Nathalie Assouline : « À Tel Aviv, j’observe tout cela le cœur meurtri »

Montpelliéraine, consultante inclusion financière et e-learning, Nathalie Assouline était à Tel Aviv au moment de l’attaque du Hamas à l’invitation du Women Wage Peace, un mouvement de paix réunissant des femmes juives, chrétiennes, musulmanes et palestiniennes. Elle raconte la sidération des habitants dans une ville vide, leur colère contre le gouvernement, la barbarie, la douleur des familles des morts et des disparus.

Dimanche dernier, nous étions une trentaine de femmes invitées par Women Wage Peace pour une traversée du pays à la rencontre des femmes juives, chrétiennes, musulmanes et palestiniennes qui œuvrent toutes pour la paix au quotidien :  Kifaya d’Akko, Zehava de Modiin, Samia, Hyam et Nawal de Haïfa, Netta, du kibboutz Réïm non loin de Gaza , Reem, palestiniennes de Beit Jala, Ronit, du moschav Nativ Haassara, et beaucoup d’autres (*).

Et Vivian, du kibbutz Beri, lumineuse femme israélienne de près de 70 ans, originaire du Canada, qui a mené une vie entière d’activiste de la paix, fermement convaincue que la paix est possible si on apprend à et si on tente de vivre ensemble, fortement impliquée dans le secours aux enfants malades de Gaza, ses voisins.

Cette femme vibrante et déterminée, Vivian, aurait été kidnappée hier par le Hamas, après des heures d’épouvante, réfugiée dans son abri. Nous ne savons rien d’autre d’elle à ce jour.

« J’étais projetée dans la Shoah »

La même sensible et résiliente Netta qui nous a raconté comment son traumatisme causé par la destruction de sa maison par une roquette de Gaza l’a menée à s’engager pour la paix, s’est de nouveau enfermée 12 heures dans un abri avant d’être libérée par l’armée : « J’étais projetée dans la shoah, tapie dans un coin, je n’avais plus de pays ».

Avant-hier et les jours précédents, nous circulions dans le pays, échangions librement dans un joyeux mélange de langues et d’origines, comme en temps de paix, comme en démocratie (Nathalie Assouline, ici, en photo).

Et, c’est par ce passage même où nous nous tenions avec ces femmes qui ont édifié un mur de la paix, et devant lequel nous avons posé pleines d’espoir et de joie, que les terroristes du Hamas sont entrés en force, se déversant par centaines dans les kibboutz, villages et ville de Sderot, attaquant directement les maisons (et accessoirement l’hôpital d’Ashkelon proche).

Sourire aux lèvres et GoPro au front

Ils ont assassiné les familles, pillé les maisons dans un-va-et-vient entre Gaza et les kibboutz chargés de meubles et de biens, puis les ont brûlés. Ils ont asphyxié les familles réfugiées dans leurs abris, sourire aux lèvres et GoPro au front assurant la retransmission en direct de leur barbarie.  Des centaines de jeunes gens réunis pour une rave party dans les champs ont été fauchés, tués à bout portant. Me reviennent les images de la tuerie du Bataclan et l’effroi raconté et filmé. Les premiers témoins racontent le champ jonché de jeunes corps criblés de balles, les corps méconnaissables carbonisés dans les voitures. Plus j’entends et plus remontent à ma mémoire les descriptions des pogroms d’un temps qu’on croyait révolu.

Depuis, les chiffres macabres ne cessent de tomber (nous sommes dimanche soir), dont l’ampleur en un espace de temps si court nous sidère.  Hier à 18h30, 100 morts et 400 blessés, aujourd’hui, même heure, 600 morts, 2 100 blessés, et déjà 700 morts une heure plus tard, dont 260 de ces jeunes en fête. Combien d’otages retenus à Gaza ? Nous ne le savons pas encore, le chiffre de 130 personnes circule, le Hamas devrait bientôt divulguer leur identité en annonce du grand marchandage humain à venir. On estime à 900 le nombre de disparus, otages ou morts non retrouvés. Le décompte n’est pas fini. Les noms des soldats, soldates, policiers et policières morts, la plupart ont à peine 20 ans, commencent à être publiés par l’armée.

La « faille » de la sécurité en débat

Avec les chiffres, circulent aussi les noms des disparus. Sont-ils morts ou kidnappés ? Les familles lancent des appels poignants sur les radios et les réseaux sociaux à la recherche des leurs. Les photos de jeunes gens, tous beaux et vivants inondent Facebook au cas où… Les rescapés, les parents, dont nombreux ont accompagné par téléphone les derniers instants de vie de leurs enfants, crient leur culpabilité face à leur impuissance, mais aussi leur colère « d’avoir été abandonnés » par leur gouvernement. Ce sont les alarmes anti-missile qui ont conduits aux abris. Comme à l’accoutumée, la sirène à peine déclenchée leur a donné quelques secondes pour se réfugier dans les chambres fortes collectives ou individuelles. Mais les intrusions terroristes, n’ont pas été anticipées, ce seraient les SOS aux proches et dans les réseaux sociaux qui ont alerté l’armée. Cette faille déterminante fait déjà l’objet de forts débats et controverses en Israël (ici, des photos des otages circulant sur les réseaux sociaux).

Tel Aviv plus déserte qu’un jour de Kippour

Les copines, cousines, sœurs, s’appellent : « mon fils, ma fille, mon frère, ma sœur, mon mari a été appelé, il a rejoint son unité… », certaines la voix brisée, d’autres la voix ferme d’une évidence qui s’impose.

Le pays est à l’arrêt, Tel Aviv, la bruyante, la ville qui pulse, est plus déserte qu’un jour de Kippour, où même les vélos, trottinettes et piétons qui sillonnent la ville ce jour-là, ont déserté. Une incroyable chaîne de solidarité se met cependant en place, volontaires pour le combat comme pour l’aide civile aux victimes et déplacés des régions sud attaquées.

Tout cela je l’observe, le cœur meurtri, depuis cette ville désormais atone, dans la maison d’une proche dont les hommes de la famille sont partis, réservistes, dès le coup de fil reçu, voire en le devançant.

Cette ignoble attaque terroriste n’a pas fini de faire des morts, aux massacres des Israéliens, vont s’ajouter les morts des populations civiles de Gaza, boucliers humains derrière lesquels se cachent les armées terroristes du Hamas et du Jihad. Parmi les victimes, se trouveront peut-être aussi les amis de Vivian, kidnappée à Gaza. La terreur tue les hommes, elle tue l’espoir.

(*) certains noms ont été modifiés.

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