Ce week-end, au festival Arabesques, avec la carte blanche au festival gnaoua d’Essaouira au Maroc, et au théâtre Scène en Grand Pic-Saint-Loup, à Saint-Gély-du-Fesc, avec les Dakh Daughters : une même communion dans la musique sur fond de drames.
Habib Dechraoui avait mauvaise mine, samedi soir et les sourires étaient tristes dans la médina installée dans la pinède du domaine d’O. D’origine marocaine -de Meknès-, le directeur du festival Arabesques n’avait pas dormi de la nuit. À Marrakech, la maison du grand-père de sa femme s’est effondrée mais pas de victimes parmi les ami.es et la famille. Le matin de ce samedi 9 septembre, une question s’est posée à tous : doit-on annuler les concerts du week-end ? Car il y a, comme souvent, une forte représentation marocaine dans ce festival de référence qui a démarré avec l’envoûtante Nabyla Maân à l’opéra-Comédie, chanteuse du répertoire arabo-andalou, s’est poursuivi avec Majid Bekkas, figure importante de la musique gnaoua (sur scène avec Natacha Atlas), le grand Aziz Sahmaoui, fondateur de l’orchestre national de Barbès, qui a grandi à Marrakech (photo) et jouait samedi aux côtés du compositeur et violoncelliste américain Eric Longsworth.
Et les musiciens du festival gnaoua d’Essaouira sur scène le soir. « On joue » ont décidé unanimement les artistes, smartphone collé à l’oreille. Mais une déambulation gnaoua, organisée le matin-même aux Halles de la Paillade a dû rebrousser chemin face à l’incompréhension des personnes qui étaient en train de faire leur marché.
La furia gnaoua
Le concert de la bande de Karim Ziad, auquel est attaché une certaine légende, a été aussi furieusement joyeux que d’habitude, animé par des placides Maâlem tout en satin jaune canari qui sont très forts pour mettre le waï. Avec le brillant guitariste blond Torsten de Winkel, et un saxophoniste généreux, Mehdi Chaïb, le célèbre batteur algérien -de Cheb Mami, Khaled, Joe Zawinul- a rappelé à quel point il était une référence de la fusion entre l’héritage afro-marocain, et toutes sortes d’autres musiques. Un esprit défricheur qui est la marque du festival gnaoua d’Essaouira, le « Woodstock marocain » qui attire plusieurs centaines de milliers de festivaliers chaque année, dont il est le directeur artistique depuis plus de vingt ans.
Une joie incroyable, quoique assez habituelle dans ce festival au public métissé comme il y en a hélas si peu à Montpellier. Au Maroc et ailleurs, les youyous sont les drapeaux sonores des émotions collectives dans la joie comme dans la peine.
Les Dakh Daughters, muses pour la paix ukrainienne
La veille, à Saint-Gély du Fesc, nouvelle salle liée à la communauté de communes du Grand Pic-Saint-Loup, l’association What The Fest, menée par Muriel Palacio, accueillait les Dakh Daughters pour une même communion ardente. On les a déjà vus plusieurs fois dans la région mais elles surprennent encore. Au regard de la petite tournée en France, on se demande si elles n’ont pas un souci de diffusion. Talents énormes mais audience limitée. Bizarre. Elles sont 5 à la face blanche, collant au-dessus du genou, jupon de tulle : une sororité de combat qui envoie. Formées bien avant la guerre en Ukraine, elles en sont devenues des virulentes porte-paroles de la paix. L’une d’entre elles en particulier, Ruslana Khazipova milite aux côtés de Vlad Troitsky, leur mentor et metteur en scène. Il est là d’ailleurs, expliquant à LOKKO qu’ils se sont installés en France, en Normandie, pour travailler à leur développement en Europe. Mécène du théâtre alternatif à Kiev, il est le fondateur des Dakh Daughters et leur directeur artistique.
Cela tient du cabaret allemand du début du vingtième, à la vigueur punk des russes Pussy Riot avec des emprunts au répertoire traditionnel ukrainien, dans une ambiance claire-obscure qui n’exclut pas une forme de fête et d’absurde. 5 filles énervées, muses et musiciennes, qui manient les symboles sans prendre de gants -en particulier la comparaison au nazisme de l’occupant russe- en surimpression d’un graphisme pop. Leurs interpellations sont grinçantes, sans pathos -« combien ça coûte la liberté, combien tu l’as vendue ? » -, la douleur d’une vieille femme restée au pays, qui n’a même plus de savon, évoquée avec un réalisme poignant. Elles portent des rêves simples : « Je rêve de vivre dans une autre ville où tout est à sa place« . Et finissent en brandissant leur drapeau. En français : « Merci pour votre soutien, ensemble, nous allons gagner !« .
Un show très freak où se partage une joie de conjuration. Avec la musique gnaoua d’Essaouira et le cabaret ukrainien, la force vitale de l’art tente de faire baisser l’échine aux tragédies.
Photos Arabesques, crédit Luc Jennepin, photos Dakh Daughters, crédit Oli Zi.