Salomé Saqué : « On est des millions, on peut changer le cours de l’Histoire ! »

Confinement, crise climatique, précarité de l’emploi… Dans son livre « Sois jeune et tais-toi », la journaliste Salomé Saqué dresse le portrait d’une jeunesse en souffrance qu’elle invite à agir et espérer. Clara Mure a assisté à la rencontre organisée par la FNAC de Montpellier.

La scène a été vue des millions de fois : dans l’émission « 28 Minutes » d’Arte, Salomé Saqué tente d’alerter sur le changement climatique mais elle suscite une perplexité ironique parmi les autres invités. Cette incompréhension avait été comparée au film « Dont Look Up », dans lequel un scientifique, invité à la télévision pour annoncer l’arrivée d’une comète, n’est pas pris au sérieux. Elle est constitutive de la perception publique de la journaliste mais Salomé Saqué a expliqué à la FNAC que le déclencheur de son livre était tout autre : le mauvais traitement d’une militante pacifiste de 20 ans par un actionnaire de Total-Énergies qui lui lança : « Connasse ! Crève et fais pas chier ».

C’est toujours un drôle d’exercice pour une journaliste d’être interviewée, comme c’est plutôt rare pour une journaliste d’écrire sur une autre journaliste. Mais il se trouve que je me suis toujours beaucoup identifiée à Salomé Saqué. Son parcours universitaire similaire au mien, ensuite son engagement en tant que journaliste et enfin son combat militant pour faire valoir l’urgence portée par notre génération et rendre compte des difficiles conditions d’existence en 2023, me parlent.

Je fus rassurée que la rencontre soit animée par Eduardo Castillo, l’écrivain et conférencier qui avait brillamment mené l’entretien avec la grande historienne Michelle Perrot dans l’ouvrage « Le temps des féminismes ». Un regard d’homme éclairé sur la question, donc. Au bout de près d’une heure trente de partage, Salomé Saqué prendra le temps de discuter avec chaque personne et restera presque jusqu’à la fermeture du magasin ! 

Dans ce nouveau livre, elle précise d’abord d’où elle écrit, à partir de qui elle est : une femme de 27 ans, ayant grandi dans la campagne ardéchoise, où s’est forgée une conscience écologique, habitant aujourd’hui à Paris en tant que journaliste pour des médias engagés comme Blast, Socialter, Arte. Celle qui s’est faite connaître pour sa couverture du mouvement des Gilets Jaunes dans « Le vent se lève » a dû combattre le sexisme et le « bashing anti-jeunes ». Considérée tour à tour comme « femme en colère », « ultrasensible », « pessimiste » puisqu’ouvrant la bouche sur des réalités souvent tues, voire qualifiée de personne « irréaliste » et « utopiste ». 

Dans l’introduction de son livre, elle pose les termes de la discrimination : « Une expérience de vie moins longue est-elle forcément une faiblesse ? Empêche-t-elle nécessairement l’éclosion d’une pensée construite et éventuellement éclairante ? Je ne pense pas une seconde pécher par naïveté ou idéalisme. Je suis au contraire persuadée que ma génération est, dans l’ensemble, réaliste, informée et courageuse. Si d’autres avant nous ont souffert – et bien davantage, indiscutablement -, la nouveauté est ailleurs : dans la responsabilité que nous, humains, avons dans la catastrophe à l’œuvre, et dans son irréversibilité ».

« Ni jeune, ni vieille » mais assignée à sa jeunesse « comme si c’était une tare », elle veut juste tenter de renverser le discrédit accordé à la jeunesse. Elle précise combattre notamment trois idées reçues : « l’accusation de mollesse, de paresse générationnelle », « le reproche de se prendre la tête pour rien » et enfin, « le procès en individualisme qui conduit à voir dans les générations Y et Z un gang d’égoïstes dénués de toute conscience politique et insensibles au bien commun ».

Non pas une femme politique, posture qu’elle réfute énergiquement, mais une journaliste engagée qui a théorisé ce qu’elle appelle « l’illusion de la neutralité » dans un article de Socialter : « Je ne crois pas – et c’est ma vision du journalisme – que nous soyons capables de nous détacher complètement de notre vécu personnel, de nos émotions et de notre empathie. S’il est indispensable de respecter méthodologie et déontologie, je suis convaincue que la ‘neutralité’ journalistique est un leurre : je préfère embrasser ma subjectivité et revendiquer mon honnêteté ».

9 millions de jeunes

Selon l’INSEE, les « jeunes » sont des personnes âgées de 18 à 29 ans (ce qu’on appelle les générations Y et Z) et représentent 9 millions de personnes, soit 13,7% de la population française. Le livre de Salomé Saqué s’appuie sur deux sources principales : des statistiques provenant d’études sociologiques et de « pavés d’économie » afin de « démontrer avec le plus d’objectivité possible ce que c’est que d’être jeune dans les années 2020 » et une enquête qualitative afin de « remettre des visages et de l’humain derrière ces chiffres », réunissant une centaine de témoignages de jeunes de « villes, de territoires urbains et ruraux, de toutes les classes sociales et politiques ». Son ouvrage est lui-même un pavé de 320 pages avec des centaines de sources citées : une enquête très documentée, construite en trois parties titrées avec humour : « Sois jeune et fais-toi », « Sois jeune et ne t’en fais pas », « Sois jeune et lève-toi (mais pas trop) ».

52% d’emplois précaires 

C’est un des thèmes centraux de sa démonstration : « On est passés de 17 à 52% d’emplois précaires chez les jeunes, contre 7% pour les plus de 50 ans, et c’est plus de 38% des jeunes qui vivent en dessous du seuil de pauvreté ». En revenant sur l’aggravation de cette situation pendant la crise sanitaire, la journaliste regrette que le gouvernement ait mis « huit mois avant une prise de conscience » et proposé des mesures (comme le repas à 1€ au CROUS) « insuffisantes » alors que des jeunes faisaient déjà la queue aux aides alimentaires.

Catégorie sociale surmédiatisée pendant le confinement, les jeunes étaient alors présentés comme « décadents », persécutés à travers une « chasse aux jeunes et à leurs soirées illégales » alors qu’ils avaient globalement accepté de se confiner « sans chouiner ». Elle rappelle cette « rave party en Bretagne devenue une affaire d’état ». Conséquence de ce sacrifice inouï : la confiscation de « ces années considérées comme les meilleures » de la vie et leur corollaire, des décrochages scolaires en série et une santé mentale fortement affectée. Aujourd’hui, « un jeune sur cinq souffre de troubles dépressifs », rappelle-t-elle.

Reprenant la phrase de Mitterrand – « une société qui critique la jeunesse a toujours tort » -, elle exhorte à ne pas « tomber collectivement sur la jeunesse et faire le choix de sacrifier une génération ». Dans son chapitre sur « les réformes en carton des politiques publiques de la jeunesse », elle démontre que « la politique, aujourd’hui, ne protège aucunement la jeunesse des coups de la société ». Elle prend l’exemple de la déplorable communication d’Emmanuel Macron se rendant chez les youtubeurs McFly et Carlito pour « parler aux jeunes sans mettre de mesures en place ».

Tout se passe comme si la jeunesse était une communauté citoyenne de seconde zone, à laquelle était attachée ce « grand cliché » selon lequel les jeunes se foutent de la marche du monde alors qu’ils s’informent juste autrement : via les réseaux sociaux, via les émissions d’HugoDécrypte sur Twitch. Méprisés, ils sont soumis à une injonction paradoxale d’exemplarité. Salomé Saqué prend l’exemple de Greta Thunberg à qui l’on reproche de ne pas apporter de solutions alors qu’à 16 ans, elle alertait les dirigeants politiques du monde entier sur l’urgence d’agir.

Un livre pour les grand-parents !

Ceci dit, la journaliste rappelle à plusieurs reprises dans ce livre qu’il n’est pas « anti-vieux » et qu’il faut l’offrir aux personnes plus âgées qui sont « les moins informées » : « ce livre n’est pas un brûlot anti-boomers. Je veux simplement mettre en évidence le caractère hors sol des critiques récurrentes envers la jeune génération, tenter d’esquisser la réalité qui est la nôtre, et démontrer la nécessité (l’urgence !) d’une union de tous, jeunes et plus âgés, pour lutter contre les crises auxquelles nous devons faire face aujourd’hui ». La conclusion de « Sois jeune et tais-toi » se fait avec une formule-choc : « En finir avec la guerre des générations ».

Les bonnes révoltes

Dans la dernière partie du livre, Salomé Saqué envisage la dégradation des rapports entre les jeunes et l’État. Et une classe politique vieillissante notamment sur les questions d’écologie, de protection animale, de genre et d’orientation sexuelle. Les jeunes seraient majoritairement anti-capitalistes de gauche ou extrémistes de droite, même si l’abstention reste leur premier parti. À la FNAC, quand un homme du public « de 50 ans et de droite » se lève pour lui partager son incompréhension sur l’opposition entre la gauche et la droite, entre l’État et le peuple, les jeunes et les vieux, elle lui répond que « la violence subie crée de l’opposition d’intérêts. Bien sûr, il faut s’unir, mais c’est difficile de dire à ceux qui subissent d’être dans l’union et la paix ».

La désobéissance civile est, pour elle, une option. Mais dans son chapitre sur « les différentes formes d’engagement citoyen », elle témoigne de la nécessité de ceux qui s’engagent dans la rue, mais aussi sur la toile comme avec le ZEvent (l’événement caritatif de Montpellier) ou en consommant éthique et responsable, en étant bénévoles et militants dans des associations, ou en exigeant du « sens et de l’éthique dans le travail ». Elle prend en exemple les jeunes ingénieurs d’AgroParisTech qui ont eu le courage de « déserter un système écocitaire ».

Comment rêver dans un monde en ruines ?

« 80% des jeunes jugent l’avenir effrayant. » Le GIEC a démontré qu’il existait une véritable « inégalité générationnelle face aux changements climatiques : les jeunes auront leur vie entière impactée, notamment par ces vagues de chaleur entre les problèmes d’accès à l’eau, à la nourriture, aux énergies, entrainant une instabilité géopolitique. L’avenir sombre sous bien des aspects pourrait l’être moins si les politiques mises en place changeaient ». Pour Salomé Saqué, il ne sert à rien de « blâmer les générations précédentes car beaucoup ne savaient pas l’origine humaine du réchauffement climatique ». L’heure est à l’adversité heureuse. « Il ne faut pas tomber dans le désespoir vu toutes les possibilités de s’engager. On est des millions, on peut changer le cours de l’Histoire ! »

À une jeune militante féministe, elle a donné le sage conseil de « se lancer » et de ne pas avoir peur « d’être illégitime comme ce fut son cas, tout en préservant sa santé ». Elle dit elle-même avoir « travaillé jusqu’à sacrifier sa santé, pensant que rien ne pourrait l’arrêter dans cette course à la justice ».

« Ce qui compte, écrit-elle, ce n’est pas l’inaction passée, c’est ce que vous allez faire après avoir lu ces pages. Ce qui compte, c’est pour qui vous voterez, où vous placerez votre argent, ce que vous consommerez, comment vous vous engagerez à nos côtés. Ce qui compte, c’est comment vous allez vous joindre à nos utopies et renouer avec votre idéalisme de jeunesse. Ce qui compte, c’est la manière dont vous allez vous adresser à vos enfants et à vos petits-enfants à partir de maintenant. C’est la façon dont vous saurez leur tendre la main et saisir la leur. »

 

 « Sois jeune et tais-toi », Salomé Saqué, éditions Payot, 19,90€.

Photos Clémentine Schneidermann.

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Bernard Thys
Bernard Thys
1 année il y a

Je viens d’entendre un reportage sur LN24 concernant le livre « Sois jeune et tais-toi ». Il faut que les jeunes et plus âgé travaillent ensemble pour trouver une solution. Faire croître l’économie est une vision à très court terme , mais destructif à moyen et long terme. J’essaie de trouver l’adresse mail de Salome Saque.. Beaucoup de gens âgés apprécient aider les jeunes. Je suis Belge.

Valérie Hernandez
Administrateur
1 année il y a
Répondre à  Bernard Thys

Hélas on ne donne pas son contact mais vous pouvez demander à son éditeur Payot ou la contacter par les réseaux sociaux où elle est active.

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