En France, il y a plus de 10 millions d’aidants, accompagnant un proche malade ou âgé. Réalisé par l’association montpelliéraine Nos Mémoires Vives, un documentaire sonore et photographique « Aidant, aidé, corps à coeur engagé », révèle l’intimité des aidants et aussi des aidés. Des paroles très fortes. Il est projeté ce 12 avril salle Pétrarque.
Avec Sébastienne Clavel, chargée de la diffusion du documentaire, il y a eu beaucoup d’échanges mais il a fallu du temps pour oser cliquer sur le lien Youtube de l’association « Nos Mémoires Vives » (lire en bas de page). Et se décider enfin, respirer un grand coup, pour affronter un récit de ce qu’on a soi-même connu. Comme pressenti, le film diffuse une grande force d’amour tout en explorant avec tact ce statut complexe de l’aidant. Il recueille une parole encore rare sur cette communauté silencieuse, « le plus gros parti de France ».
20 heures d’entretiens
9 aidants et 7 de leurs proches aidés, vivant sur le territoire du grand Pic St Loup dans l’Hérault, ont été interviewés par Pauline Orain, Mathilde Boucher, Edith Meffre et photographiés par Sarah Desteuque. Parmi eux « des duos mère-fille, mère-fils, mari-femme, femme-femme ou encore des trios mère-père-fille. Parmi les aidés, certains ont la maladie d’Alzheimer, d’autres Parkinson, d’autres encore sont tout simplement avancés en âge ». Le documentaire sonore et photographique « Aidant, aidé, corps à cœur engagé » restitue en 60 minutes les 20 heures de rushs audio collectés et le millier de photos réalisées.
Dans ces podcasts mis en image se racontent des vies percutées par la maladie ou le grand âge. Experts qui ne sont ni professionnels, ni formés, les aidants ont émergé à la faveur d’une mutation de la société (notamment le vieillissement de la population), prospérant dans un de ses angles morts. C’est un néologisme dont le sens et la reconnaissance connaissent une structuration récente.
Le film raconte le choc de l’annonce du diagnostic pour certains jusqu’à l’entrée contrainte dans un statut totalement impensé pour la plupart. Ce qu’une aidante appelle l’aspiration dans « un typhon », une « tornade ». « J’ai vu ma vie exploser », dit une autre. « J’ai eu envie de me tirer de là. » Il faut affronter « les bugs » de son proche, son « intimité crue ». C’est « pas logique qu’un enfant fasse la toilette de son père. Mon père que j’ai connu en costard 3 pièces ».
« Une position de combat »
Très souvent, on devient aidant sans le savoir. « Tu ne vois pas que tu pars vers une aventure au long cours. » S’opère presque insidieusement « le transfert des charges » de l’aidé à l’aidant. D’un côté celui ou celle qui peut, de l’autre celui ou celle qui ne peut plus. Subi au début, l’aidant se forme. S’organise dans une grande improvisation solitaire. On met des mots, on trouve du sens. « Prendre son rôle, c’est ne pas subir » raconte un témoin. C’est « une position de combat ».
Le documentaire n’élude pas la question délicate du placement : « Je n’ai jamais autant pleuré que quand mon père était en Ehpad ». Une fille a eu du mal à trouver une place pour un père « violent et fugueur ». Quelques personnes sont « en colère face à l’institution », la plupart ont préféré garder leur parent à domicile quand c’est possible.
« Qui c’est le chef papa ? »
Le bouleversement des liens est là aussi exprimée de manière qu’on entend généralement peu. Un interviewé confie qu’il répugnait à devenir « le majordome » de sa femme. « Qui c’est le chef papa ? » demande une fille à son père. On l’entend répondre de loin : « C’est toi ! » Une aidante s’occupant de son père atteint d’Alzheimer et de sa mère victime d’un AVC, tous deux transfigurés par la maladie, explique joliment qu’il a fallu se faire à ce « nouveau papa » et à cette « nouvelle maman ». Il y a cette expression troublante : faire « le deuil blanc » de ses proches encore vivants, mais disparus.
La peine des aidants mais aussi celle des aidés s’illustre par des formules-choc qui ne sont pas préméditées. Une maman dépendante attend son heure, se sentant coupable : « Je les empêche d’être heureux ». Une vieille dame américaine parle de sa jalousie face à son mari en pleine forme. « Je suis terriblement jalouse de mon mari. Et je sens qu’il n’en peut plus de moi. »
« Je suis en danger »
Souvent la fatigue, la douleur enfouie, abyssale, s’exprime. Fonction cathartique du film dont on sent qu’il a été le fruit de multiples précautions (*). « Je ne suis plus qu’une aidante. Je suis en danger. Je suis en perdition… mais je ne me sacrifierai pas. Une vie en vaut une autre… À quel moment, je dirai ce n’est plus possible ? »
Mais c’est bien l’amour, incomparable, qui a le dernier mot. Grandi dans l’épreuve. Dans « Aidant, aidé, corps à cœur engagé », on parle de l’extraordinaire « élan vital » des aidants et de ce « lien unique développé dans cette situation ». Un amour sous pression qui ouvre aussi un « chemin de sagesse ».
Projection du film photographique : « Aidants, aidés, corps à cœur engagé », salle Pétrarque à Montpellier, mercredi 12 avril à 19h30. Entrée libre, sur réservation : asso.mva34@gmail.com
Photos Sarah Desteuque.
Changer nos représentations de la vieillesse
« Nos Mémoires Vives » est une association montpelliéraine qui se donne pour objet de « faire entendre la voix des personnes âgées et porter les sujets liés au vieillissement sur la place publique ». Ses outils principaux sont « le récit de vie, la collecte de témoignages et la valorisation de ces derniers par l’audiovisuel ». Elle intervient auprès des structures sociales et médico-sociales, sur les territoires pour collecter la mémoire de collectivité ou encore en établissements scolaires pour proposer des espaces de rencontres et de collectes intergénérationnelles. L’ensemble des actions donne lieu à la création de documentaires ou séries de podcast, accessibles sur le site de l’association et sous forme d’événements grand public.
(*) L’équipe de « Nos Mémoires vives » a été accompagnée dans ce projet par des infirmiers, un coordinateur de réseau gérontologique, un neuropsychologue, un animateur de café des aidants.
Le site de l’association, ici