueillaient, à guichets fermés, Virginie Despentes, l’une des voix féministes les plus écoutées en France depuis le manifeste King Kong Théorie, pour une lecture d’un texte fondateur « Le requiem des innocents » de Calaferte.

Un Rockstore complet, c’est la pression assurée, venue du fond, sur ceux qui sont devant la scène. C’est étrange comme depuis le Covid, ce qui est un peu compliqué à vivre procure en même temps une sensation précieuse de liberté. Beaucoup de femmes c’est sûr, mais surtout un public très transgénérationnel. L’indémodable Rockstore a vécu un de ses grands soirs.

Nat Yot en majesté

Elle l’a écrit elle-même sur sa page Facebook : Nat Yot a « plié la scène du Rockstore hier soir devant 800 personnes qui n’ont pas regretté d’être venues voir la première partie de Despentes« . C’est pas faux. On connaît bien l’univers de la montpelliéraine mais elle paraît chaque fois davantage en maîtrise. Auteure à multiples facettes (à lire son excellent « Janis Joplin » dans la collection Les Indociles), elle se produisait avec son duo de poésie électro NATYOTCASSAN. Textes et voix pour elle, et Denis Cassan à la musique et aux arrangements sonores.

Une Nat Yot très sûre d’elle, qui a imposé sans difficulté son show impeccablement barré. Une langue littéralement hackée, travaillée pour offrir des sens inédits, une aisance scénique, une lucidité acidulée et érotisée qui a, en effet, « plié » la scène du temple du rock. « Je me promène dans la rue, je dis bonjour, le bonjour matinal, le banal, le bonjour qui va bien, celui qui s’plaint pas, le bonjour qui appartient à tout le monde tu vois, c’est vrai il est à personne en particulier le bonjour du jour, il est libre, il est direct, il est balancé par des milliers de personnes qui en ont rien à faire de lui finalement, c’est juste histoire de dire un truc, et bonjour c’est ce qu’il y a de plus simple à dire, ça glisse tout seul, et ça surprend personne, on peut pas se faire avoir avec un bonjour… »

Un public séduit au point de chanter avec elle son refrain dans un titre où elle masse les couilles tous les vendredis de son homme-chien : « et moi, je lui masse les couilles !« . On pense beaucoup à Philippe Katerine, son idole, lequel connaît d’ailleurs bien la poétesse montpelliéraine dont il cite, dans « Beau Magazine », son petit livre « Ils » comme un des titres fétiches de sa bibliothèque.

Quelques minutes d’entracte où fusent quelques « Macron, démission ! » en ce soir de 49.3, et c’est la diva Despentes qui arrive sur scène en jean et tee-shirt noir. Changement de style depuis l’univers hétéro de la brune à la blonde lesbienne, égérie des meufs de tous âges et beaucoup des très jeunes. Gros tatouage sur l’avant-bras gauche, elle sourit, d’un sourire particulièrement doux face à la petite crise de folie qui salue son apparition, paraissant être assez peu concernée par son statut de star.

Silence religieux pour la queen Despentes

« Et donc là, c’est une lecture de Calaferte, c’est les premières pages et j’espère que ça ira, quoi » dit-elle sans préalable ni même un « Bonsoir, Montpellier ».

« Des ronflements s’échappaient de plusieurs cabanes. Je descendais ma rue, solitaire, tel un roi redouté que personne n’acclamerait sur son passage. Un Roi des Morts. La boue s’étalait sous mes pas. Un bruit mécanique venait des gazomètres. Ca puait. Une puanteur épaisse, flottante. Je rêvais d’un incendie destructeur. Ne plus appartenir à cette misère consentie, ne plus être obligé de revenir sur cette terre. J’avais mal en moi. A cause de ce mal, un matin, en rentrant, après avoir reniflé mon village, et que la souffrance eut fait place à la folie, je tuai Scoppiato« 

Son hommage au grand Calaferte qui a tant compté pour elle, Virginie Despentes le donne depuis 2015 avec le groupe de rock lyonnais Zëro pour payer une dette littéraire au mythique « Requiem des innocents ». Somptueux récit autobiographique d’une jeunesse misérable dans la banlieue lyonnaise, publié en 1952.

Et donc là, serré en mode sardines -une situation assez contrariante pour les corps qui ont envie de danser-, c’est une longue lecture dans le silence gothique du Rockstore, avec cette prêtresse cool surplombée dans l’obscurité par les projecteurs et leurs cônes de poussière. Nappage musical cinématographique en clair-obscur, l’accompagnement de Zëro est splendide. Despentes bouge à peine, boit un peu d’eau et repart. Le plus fou c’est que le public tient, captivé, hypnotisé même, alors que la queen, à la diction monocorde, n’est pas une excellente lectrice. D’ailleurs dans les commentaires un peu sacrilèges, entendus ici-et-là, il était question de cette première partie qui, franchement…

 

Photos de Géraldine Giordano. A la UNE, de gauche à droite : Nat Yot, Virginie Despentes, Muriel Palacio, directrice et Léalou Brau, membre de l’association organisatrice What the Fest.

 

(*) Basée à Montpellier et créée en 2015, parrainée par les auteurs de Bande Dessinée FABCARO et PTILUC, l’association WHAT THE FEST s’est « donnée pour mission de bousculer les codes, de susciter des émotions, de faire découvrir des artistes qui passent sous le radar des monopoles« . 

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