Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

« Balance ton père » : la Peau d’âne féministe d’Hélène Soulié

A la suite de sa fameuse série théâtrale féministe « Madam », la metteuse en scène montpelliéraine s’empare avec aisance du registre jeune public pour régler son compte au Peau d’âne incestueux de Perrault avec « Peau d’âne, la fête est finie », créé au théâtre Jean Vilar de Montpellier. On recommande !

Extension du domaine de la lutte pour Hélène Soulié à la suite de « Madam » (manuel d’autodéfense à méditer) : un sextathlon comme un carnet de voyage en 6 épisodes, réflexion sans équivalent autour des identités et du genre qui mêle des textes commandés à des autrices, des entretiens avec des scientifiques, des universitaires et le vécu des comédiennes. Et qui fait l’objet d’un livre sorti récemment aux éditions Deuxième époque, présenté fin septembre au théâtre du Rond-Point à Paris.

Cette fois, c’est au jeune public que la mère d’un garçon de 16 ans s’adresse. « En juin dernier, alors que des milliers de personnes se mobilisent, explique Hélène Soulié, s’allient pour prendre la parole sur les violences qu’elles ont endurées enfant, que des récits (jusqu’alors considérés comme des fables ?) nous parviennent, l’idée d’adapter Peau d’âne au regard de ce qui se trame aujourd’hui s’impose. Le conte troué par le réel, par l’actuel, s’impose de lui-même. S’ensuivent les premières questions : comment écrire Peau d’âne aujourd’hui ? Qui est Peau d’âne aujourd’hui ? Les enfants d’aujourd’hui connaissent-ils cette fable ? Quelle empreinte notre époque pourrait-elle laisser dans ce conte ? Qu’est-ce que le conte nous raconte d’aujourd’hui ? Très vite, je sais que je veux m’adresser aux enfants et aux adultes. À la fois, parce que le conte porte en lui-même cette possibilité d’adresse universelle, mais aussi parce que le sujet implique en lui-même la question de la place des enfants et des adultes, et leur relation dysfonctionnelle. L’idée germe donc de faire une œuvre à double lecture : Peau d’âne-La fête est finie« . 

C’est l’histoire d’une Peau d’âne de 2023 qui vit dans « la plus belle, la plus lumineuse » des familles sauf qu’elle recèle une banale monstruosité bien cachée dans ce foyer « normal » où l’on « range bien ses chaussures« . Le roi de la fable est un père qui oblige sa petite fille à faire des siestes. « C’est un jeu, on joue ! » dit-il à l’enfant.

A partir du fameux conte de Perrault (1694), Hélène Soulié, à la mise en scène et Marie Dilasser à l’écriture, ont produit un théâtre queer, où l’âne refuse son assignation de genre (photo ci-dessus), dont les protagonistes ont la raideur mécanique des jouets, où l’on fait rendre gorge aux sens malsains ayant traversé les siècles en toute impunité. Avec des emprunts au film de Jacques Demy via une recette de cake d’amour.

La vidéo vient prendre sa part de la narration, focalise sur la honte, ce qui se cache, donne de la profondeur et des lignes de fuite au récit. Du spectacle jeune public, il a les ressorts comiques qui font rire les enfants comme eux seuls savent le faire. Sans frein. C’est une pièce ludique, un peu dingue et colorée, pleine de valises qui déménagent, où des objets du quotidien comme la poubelle se déplacent par téléguidage. 

On bouge en rollers ou en auto-tamponneuse sous une boule à facette mais une ligne dramaturgique chemine souterrainement, au rythme du long et terrible chemin de Peau d’âne vers une prise de conscience, qui va mettre un terme à l’apnée typique des victimes d’inceste. Là, les bons mots sur les maux peuvent se dire. Peau d’âne est en bleu de travail : une tenue moins genrée et plus pratique que la robe aux couleurs du temps de Catherine Deneuve.

Pour la soutenir, il y a toute une coalition solidaire des héroïnes et héros de contes à déconstruire -sacré chantier !- comme une Belle au bois dormant (perruque blanche) renommée « La Moche qui dort dehors » ou une Mère Grand aux cheveux violets (à gauche sur la photo). C’est la révolte des légendes faussement innocentes de notre enfance. C’est drôle, autant que puissamment cathartique, et ça se termine par un procès. En prison les « rois-porc » ! 

Indiqué pour tout public à partir de 9 ans, « Peau d’âne, la fête est finie » est à voir en famille. Qu’est-ce que ça leur fait ? Comment ça leur parle aux parents et à ces gosses ? Ceux-ci rient très fort aux bons mots : « Tu fouettes l’autruche ! » pour dire « tu sens mauvais« , les éclate. Même si des silences pudiques se font sur certains passages, ils savent. Il faut cueillir cela -les échanges intra-familiaux seront précieux- et aller un peu plus loin dans l’exégèse. Des rencontres de bord de scène suivent les représentations dédiées aux scolaires. Une pédagogie de combat servie par une excellente troupe au taquet (Claire Engel, Lorry Hardel, Nathan Jousni, Fanny Kervarec, Jean-Christophe Laurier, Lenka Luptakova). Et pour laquelle, le compositeur Jean-Christophe Sirven a reçu le prix 2023 du Fonds SACD (société des auteurs et compositeurs dramatiques) pour la musique de scène.

 

Actuellement en tournée

Photos Marc Ginot

S’abonner
Notification pour
guest

0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

Articles les plus lus

0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x