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Avoir 20 ans au Pouget : « Chien de la casse », le film-phénomène

Le réalisateur montpelliérain Jean-Baptiste Durand, primé ce 24 mai à Cannes (*), a attiré l’attention comme rarement pour un premier long métrage. Et c’est justifié. Inscrit en Languedoc, principalement tourné au Pouget à 30km à l’ouest de Montpellier, Chien de la casse met en scène l’errance émouvante des jeunesses villageoises contemporaines et révèle un acteur magnétique, Raphaël Quenard. 

(Article publié en mai 2023, republié à l’occasion du Cinemed où il est projeté ce samedi 28 octobre à 10h au centre Rabelais)

Attention : clichés. Le cinéma français actuel creuse assidument le sillon des drames de cités, qui s’épuisent dans la reconduction d’archétypes attendus : les bons et les mauvais musulmans, les bons et mauvais flics, les agents rédempteurs du service public plus ou moins militants, et la transcendance des relations amoureuses inter-raciales, Romeo et Juliette pas morts, tout cela grossièrement dit. Dans un second cercle périphérique, vaguement giletjaunesque, se développe le sous-genre des drames péri-urbains. La littérature n’y est pas en reste, en cultivant accessoirement la figure des transfuges de classe.

Une « oeuvre »

Voilà qui aurait pu peser lourdement sur Chien de la casse, film apparu voici un mois sur les écrans. Il s’est d’emblée attiré une grande vague de curiosité élogieuse de la part de la critique professionnelle -et cela avec une grande diversité d’angles d’approche, c’est bon signe. Le bouche-à-oreille a relayé la chose du côté spectateurs. Au moins à Montpellier, on se réjouit de la bonne nouvelle suivante : le maintien à l’affiche de Chien de la casse.

On avait d’emblée été scotché en découvrant, lors de sa sortie, ce premier long métrage du jeune réalisateur -montpelliérain discret- Jean-Baptiste Durand. Film devenu entre-temps phénomène. Comment dire ce sentiment, tenace, nullement dissipé depuis lors, d’avoir été confronté à une « œuvre ». Tout sauf un produit. Tentons cette « définition » : une œuvre, en tant que processus maîtrisé, mais toujours ouvert, d’intensités travaillées, porteur d’une histoire dont le sens et les sens aiguisent et élargissent la perception du monde.

Raphaël Quenard magnétise l’attention

Bizarrement à cet égard, Chien de la casse est intégralement animé, transporté, par une éblouissante prestation d’acteur, qui aurait pu l’écraser (mais finalement non). Raphaël Quenard incarne le personnage de Miralès. Lequel est un jeune homme,  flamboyant autant que ténébreux. Il tranche dans le paysage générationnel de son village : le film a été intégralement tourné au Pouget. Vaguement dealer, il vit chez une mère énigmatique, possédée d’une vieille vocation d’artiste, tel que l’arrière-pays en abrite tant. Beau sec, tête au vent, Miralès va, vient, traîne, sur l’écume d’un débit oratoire brillant, frotté à son goût prononcé pour la vraie littérature et même la grande musique. Il magnétise l’attention.

Miralès a deux grands amis. Son chien Malabar, plus qu’à l’aise dans son rôle poignant de meilleur ami de l’homme. Soit une relation dont il ne faudrait jamais oublier tout de même, qu’elle est faite de domination non questionnée, et de dépendance vitale strictement alimentaire (désolé pour les amis des bêtes). Son autre ami est un autre garçon du village, justement appelé… Dog. Ils se connaissent depuis l’enfance et l’école, comme cela se passe dans les villages.

Anthony Bajon, superbement mutique 

Dog (Anthony Bajon) est quasi l’inverse de Miralès. Introverti, préparant son avenir comme militaire de profession, plutôt replet, gauche et regardant ses pieds. Pour tout dire, la relation avec Miralès est des plus ambiguës, qui du simple taquinage, dérive volontiers vers l’humiliation systématique d’un faire-valoir souffre-douleur. Forcément moins accrocheuse au regard, cette autre figure n’en est pas moins dense au fond, sans laquelle aucune tension dramaturgique ne se créerait dans cette paire d’amitié virile bien tordue.

C’est ici qu’il faudrait pointer le talent majeur de Jean-Baptiste Durand. Son écriture s’élabore au travers de ses personnages mêmes, dont il semble formidablement proche, autant que des acteurs. Et tout n’est qu’une gamme finement tissée, subtile, dense autant qu’effleurée, intense autant que juste suggérée, de mouvements, transitions, retournements, métamorphoses. Rien pour s’en tenir à des archétypes, rien pour cristalliser dans des clichés. C’est toute une chorégraphie.

Un far west de l’émotivité sociale

Car c’est aussi une question de corps dans l’espace, où le tissu du village glisse des intérieurs circonscrits aux ruelles labyrinthiques, pour s’entrouvrir sur la placette, le banc public, le PMU, ou finalement s’élargir en paysages somptueux de garrigues, dignes d’un  far west de l’émotivité sociale.

Il faudra un élément perturbateur pour animer tout cela. Soit l’arrivée impromptue d’Elsa, une étudiante de la ville. En caractère, elle peut faire le poids face à un Miralès. Galatea Bellugi l’incarne, flottant entre fermeté et acuité ; et voici qu’elle emporter le coeur du brave Dog. Cela au risque de détruire le vrai faux couple constitué entre les deux garçons, non sans soulever la fureur manipulatrice du dominateur.

Un coin rural qui transpire l’ennui

Dans l’univers social déprimé, sans perspectives, des jeunes du pays entourant le trio, la violence, le risque de la violence semblerait quasiment la seule chose susceptible de survenir, de provoquer les existences, de faire qu’il se passe quelque chose. Cela en dit énormément de l’atmosphère d’une époque. C’est assez glaçant, profondément juste, même si en contrepoint un projet d’ouverture d’un resto, un peu bien, secoue la torpeur locale. Mais l’orage gronde. Une embrouille se crée, non sans résonances racisées. Les coups pleuvent, jusqu’à ce que tout puisse se dénouer de la relation entre Miralès, son souffre-douleur et sa promise.

Baigné des vents glacés du Midi autant qu’écrasé de chaleur, ce coin rural transpire indéfiniment l’ennui d’une époque, d’un territoire, où une jeunesse rurale se consume dans l’errance de regroupements autour d’un joint. La fine peinture par touches, qu’en compose Jean-Baptiste Durand,  souvent en plans fixes traversés par leurs silhouettes, en suspension, sans aucun gros trait, a pu nous faire penser aux Vitelloni de Fellini. Enormément de sentiment habite pareil regard, pas loin d’être amoureux. Indifférent à la tendance, assurément. Superbement.

Après des études à l’Ecole Supérieure des Beaux-Arts de Montpellier, Jean-Baptiste Durand a réalisé plusieurs courts métrages de fiction (« Il venait de Roumanie », « Le Bal »), un documentaire consacré à l’artiste plasticien Kader Benchamma (« Même les choses invisibles se cachent »). Son premier long métrage, « Chien de la casse » est sorti le 19 avril dernier.

 

(*) Ce nouveau prix, en hommage à l’ancien directeur de la fiction d’Arte, disparu en 2019, récompense un jeune cinéaste et un jeune producteur ou productrice. Il a été remis le 24 mai à Cannes en marge du festival, à Jean-Baptiste Durand et à sa productrice Anaïs Bertrand (Insolence Productions). Le jury était composé du producteur Toufik Ayadi (SRAB Films), de Christiane Chevalier, sœur de Pierre Chevalier, de Julie Deliquet, metteuse en scène et directrice du Théâtre de Saint-Denis, du producteur Philippe Martin (Les Films Pelléas), de la productrice Sylvie Pialat (Les films du Worso), de la réalisatrice Katell Quillévéré et de Boris Razon, directeur éditorial d’Arte France.

Photos Bac Films, Camille Sonally (la photo à la UNE et le trio dans la garrigue) et avec le chien : Sylvère Petit.

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micha Cotte
1 année il y a

Après une si belle critique , j’ai hâte de découvrir à mon tour ce film !

Colé
Colé
1 année il y a

Bonjour, je suis tombée sur votre critique par hasard et j’ai regardé le film dans la foulée
Votre critique est magnifiquement écrite tout autant que ce film éblouissant. Merci

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