Composé par Verdi après la mort de sa femme et de ses 2 enfants, ce requiem est une œuvre démesurée, colossale, superbement dirigée à l’Opéra Berlioz par le chef principal de l’orchestre national et du choeur de Montpellier, Michael Schønwandt, bientôt à la retraite.
A l’origine une programmation ambitieuse : deux représentations des scènes du Faust de Goethe de Robert Schuman en collaboration avec l’Opéra des Flandres. Trop coûteux et trop risqué en terme d’audience, ce projet fût remplacé par une seule et unique représentation du Requiem de Verdi, œuvre aimée du grand public, offrant de plus l’opportunité de conserver une partie de la distribution et la collaboration des deux chœurs : celui de Montpellier et le chœur des Flandres.
Le drame de l’homme sans Dieu
Six ans avant la première représentation de cette messe des morts, survient la mort de Rossini : sous l’impulsion de Verdi, une dizaine de compositeurs dont Boucheron ou encore Bazzini composent un pasticcio à sa gloire. Le projet échoue mais Verdi qui a composé le Libera me l’intégrera dans son Requiem écrit pour son ami Alessandro Manzoni. La mort qui a emporté sa femme et deux de ses enfants s’inscrit dans le réel du compositeur qui se dit agnostique, voire athée. De fait, ce Requiem souvent décrit comme opératique en raison de son écriture théâtrale est en réalité le drame de l’homme sans Dieu, postulat qui enflamma la critique au sein de la religion catholique et de ses pairs : « un mélodrame en habits ecclésiastiques » écrivit un jaloux après la première représentation.
Comment qualifier autrement ce rouleau compresseur, ce tapis sonore, cet envahissement d’une angoisse métaphysique vertigineuse à laquelle aucune réponse divine ne vient porter consolation ? Ce sont les ténèbres les plus profondes qui surgissent dès le début de l’œuvre. Michael Schønwandt qui dirige ce monument pour la première fois est incontestablement efficace. Dans un murmure magique le chœur et les cordes magnifiquement subtiles entament la supplique du repos éternel qui dans un déluge de sonorités et de décibels implorent la lumière. Tout est en place, le maestro danois en extirpe la substantifique moëlle : pas une nuance, pas une couleur ne manquent au milieu de ce flamboiement de cuivres et de cordes. L’orchestre de Montpellier répond à toutes les sollicitations : des nuances les plus pathétiques aux brillances extatiques.
Des chœurs au top
En tête du classement des heureuses surprises : le double chœur de Montpellier et celui des Flandres. Une partition redoutable par son écriture et sa durée, c’est un véritable marathon vocal où se succèdent des piani amoureux et des forte explosifs capables de passer au dessus de la puissance d’une centaine d’instruments. C’est un sans faute, une interprétation très convaincante au vu de l’ovation reçue du public.
Deuxième révélation, la mezzo-soprano Eugénie Joneau en véritable forteresse vocale : la voix au timbre large, la musicalité sont au rendez-vous contre vents et marées. Impériale dans ces solo, elle reste imperturbable dans les trio ou les quatuor malgré les quelques incertitudes de justesse de ses partenaires. Elle reste à la hauteur de l’œuvre offrant un Liber scriptus poignant.
Il revient au ténor d’ouvrir une voie vers la lumière, après l’abîme de l’angoisse humaine, il lui incombe avec le Kyrie eleison d’incarner l’espoir de la résurrection… Musicalement, le challenge est de taille et force est de constater que Ilker Arcayürek n’a pas la carrure. Un très joli timbre qui aurait sans nul doute convenu à Schumann mais qui ici pêche par un manque de puissance. Les aigus sont souvent forcés et ses attaques manquent parfois de justesse. La jolie voix de basse de Sam Carl manque de constance, presque inaudible sur le Mors stupebit, elle réjouit à d’autres moments par la profondeur du timbre.
La partition de la soprano est un véritable parcours du combattant et demande une technicité et une solidité vocale hors du commun : Katherine Broderick, qui incarna à Montpellier une merveilleuse Isolde, fait preuve de beaucoup d’endurance et de musicalité. Seules, certaines notes trop poussées pour passer au-dessus de la masse sonore de l’orchestre perdent en musicalité dans un timbre trop métallique.
Il est peu fréquent d’entendre à l’opéra des voix qui crient « Michael , on t’aime ! » Nombreux sont les admirateurs de Michael Schønwandt. Ils regrettent déjà le départ prochain du maestro qui a insufflé à l’orchestre montpelliérain une passion nouvelle. Ses options de direction pour cette œuvre magistrale accentuent les sentiments de compassion et d’humanité plus que ceux d’espoir incertain !
Photo ci-dessus, de gauche à droite : Ilker Arcayürek , Sam Carl, Eugénie Joneau, Katherine Broderick (crédit OONM).
Bravo et merci Helene pour ce regard passionné et lucide sur ce Requiem ! Regrets de n’avoir pas pu y assister.
Merci Mme Bertrand pour cet article documenté et vivant… Il nous donne l’impression d’y être! Ou plus exactement le regret d’avoir raté un spectacle d’une telle qualité pour une si belle oeuvre! Au plaisir de vous lire encore…