Henri Tachan, un très grand auteur-compositeur, aussi culte que méconnu, est mort le 16 juillet. Un grand rebelle qui a eu la mauvaise idée de disparaître le même jour que Jane Birkin, dont Alain Souchon disait : « son métier, c’est fâché« . Un portrait pour restituer la puissante liberté de ce discret géant de la chanson française.
Natif de Moulins dans l’Allier, longtemps parisien, c’est dans le Gard, à son domicile de Villeneuve-lès-Avignon qu’il s’est éteint dimanche dernier, le 16 juillet. Henri Tachdjian pour l’état civil, né en 1939 (*). C’est à Montpellier en mars 2008 qu’il avait donné l’un de ses derniers concerts, salle Molière, en présence de Michaël Delafosse alors adjoint à la culture.
Il était Charlie
Juliette Gréco (qui l’avait chanté) ne comprenait pas pourquoi il était à ce point ignoré des médias traditionnels (**). Lorsqu’on cogne un peu trop fort contre la censure, la corrida, la chasse, l’église ou l’armée, on ne se fait pas que des amis. C’est aussi pour cela que la bande à « Charlie » (Hebdo), canal historique, celle de Cabu, Reiser, Wolinski, Gébé, Siné, Willem, l’aimaient au point d’illustrer 5 albums de ses chansons. Cavanna écrivant même à son endroit : « Si Tachan dessinait, il dessinerait dans Charlie Hebdo. Mais Tachan ne dessine pas il chante. Si le papier restituait des sons, Tachan chanterait dans le journal mais le progrès est en retard dès lors, c’est sur scène ou sur disque qu’il le fait« .
A la marge
Henri Tachan faisait partie de la grande caste des trop grands oubliés ou négligés de la chanson contemporaine. Fait accablant : sa disparition le même jour que Jane Birkin. Autant dire que la presse dans son ensemble a pu continuer à ignorer celui qui -n’en déplaise à ces supposés spécialistes ès musique- était un ACI (Auteur/Compositeur/Interprète) au milieu des années 60 de la première importance. Pensant sans doute bien faire, « Le Parisien » l’a qualifié de « militant ». Rien de plus faux : dans « Ni gauche, ni centre, ni droite », il affirmait : « Dans mon parti y a que moi et c’est déjà le merdier« . En revanche, c’est un bien bel hommage qu’on a pu lire, dès le lendemain de l’annonce de son décès, dans « L’humanité ». Le quotidien communiste titrant « Un anar au chant d’honneur ». Aussi, un salut dans « Le Monde » et dans « Le Figaro » mais pas une ligne, honteusement, dans « Libération ». Pas un mot dans les radios et encore moins à la télé à propos de son décès. Normal…
Brel, un parrain
Années 60 : pas la meilleure des périodes pour démarrer une carrière dans la chanson. Quand dans le même temps, sortant d’un poste périphérique un Dick Rivers, à la tête d’un combo ayant pour nom « Les chats sauvages » vous assure qu « Ma petite amie est vache !« . Un autre ton… Leny Escudero à qui on peut l’associer dans une certaine rage à dire avait figuré, à ses débuts, dans les hit-parades. Tachan jamais.
Jacques Brel, Tachan l’a rencontré quand il travaillait comme serveur dans un grand hôtel de Montréal au Québec. Il s’en souviendra en écrivant un peu plus tard : « La table habituelle » et ensuite « Le garçon qui te sert ». Brel le persuade de rentrer à Paris et de se lancer véritablement à l’assaut du métier. Tout naturellement, c’est vers l’interprète du plat pays qu’il demandera un mot de présentation au verso de son premier opus. Le grand Jacques ne se fait pas prier et alerte : « Madame, le lion est lâché. Écoutez-le rugir et vous connaîtrez l’ampleur de votre puissance/ Écoutez-le rugir et vous connaîtrez les hommes humiliés« . Souchon a dit de lui : « Tachan, il est comme Ferré, son métier c’est fâché ».
Une époque cul béni
Heureuse époque où les aînés avaient à cœur de prendre sous leurs protectrices ailes des plus jeunes qu’eux. Dans ce premier 33 tours, comme on disait alors, la filiation avec Brel est assez évidente. Du reste Gérard Jouannest son pianiste signe 4 musiques des 12 chansons, les autres étant l’œuvre de Jean-Paul Roseau, longtemps son complice au piano. Mais autant Brel pouvait parler des « folles » autant Tachan avec sa complainte « Les PD » se vautre véritablement. Mais c’est un peu aussi (hélas) le contexte de l’époque. Nous sommes en 1965. Et bien que flanqué du prestigieux « Grand Prix de l’Académie du disque Charles Cros », le disque ne fera l’objet d’aucun passage radio. Du coup, dès l’album suivant, Tachan, entendant régler son compte à ce boycott, attaque d’entrée de jeu avec « La Censure » : « Elle est malingre, elle est petite, elle boit des grands verres d’eau bénite ; tout en feuilletant le glossaire des mots interdits par dieu le père… » C’est l’époque où dans les programmes télés, genre « Télé 7 Jours », on n’omettait jamais d’indiquer la cote de l’avis catholique. Et où un rectangle blanc apparaissait en bas de l’écran dès qu’un film trop sulfureux -de Roger Vadim, par exemple- était programmé. Quand on n’a pas charcuté le film avant diffusion. Cela ne s’arrangera pas avec la censure lorsqu’en 1969 -sur son troisième album- et pour évoquer le retour à la vie civile des appelés partis faire la guerre en Algérie, il écrira : « Après les drapeaux ». « Hissez les drapeaux ! Une minute de silence !, Garde-à-vous les héros, Pour l’honneur de la France !, Mais après les drapeaux, L’autre vie recommence, Le retour des héros, Se passe sous silence !«
Les grandes années Polydor
Tachan déboule chez Polydor, label prestigieux dans ces années 70 où sous la direction de Jacques Bedos (oncle de Guy et très aimé par les artistes), il pourra compter sur la griffe de Jean Musy pour signer les arrangements. Il deviendra « camarade d’écurie » des Reggiani, père et fils, Georges Moustaki, Philippe Clay, Jean-Claude Pascal, Giani Esposito, Guy Bontempelli mais aussi des jeunes pousses que sont alors Dick Annegarn , Jean-Michel Caradec, Alex Busanel, Jean-Pierre Kernoa et aussi un certain Maxime Leforestier (lequel signera deux musiques pour Tachan sur ce premier album « Les amis » mais aussi « Demain la rue »).
L’ami Pierre Perret
Pierre Perret s’est dit très affecté par son décès. Il faut dire qu’avec Rebecca sa femme, ils avaient produit les deux microsillons suivants de Tachan (en 1978 et 1979) sur leur label « Adèle ». « Tachan s’est barré ! Henri, c’est la première vacherie que tu nous fais. T’avais pas le droit de te tirer comme ça en loucedé, sans rien dire à personne, comme d’hab ! » écrit visiblement très ému Perret sur sa page Facebook. « Tachan, il tape souvent plus fort que moi, il affirme-t-il être pour tout ce qui est contre. C’est pour le moins radical », ajoutait le créateur de « Lily ».
« A mon chêne pas de glands »
Henri Tachan a longtemps chanté qu’il ne voulait pas d’enfants : « A mon chêne pas de glands, à mes joues pas de larmes, pas d’enfants pour la paix des ménages, petits témoins tremblants des couples en naufrage« . Mais il finira par en avoir 2 qu’il fera poser au verso de son CD de 1996, dédiant l’album entier à leur mère. Et plus tard une complainte à son fils : « Dans les yeux de Clément ». Et une autre pour sa gamine : « Ne touchez pas à ma petite fille ». Et comment en écoutant sa poignante « Marche funèbre des enfants morts dans l’année », ne pas songer à ces 189 enfants (et peut-être bien davantage) décédés depuis le début de l’année en tentant de rejoindre nos rivages.
Un chanteur animaliste
Bien avant que ce ne soit tendance, Tachan n’a jamais caché son amour des animaux. Nombre de chansons en attestent : « La chasse », « Ma chienne », « Manolette », « Le parti des p’tits lapins », « Goupil », « Les animaux du bois de Vincennes », « Zoizeaux », « Le chat de Mickie », « Papa aimait les p’tits bourrins ».
Tout comme Léo Ferré, Tachan vouait un culte à nos grands poètes (Baudelaire, Verlaine, Apollinaire…) mais tout comme lui était un fou furieux de musique classique. « Je me shoote à Beethoven » confiait-il. Cet amour inconditionnel est parfaitement palpable à l’écoute de nombres de ses chansons. « Le joueur de flûte », « La Nuit, La Nuit, La Nuit », « Inventaire », « Le violon », « Trémolos », « Quand Tchaïkovski pleure »…
Un autre thème récurrent : le cinéma. Dans « Laurel & Hardy », « Au cinéma papa », « Greta », « Errol Flynn », « Valjean Ventura ». Et la mort : « Un homme va mourir », « Pas vieillir, pas mourir » (je ne veux pas…) et « Ceux qui restent » : « Ce ne sont pas les morts qui nous font le plus de mal, Mais le chagrin de ceux qui restent, Les morts s’en foutent, eux, Ils se tirent, se font la malle, Z’ont même plus besoin de leur veste ».
(*) « C’est bien parc’que j’m’app’lais Tachdjian, Que cet enfoiré d’enseignant, M’a fait re-répéter mon nom, En travers en large et en long, J’avais onze ans c’était la nuit, J’y repense encore aujourd’hui » (extrait de la chanson « Dupont ») .
(**) « On a autorisé et pardonné à Brel, à Brassens, à Ferrat d’avoir évoqué nombre de sujets polémiques. Mais on ne lui a pas pardonné. C’est très étrange. Je n’ai jamais compris pourquoi il n’a jamais eu plus de reconnaissance que cela » : Juliette Gréco à propos d’Henri Tachan dans un extrait du documentaire « Henri Tachan : Le prix de la révolte ». Réalisation Christophe Régnier (2017).
À lire également, de Claude Sabatier : « A propos de Tachan » (préface de Pierre Perret), Arthemus édition (2002).
Les 5 chansons incontournables
Les z’hommes : « Font leur pipi contre les murs, Quelquefois mêm’ sur leurs chaussures, Pisser debout ça les rassure, Les z’hommes, Z’ont leur p’tit jet horizontal,
Leur p’tit siphon, leurs deux baballes, Peuv’ jouer à la bataill’ navale, Les z’hommes« .
La Chasse : « Sur une boîte de conserve sur un pigeon d’argile vingt dieux c’est pas pareil, Pour les chasseurs les vrais il faut de la chair tiède avec du sang vermeil, Pour les chasseurs les vrais il faut que ça palpite de plumes et de ramage, Il faut que ça ait peur il faut que ça se sauve bref que ce soit sauvage, La Chasse, C’est le défoul’ment national c’est la soupape des frustrés, La Chasse, C’est la guéguerre permise aux hommes en temps de paix« .
Manolette : bien avant Francis Cabrel et sa Corrida, Tachan chantait en 1979 sur l’album « Inventaire » : « On est taureaux de combat, Mais des combats y’en a pas, Il n’y a qu’un génocide, Pour nous Dachau, c’est Madrid, Notre signe c’est pas l’étoile, Mais tous les sanglants pétales, Que nous plantent dans le corps, Les lances des picadors« .
Entre l’amour et l’amitié : « Entre l’amour et l’amitié Il n’y a qu’un lit de différence, Un simple « pageot », un « pucier » Où deux animaux se dépensent, Et quand s’installe la tendresse Entre nos corps qui s’apprivoisent, Que platoniquement je caresse De mes yeux ta bouche framboise, Alors l’amour et l’amitié N’est-ce pas la même romance ? Entre l’amour et l’amitié, Dites-moi donc la différence…« .
Faire une pipe à pépé. Avec cette chanson, parue en 1978 dans l’album « Une gare », Henri Tachan touchait à un tabou. Tout comme pour les personnes handicapés, parler sexualité était prohibé : « Je vous préviens si vous ne reprenez pas le refrain avec moi on y passera la nuit, tant pis pour vous si vous ratez le dernier métro » lâchait-il sur la scène de Bobino en 1982. « Fais une pipe à Pépé, avant qu´il ne la casse, Une p´tite langue à Mémé avant qu´elle ne trépasse, Et ne pousse pas des cris d´horreur, d´indignation, Ils sont comme toi, les vieux, ils ont l´cul sous l´chignon« .
Dessin de Man.
je ne l’ai vu qu’une seule fois sur scène à la fin des années70 mais ce fut comme un coup de poing : une telle puissance dans les mots. J etéécoute réguulièrement certaines de ses chansons comme La chasse et il serait bien que certaines stations programment Les jeux olympiques l’an prochain quand le délire patriotardo sportif gagnera la planète
Merci!
Merci pour ce texte Tachan méritait tellement plus de gloire ! Je cherche le film fait par Regnier sur lui impossible à trouver ! Je voudrais aussi présenter mes condoleances à sa famille mais pas d’adresse Cet homme a beaucoup compte pour moi
Excellente rėtro nécro de Tachan qui fut souvent un bagarreur et finit souvent dans les cordes.