Laetitia Spigarelli : au bonheur des larmes

« Actrices » de Valeria Bruni Tedeschi, « Garçon chiffon » de Nicolas Maury, « La meilleure version de moi-même » de Blanche Gardin : on connaît Laetitia Spigarelli pour ses rôles au cinéma ou dans les séries. Elle donne au Printemps des Comédiens sa première mise en scène : « Histoire(s) de larmes ». Une subtile et émouvante composition sur le thème des larmes au théâtre. Au Hangar Théâtre jusqu’au dimanche 4 juin.

C’est le programmateur du printemps des Comédiens, Eric Bart, qui a invité Laetitia Spigarelli à monter en trois semaines cette création pour l’édition 2023 du festival avec trois acteurs dont elle-même. Première image pour ce rendez-vous en pleine répétition : l’actrice et performeuse s’agite dans l’espace du théâtre du Hangar plongé dans le noir avec une bougie. « J’ai commencé le théâtre quand ma mère est morte. J’avais dix ans » confie-t-elle à la lueur de la flamme. Le prof de théâtre la disait trop fragile mais grâce à la persévérance de sa tante, et aux larmes pour convaincre, elle a intégré son cours. Elle réalise alors la puissance des « pleurs de supplication » qui font appel à quelque chose qui nous dépasse.

Des cours de pleurs à New-York

En tant que comédienne, elle a appris l’art des larmes et levé ce mystère de l’acteur et de l‘actrice qui pleure. Le fait-il avec de vraies larmes ?  C’est une question souvent posée aux comédiens.nes. Elle, a appris à pleurer à New-York auprès d’une femme au regard profond, perçant. Son regard à elle l’est tout autant. Il vacille, veut s’enfuir, nous accroche et sait nous émouvoir. Elle parle à nos âmes d’enfants qui veulent retrouver ce don des pleurs sans honte. A des hommes, des comédiens (dont le touchant Fred Blin), elle a demandé de témoigner sur leurs histoires de larmes dans une proposition faite de séquences au plateau et de témoignages filmés. Mais en commençant par un silence « pour ne pas partir d’une parole qui remplit« . Les stéréotypes se démontent sans intention militante, simplement en voulant convoquer une humanité commune. À ceux qui se méfient des émotions, qui les rejettent dans nos sociétés patriarcales, tel un tableau du machiste Picasso inversé, elle cueille les paroles d’hommes qui pleurent. Qui sont « des champs de ruines« , en guerre contre eux-mêmes, qui font semblant. En appui du miracle fragile de ces confessions, Philippe Gladieux, son artiste de la lumière, offre une scénographie épurée tout en clair/obscur.

« J’ai compris que j’allais devoir inventer ma façon de diriger, et que celle-ci passe par la physicalité. Je vis vraiment cette expérience comme un ensemble complet -contenus, méthode, expérience, attitude, écriture, partage- autour de la vulnérabilité » disait-elle dans un entretien accordé à Mélanie Drouère en mars 2023.

Une vulnérabilité comme matière théâtrale, livrée au regard, offerte à la confrontation (im)pardonnable du théâtre. Elle regrette d’ailleurs de ne jouer la pièce qu’en version courte. Tous ces textes écrits par tou.tes les comédien.nes, leur beauté, leur profondeur ne saurait être « asséchée », même durant une répétition. Ici, l’apprentie metteuse en scène continue d’apprendre à être « une humaine professionnelle« . 

« C’est ça qui est beau dans le théâtre… Tout est fragile, tout ce qu’on essaye de toucher est fragile… » me dit-elle. Elle n’a aucun problème à dire ses p(l)eurs. C’est cette fragilité qui fait de la pièce un diamant brut, encore à tailler, mais si juste. Certains moments sont magiques, en particulier quand elle se couche au sol, les bras en croix, prête à recevoir un écran de lumière sur elle. Le quatrième mur se brise quand un technicien converse avec elle de ses insomnies. C’est tout un art de la légèreté dans le tragique qui installe une confiance dans le processus soumis aux regards. Le ridicule s’invite aussi au service du « pleurer de rire » lorsque l’acteur italien Francesco Spaziani sort de son tiroir une « pasta » qu’il mange frénétiquement de peur qu’on lui vole. Déguisé en Centurion, il devise sur l’amour et la haine en endossant les clichés qui structurent le masculin. L’observant au loin, durant cette répétition, l’actrice Pauline Lorillard (c’est elle sur nos photos) commente : « C’est comme s’il était là depuis 2000 ans et ouvrait la bouche pour la première fois ».

Une humanité commune

Laetitia, elle, a choisi de s’accompagner des mots de Proust sur la souffrance de la nuit : « Les pleurs c’est l’humanité commune à la vie (…) Je les entends, je les porte en moi« . Et comme une boucle bouclée, cette scène finale de « La Mouette » de Tchekhov, magnifiquement jouée par Pauline dans le rôle de Nina, en tant que scène anthologique à larmes, qui convoque la dictature de l’émotionnel, l’injonction à pleurer. Puisqu’il ne suffit pas toujours de se le dire pour que les larmes se libèrent, Laetitia déverse sur scène des sceaux de larmes contenues. L’eau est mouvante et subversive, comme sa création, elle s’infiltre sur le plateau comme une métaphore des pleurs qui dérangent.

Pour leur sensibilité à vif, pour le risque pris de l’intimité devant un public dont on ne connaît pas à l’avance la capacité à recevoir avec justesse, cette pièce soulève une compassion immense pour les artistes, mais tout autant pour l’humanité qu’ils incarnent en miroir. Elle donne du courage. Accueillons notre vulnérabilité.

 

« Histoire(s) de larmes », co-production Printemps des Comédiens/Cie Alkimia. Samedi 3, dimanche 4 juin au théâtre du Hangar. Photo Marie Clauzade. En savoir +, ici.

 

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