Colette Richarme, peintre, femme, du mépris à la consécration

Ostracisée à Montpellier où elle vivait, notamment par quelques illustres confrères, mieux perçue à Paris mais sans pouvoir y peser, la peintre Colette Richarme (1904-1991) voit enfin son œuvre magnifiée par la parution d’un ouvrage splendide. Et une importante rétrospective Richarme démarre le 12 mai à Pézenas.

Dans les années 90 du siècle dernier à Montpellier, les salles de rédaction de la presse locale s’étaient habituées aux visites inopinées, de loin en loin, de Michèle et Janik Boisseau. Deux sœurs, deux femmes dans la force de l’âge, mais toutes discrètes, adorablement attachantes. Elles venaient remettre aux journalistes de la rubrique « culture » la dernière parution d’un modeste bulletin régulier. Il comportait quelques pages. Il s’appelait « La Vignette ».

La maison de La Vignette

Aujourd’hui existe à Montpellier un théâtre contemporain, d’excellente réputation, qui s’appelle « Théâtre de la Vignette ». Il y a un lien. En bordure du campus de la faculté Paul Valéry, ce théâtre a été édifié à l’emplacement d’une maison de campagne languedocienne, qui s’appelait la Vignette. Jusqu’à la construction des bâtiments universitaires dans les années 1960, tout ce secteur de Montpellier demeure quasi rural. Encore aujourd’hui, l’allure de quelques demeures, et la végétation qui les entoure au milieu des résidences, témoignent de cet autre temps.

Pendant un quart de siècle avant sa destruction, La Vignette abrita le foyer de Colette Richarme et son mari Jean Boisseau, avec leurs deux filles Michèle et Janik. Colette Richarme est artiste peintre. Son mari militaire de carrière ; peu réceptif à la vocation artistique de son épouse. Née elle-même en 1904, de parents installés en Chine, c’est au gré des affectations de Jean que Colette s’installe à Montpellier en 1938. Ville qu’elle ne quittera plus, jusqu’à son décès en 1991.

C’est à partir de cette disparition que Michèle et Janik, entourées d’une poignée de connaisseurs.es, de passionné.es, ami.es, entreprennent d’entretenir la mémoire artistique de leur mère. D’où la naissance du bulletin « La Vignette ». D’où leurs visites opiniâtres dans les rédactions. Dernièrement, on rencontrait encore Michèle dans la demeure qui accueillit ensuite la famille. Un paysage analogue. Mais un peu plus loin, vers le Château d’Ô. Ainsi en 2022, la très vieille dame peut lâcher, satisfaite : « Ça y est. On souffle. L’oeuvre de Richarme va continuer. La mission est presque accomplie ».

Mission colossale. Et peu banale. Trente ans après, elle prend la forme d’un ouvrage impressionnant, aussi élégant que savant, aux éditions montpelliéraines « Deuxième époque ». Pour leur directeur Christophe Bara, c’est un premier pas dans le domaine des arts visuels, alors que sa réputation s’est faite jusque là dans l’histoire et la théorie des arts de la scène. Pointu.

1000 pages en 2 tomes

Sur plus de mille pages réparties en deux tomes, « Colette Richarme, une artiste en quête d’absolu » réunit tout ce qu’un esprit contemporain curieux peut désirer savoir, et questionner, du parcours et de l’oeuvre d’une artiste qui aura traversé tout le vingtième siècle sans jamais poser son pinceau. 750 reproductions d’oeuvres accompagnent quatre-vingt textes signés d’une quarantaine d’auteurs : historiens d’art, conservateurs de musées, spécialistes de toutes sortes, écrivains, témoins.

Dès 2005, une association s’était attelée à la tâche, conduite par Régine Monod, professeure. La fidélité de la mémoire filiale et sororale ne pouvait suffire à crédibiliser une œuvre. Le domaine de l’art a aussi ses règles. Scientifiques, techniques. Parfois ses arcanes. Politiques, mondaines. Il fallut dresser inventaire systématique, se soucier de sauvegarde, ordonner les archives, restituer les écrits (des notes, de la correspondance et du journal, jusqu’à la pure création poétique et littéraire, considérable, de la plume de Richarme même), donner des conférences, produire de l’audiovisuel, multiplier les expositions. Axe majeur de cette imposante reconstruction post-mortem : des donations importantes, effectuées auprès de plusieurs collections publiques dont les musées Fabre à Montpellier, et Paul-Valéry à Sète.

600 huiles, 2000 dessins

Il y avait matière : en soixante-dix années de travail, Richarme a laissé plus de six cents huiles et près de deux mille dessins et gouaches. Elle parle de cette passion : « Les heures succédaient aux heures et je peignais toujours. La brosse alourdie de pâte s’écrasait volontaire sur la toile et la martelait d’une touche nette et rapide. Elle cernait, pointait, balafrait et frappait un morse indéchiffrable au profane. Le pinceau ensorcelé, paraissait soumis à la dictée d’un démon amoureux du rythme. Nerveusement secoué, il courait avidement entraîné par une force secrète. »

Mais attention, derrière la vivacité de l’image ici condensée par l’artiste elle-même, sa démarche au très long cours relève d’une recherche toujours relancée, tendue, indéfiniment réfléchie, commentée et annotée, jusque sur un versant philosophique, voire spirituel. Colette Richarme se défia des déchirements de son époque entre abstraction et figuration. Elle en dépasse les limites. On l’estima héritière de l’impressionnisme, mais capable de se frotter au cubisme. Très construites, ses toiles n’oublient pourtant rien de la sensation pure.

Une passion pour la couleur

Celle-ci se traduit dans une passion éclatante pour la couleur, qui devient quasi forme, et la lumière, mais qu’elle lie, de passage en rythme, au bord de la musicalité et du questionnement de l’écriture poétique (elle se passionne pour Mallarmé, entre autres). On put aussi la rapprocher du fauvisme. Mais combien difficile à classer. Cela au travers de portraits, de natures mortes, de thèmes religieux (propres à sa foi), de paysages, beaucoup. Agrestes, marins, mais sans que la rebutent les signes forts de la modernité industrielle et urbaine.

C’est finalement en Languedoc – hormis bien des voyages inspirants – qu’elle trouva la source inépuisable des richesses de sa touche : « Tant que j’ai été à Paris, j’ai peint la lumière parisienne, les gris, les noirs. Et puis je suis arrivée ici, j’ai été enchantée par cette lumière méditerranéenne. Je dois dire que c’est cette lumière qui a donné le caractère de ma peinture. C’est une peinture claire, moderne. »

Or la vie montpelliéraine fut loin de la combler. Dans son roman « Notre livre », Richarme compose un personnage dénommé « Isolée ». C’est dire. Le groupe Montpellier-Sète règne en maître sur les questions de la peinture dans la ville des années 50 et 60, alors que s’affirme la pleine maturité artistique de Richarme. On y compte des Camille Descossy, François Desnoyer, Pierre Fournel, Georges Dezeuze, bien d’autres. Mais « pas de femmes ». C’est un principe. Noir sur blanc.

Dans l’ouvrage récemment paru, Maïthé Vallès-Bled, conservatrice de musée, titre ainsi sa contribution : « Une juste reconnaissance ». Elle argumente on ne peut plus clairement : « cette exclusion ne s’appuya, comme le démontre aujourd’hui l’observation de sa production, sur aucun argument d’ordre esthétique ». Et de retenir trois hypothèses pour cette mise à l’écart dont elle fut frappée toute sa vie, du fait d’être femme, épouse de militaire, et d’avoir un caractère très affirmé.

Le sexisme du groupe Montpellier-Sète

L’ouvrage reproduit une pochade, que les membres du groupe Montpellier-Sète chuchotaient dans le dos de leur consœur. Elle est d’un tel sexisme et d’un tel niveau d’expression, digne d’un réfectoire de carabins ou d’une chambrée de corps de garde, qu’elle disqualifierait aujourd’hui tout auteur – qui n’était pourtant autre que le fort estimé François Dezeuze, écrivain, père du peintre. Dans l’adversité, c’est auprès de galeries parisiennes, et à l’occasion des salons, que la Montpelliéraine malaimée put montrer et défendre son œuvre, s’attirer les commentaires de critiques attentives, par dizaines.

Comment ne pas y remarquer que les appréciations positives consistent assez souvent à caractériser son art comme « viril ». Et les attendus sur un supposé « art féminin » qui émaillent ces pages, laissent pantois. Malgré sa ténacité, Richarme ne parvint pas, toutefois, à peser totalement dans les réseaux de la capitale, à une époque où l’on ne s’y rendait pas en TGV, où tout ne se réglait pas d’un clic via Internet.

En partie reconstruite, notamment sur sa terre d’adoption, la notoriété de Colette Richarme reste encore bien incomplète. Mentionnée ci-dessus, Maïthé Vallès-Bled fut une conservatrice très remarquée du musée Paul-Valéry à Sète. Là-bas, quelques toiles de Richarme sont  systématiquement accrochées. Tel n’est toujours pas le cas du Musée Fabre à Montpellier, quoique en possession d’un fonds important.

Aigü, passionnant, très nourri, souvent très fin, l’ouvrage « Colette Richarme, artiste en quête d’absolu », bénéficie d’un souffle supplémentaire : celui de la passion de ses initiateur.ices, en quête de convaincre.

 

« Colette Richarme, artiste en quête d’absolu », Éditions Deuxième époque, collection « La forme et la couleur », 864 pages en couleur, 68€.

Le livre sera présenté à la Comédie du livre, sur le stand des éditions Deuxième époque vendredi 12, samedi 13 et dimanche 14 (dans l’espace dédié aux éditeurs de la région sur le Peyrou). 

Le site dédié à l’artiste, ici

« Colette Richarme, une peintre dans le siècle », exposition au Musée de Vulliod Saint-Germain à Pézenas du 12 mai au 5 novembre 2023. Vernissage le jeudi 25 mai à 18h.

Photos : à la UNE, La Fête sétoise ou Le Verre de vin, huile sur toile, 1966, collection particulière / Richarme au Lac des garrigues en 1962 (image de M. Rapillard), Jeux de figures, encre, 1975, collection Richarme / Figures mouvements, encre et gouache, 1975, collection Richarme / Exposition à l’espace Dominique Bagouet, juillet-octobre 2020 à Montpellier.

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André le Corre
1 année il y a

Un article particulièrement pertinent quant au travail de Colette Richarme avec la promotion bienvenue de cet ouvrage documenté sur son travail qui regorge de visions croisées pertinentes. LOKKO participe a ce travail de découverte et de promotion qui permet de parcourir plusieurs pistes entre créateurs et public. Félicitations,

Françoise GANDELIN
1 année il y a

Magnifique article sur cette femme peintre de talent, qu’il nous appartient de faire connaître. un exposition de ses oeuvres « Colette Richarme (1904-1991), une femme peintre dans le siècle.sera visible au MUSEE DE VULLIOD SAINT GERMAIN rue Albert-Paul Allies à Pézenas à partir du 13 mai et jusqu’au – des animations sont prévues tout au long de l’été et jusqu’au 5 novembre .

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