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Mark Rothko, une expérience picturale méditative

L’une des expos importantes à voir à Paris en ce moment : 115 œuvres du peintre américain Rothko (1903-1970), icône de l’art moderne, à la fondation Louis Vuitton. S’assoir sur un banc, face à ses oeuvres, est une puissante expérience sensorielle (en photo, un auto-portrait).

Peu de toiles de Mark Rothko dans les collections permanentes des musées en France et côté exposition, il faut remonter à celle du Musée d’Art Moderne de Paris en 1999 et soudain, waouh, la Fondation Vuitton crée l’évènement, nous entrainant dans une expérience artistique immersive sans aucun objet connecté et dans la quasi-totalité de son bâtiment signé Frank Gehry.

Juste nos yeux et notre peau à nous face à 115 œuvres de cet artiste hors norme né en 1903 en Lettonie (alors l’Empire russe) dans une famille juive libérale. Son père fuit les pogroms et émigre en 1913 aux États-Unis. Élève brillant, Mark Rothko intègre Yale et en repart rapidement devant l’accueil plus que douteux réservé aux Juifs exilés. Il se dirige alors vers l’art, d’abord le théâtre puis la peinture.

L’art comme langage de l’esprit

Il commence par le figuratif dans les années 30, pour l’arrêter au milieu des années quarante, précisant ne pas avoir réussi à « rendre la nature humaine sans la mutiler ». Il écrit alors un manuscrit non publié de son vivant, La réalité de l’artiste, témoignant de son souci constant d’élucider pour lui et les autres le propos de l’art comme langage de l’esprit. Mark Rothko est un intellectuel. Un érudit passionné par la philosophie (Nietzsche et Platon) et le théâtre d’Eschyle.

En 1946, il aborde un premier virage vers l’abstraction avec ses Multiformes où des masses chromatiques en suspension tendent à s’équilibrer. Progressivement, il évolue vers ses œuvres dites Classiques qui superposent des formes rectangulaires suivant un rythme binaire ou ternaire aux tons jaunes, rouges, ocres, oranges, mais aussi, bleus, blancs, des strates translucides car même si l’artiste multiplie les couches, il le fait avec des liants très personnels, comme ceux à base d’œuf, technique venue des peintres de la Renaissance.

En quelques années, ses Classiques s’imposent comme des icones de l’art moderne et Mark Rothko est terrorisé à l’idée qu’on puisse les voir comme de la décoration car ce qui est essentiel pour lui, c’est la relation entre la toile et le spectateur et en ce sens, il érige des règles d’accrochage très précises. Par exemple, pas de fond blanc mais blanc cassé pour éviter les contrastes trop violents, toiles installées assez basses, lumière tamisée, un banc.

L’insu de l’œuvre

Au lieu de s’asseoir sur un zafu, on s’assoit sur un banc, face à l’œuvre, et on laisse nos pensées passer sans s’y accrocher et on revient non pas sur un mantra ou sur sa respiration mais sur ces rectangles aux bords flous comme pour mieux nous inviter à entrer dans un espace ouvert où la couleur s’anime peu à peu jusqu’à temps qu’une autre couleur ou plutôt qu’une nouvelle lumière apparaisse.

Mark Rothko est un véritable metteur en scène de ce qui apparait à l’insu de l’œuvre, s’offrant même vers la fin de sa carrière, le luxe de tout assombrir, de jouer avec les prémices de l’obscurité. La clarté dans l’obscurité ? Ou l’obscurité comme un aboutissement ? Quoi qu’il en soit, même dans les toiles les plus sombres et les salles les plus tamisées, progressivement, les toiles interagissent entre elles et avec nous et la lumière intérieure de l’œuvre jaillit. Mark Rothko ou la spiritualité laïque.

Expressionnisme abstrait ?

Il se suicide en 1970, les uns évoquent sa dépression, d’autres citent un anévrisme de l’aorte lui interdisant de travailler les grands formats alors que certains, plus ancrés dans le polar, parlent même d’un crime crapuleux orchestré par son galeriste de l’époque. Il est vrai que les prix des œuvres de son contemporain, Jackson Pollock, s’étaient envolés après son décès dans un accident de voiture en 1956.

Et si plus simplement, Mark Rothko qui avait pour ambition de changer le monde avec sa peinture, avait fini par admettre que sa peinture n’avait rien changé, que la peinture ne pouvait pas modifier la violence du monde ?

En revanche, ce qui est certain, c’est qu’il laisse une œuvre importante qui le range dans une catégorie qu’il jugeait aliénante, celle de « l’expressionnisme abstrait ». Abstrait ? Pour ma part, j’ai toujours vu dans ces immenses formats rectangulaires, l’expression même des paysages plats de sa Lettonie natale à laquelle il a été arraché car son père avait choisi pour sa famille justement la lumière et non les ténèbres qui étaient en train de recouvrir l’Europe entière.

Fondation Vuitton, jusqu’au 2 avril 2024, 8, avenue du Mahatma Gandhi, Bois de Boulogne, 75116 Paris.

1 (A la Une) : Mark Rothko, Self-Portrait, 1936, © 1998 Kate Rothko Prizel & Christopher Rothko-Adagp, Paris. 

2 : Mark Rothko, Untitled (The Subway), 1937, © 1998 Kate Rothko Prizel & Christopher Rothko-Adagp, Paris, Crédit photographique : © Glenn Castellano, New-York Hitorical Society.

3 : Mark Rothko, No. 9 (White and Black on Wine), 1958, Crédit artiste : © 1998 Kate Rothko Prizel & Christopher Rothko-Adagp. Paris. Crédit photographique : © Tim NighswanderImaging4Art.com

4 : Mark Rothko, Untitled (Black and Gray), 1969, Crédit artiste : © 1998 Kate Rothko Prizel & Christopher Rothko-Adagp, Paris.

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