Journaliste musical montpelliérain, signature connue de Rock & Folk, Stan Cuesta est le directeur d’une collection littéraire dédiée « aux contestataires, aux anticonformistes, aux irréguliers » de la musique : Les Indociles. Six livres publiées depuis 2019 par Hoëbeke (Gallimard).
Dans l’ordre de parution de 2019 à 2022 : Catherine Ringer par Stan Cuesta, Jacques Higelin par Nicolas Comment, Janis Joplin par Nathalie Yot, Jim Morrison par Patrick Coutin, Leonard Cohen par Pascal Bouaziz, Joan Baez par Stan Cuesta.
LOKKO : Comment t’es venue cette idée de collection dédiée à ces artistes « indociles » ?
STAN CUESTA. J’ai été contacté en 2018 par Line Karoubi qui dirige Hoëbeke, une maison d’édition indépendante rachetée par Gallimard (elle est également à la tête des Beaux-Livres de Gallimard). Elle avait envie de créer une collection un peu pointue, pas avec des grandes stars mais des caractères bien trempés, autant dans leur vie que dans leur oeuvre. Des artistes qui ont des choses à dire, avec une carrière conséquente. Bien sûr, plein de noms sont sortis. Nous nous sommes mis d’accord sur le fait que ce seraient des illustrés soignés, pas tout à fait des beaux livres, disons à mi-chemin de la qualité des beaux-livres, avec des photos de préférence rares, souvent de première main. Pour Higelin, on a retrouvé Dominique Mallegni, un photographe qui était aussi son ami. Il avait une foule de photos dans le stock de son pavillon de banlieue, qui n’avaient jamais été développées. On a visionné des tonnes de négatifs et de planches-contact pour ce livre qui a démarré la collection en 2019 avec Catherine Ringer.
L’autre caractéristique de la collection porte sur les auteurs. Je connais à peu près tous les gens qui écrivent sur la musique en France et ce sont toujours les mêmes. J’avais envie de changer ça, de ne pas faire appel aux journalistes musicaux, c’est-à-dire à mes confrères. D’aller chercher des musiciens, des poètes, des écrivains pour obtenir un regard différent. Et qui n’avaient jamais fait ça. D’où des refus, parfois, au premier abord. Il a fallu un peu insister avec certains qui pensaient qu’ils ne sauraient pas le faire… Enfin, et c’est important, ce qui caractérise aussi la collection est qu’elle propose des biographies ni classiques, ni exhaustives, mais plutôt intimes et personnelles.
Cette dimension intime est très frappante. Par exemple, Pascal Bouaziz confie qu’il aurait aimé être un dépressif aussi élégant que Leonard Cohen. Ou Nat Yot qui parle de sa mère dans son livre sur Janis Joplin.
Oui, sa mère est née la même année que Janis Joplin.
Vraiment une culture très différente des productions habituelles, assez inédite carrément ?
J’ai fait beaucoup de biographies moi-même (*), j’en lis beaucoup aussi, et j’ai vu l’évolution du métier. Aujourd’hui, tu ne peux plus écrire une biographie d’artiste comme tu le faisais, il y a vingt ou trente ans. Les infos sont partout et tout le monde les a. Même avec un pourcentage d’erreur, il suffit de taper un nom sur Wikipédia et tu sais tout. Quelqu’un qui tape Janis Joplin en sait autant que moi en une demi-journée. C’est ce qui se passe d’ailleurs : il y a une quantité de livres sur la musique qui sont des copier-coller de Wikipédia et qui encombrent le marché. Il fallait donc apporter un + : c’est ce regard artistique et personnel. Une sorte d’anti-Wikipédia de la musique !
Les auteurs ont-ils une contrainte formelle de longueur, de format, de type de récit ?
La seule contrainte imposée est simple : prendre 10 dates dans la vie de l’artiste pour en faire 10 chapitres. Pascal Bouaziz était très embêté par ces 10 dates. Il a préféré faire 10 chapitres thématiques, l’un sur les femmes, l’autre sur la drogue etc… Nat Yot, elle, a opté pour le festival de Woodstock qui était incontournable mais en élargissant ; en tirant un fil, elle raconte une époque. Nicolas Comment a évité les années 80/90 mais qui correspondent, de toute façon, aux années où Higelin a eu un vrai creux objectif.
Nat Yot va plus loin encore. Elle va enquêter, demander des avis à différentes personnes sur Janis Joplin, qu’elle insère dans son texte.
Oui, elle fait ça dans le bonus, qui est un espace libre pour les auteurs. Moi, j’ai inséré des ITV exclusives de Ringer, par exemple. Nicolas Comment a retrouvé un poème inédit de Higelin. Mais à part ça, Nat Yot a mis surtout beaucoup d’elle-même. Au départ, elle ne voulait pas le faire. Elle est d’une génération qui a davantage écouté Siouxsie and the Banshees, des choses plus récentes que Janis Joplin qui appartient vraiment aux années 60. Je l’ai prise un peu à contre-pied. Le fait qu’elle soit performeuse, poète et qu’elle ait été chanteuse dans un groupe de rock m’intéressait beaucoup.
Comment se passe le casting ? C’est toi qui sollicites une plume en lien avec un artiste choisi à l’avance ?
Oui, je pars d’une liste, soumise à Gallimard, qui peut avoir des réserves sur tel ou tel artiste quand ils ont le sentiment que ce n’est pas assez populaire. Il y a des tas d’artistes que j’aime beaucoup, plus confidentiels, qui n’ont pas leur chance, pour l’instant, dans cette collection. La plupart des noms qui y figurent ont une vraie notoriété. On avait aussi l’idée de panacher français et anglo-saxons, femmes et hommes et jusqu’ici on a plutôt bien tenu la parité. Sur cette base, j’ai une totale liberté.
Tu es toi-même auteur pour Catherine Ringer et Joan Baez. Pourquoi elles ?
Autant pour Joan Baez que pour Catherine Ringer, j’ai réalisé qu’il n’y avait rien d’intéressant, tout simplement. Si on prend Jim Morrison ou Janis Joplin, il y a intérêt à se démarquer car des tas de choses existent déjà. Sur Catherine Ringer, on ne trouvait qu’un seul livre de photos et sur Joan Baez, on disposait uniquement de ses mémoires mais qui s’arrêtaient en 1986-87 et rien d’autre. C’était assez évident d’autant que je les avais rencontrées toutes les deux et interviewées longuement. J’ai d’ailleurs consacré un long chapitre à la montpelliéraine Marianne Aya Omac qui a eu une grande histoire avec Joan Baez à partir de son passage aux Internationales de la guitare en 2009. Elle est même allée chez elle à San Francisco. Joan Baez avait beaucoup d’amis français, dont Maxime Le Forestier, que j’ai rencontrés avec l’idée d’en faire un livre que les Américains ne pourraient pas faire.
Et pour Catherine Ringer ?
Je la connaissais personnellement. Je l’ai vu débuter. On est presque de la même génération. J’ai vu les Rita Mitsouko plein de fois sur scène. Je ne l’ai pas fait avec elle car elle ne veut pas du tout s’engager dans ce genre de choses. Elle a un caractère très spécial, Catherine. Elle m’a dit : « Je ne vous aiderai pas mais je ne vous mettrai pas de bâtons dans les roues« . Je lui offert le livre. Sa réponse a été: « merci, je ne le lirai pas. J’ai trop peur de m’énerver !« . Mais son entourage, ses amis, son fils l’ont eu et ils me disent tous qu’elle leur a demandé : « alors, comment c’est ?« .
Avec le recul, ces exercices d’admiration, qui n’en sont pas vraiment, ces biographies littéraires, qu’est-ce qu’elle nous apprennent de ces grands artistes, peut-être des aspects d’eux qui nous échappaient ?
Patrick Coutin, qui a joué des chansons des Doors en tant que musicien, a eu une vision très politique de Jim Morrison. Il a eu envie de raconter, à travers l’histoire des Doors, l‘Amérique des années 60/70 qu’il a lui-même un peu connue puisqu’il a vécu en Californie, où il s’est intéressé à la Beat génération, et c’est super. Ses connaissances ne viennent pas de Google Maps; c’est ça que j’aime bien.
Comment est reçue cette collection, quel est son plus gros succès et quelles sont ses ventes aussi ?
Le marché de la musique comme celui de la littérature est un tout petit marché. Les premiers livres ont été tirés à 6000 exemplaires. En gros, on tourne autour de 3000. Dans les livres musicaux, il y a des best-sellers -Patti Smith par exemple-, mais beaucoup sont en dessous de 1000 malgré des succès critiques. La meilleure vente, c’est Jacques Higelin. Un succès qui tient au fait qu’il a un public très fidèle, je crois.
Quels seront les futurs livres ? Sur quels artistes ?
Le Cohen a été retardé pour des questions de droit. Car on demande bien sûr toujours des autorisations aux chanteurs et chanteuses vivants ou aux ayants-droit. Il y a eu une embrouille avec son manager qui nous a refusé le droit d’utiliser ses paroles alors que Pascal Bouaziz avait truffé son texte de citations… Mais ce retard a permis que le livre sorte en même temps que le documentaire « Hallelujah », ce qui nous a fait une pub d’enfer. Mais nous avons aussi pris un peu de retard avec la crise de l’édition et le coût exorbitant du papier… Ce sont des livres qui coûtent un peu plus cher. Pour les prochains artistes, c’est en discussion…
Et cette soirée du 10 mai ?
Tous les auteurs sont là. J’ai pensé à Justine Blue que j’aime beaucoup, qui a sorti un album magnifique produit par Neil Conti, notre star anglaise (ndlr : batteur qui a collaboré avec Prefab Sprout, Davie Bowie, Mick Jagger, Annie Lennox). Ils vont jouer 2 chansons des Doors, 2 chansons de Janis Joplin, 2 morceaux par artistes de la collection. Plus quelques interwiews des auteurs.e.s. Et un libraire pour les dédicaces.
(*) Journaliste musical (« Rock&Folk », « Rolling Stone »), Stan Cuesta est l’auteur de nombreux livres sur le rock et la chanson, comme « Nirvana, une fin de siècle américaine » et « Jeff Buckley » (Castor Astral), « La Discothèque parfaite de la chanson française » (avec Gilles Verlant) ou « Dylan Cover » (Le Layeur). Chanteur et musicien, il a sorti un album sous son nom (« Le Voyage intérieur ») et écrit pour d’autres artistes. Il a également traduit une dizaine d’ouvrages parmi lesquels « Babylon’s Burning », « The Clash », « John Cale, une autobiographie » (au Diable Vauvert), « New York 73/77 » de Will Hermes (Payot/Rivages), « Born To Be Wild : Dennis Hopper, un voyage dans le rêve américain » de Tom Folsom (Rivages Rouge).
Pascal Bouaziz et Stan Cuesta signent vendredi après-midi et samedi toute la journée chez Sauramps. Nat Yot, samedi et dimanche.
Collection Les Indociles, ici.
Photo de Stan Cuesta signée Guillaume Bonnefont.
Joan Baez : photo Bernard Plossu, Catherine Ringer, Jacques Higelin et Leonard Cohen : photo Claude Gassian, Janis Joplin : photo Daniel Kramer, Jim Morrison : photo Gamma Rapho.