Occcitanie : le spleen du bio

Des agriculteurs découragés, un déplacement des clients vers le local  : le bio bat de l’aile. En  Occitanie, première région bio de France, près de 300 agriculteurs, sur 13 000, ont jeté l’éponge en 2022. Un phénomène qui s’amplifie. La « déconversion » est encore plus nette au plan national. Les prix sont en cause, bien sûr. Mais aussi la surproduction, la concurrence des grandes surfaces et la dégradation des labels.

La gueule de bois après la fête ? Depuis plusieurs mois, la presse parle d’un désamour entre l’agriculture bio et le consommateur. Les ventes reculent, les bénéfices s’en ressentent, forçant de plus en plus d’agriculteurs à s’interroger sur leur avenir. Portés par leurs convictions, et après des investissements souvent conséquents, ils sont nombreux à faire marche arrière, à se « dé-convertir » pour revenir à une agriculture conventionnelle. A l’heure où la santé (préoccupante) de la planète fait elle aussi les gros titres, que penser de cette étrange évolution à reculons ? Petit tour d’horizon, sur les terres d’Occitanie, région où on était bien, où on était bio, où on était bon.

Élue « Meilleure Région » avec un 1er prix européen de l’agriculture biologique en 2022, l’Occitanie voyait « l’ensemble des actions mises en place pour le développement de l’agriculture bio » récompensée. Or malgré ce prix porté par la Commission européenne, en Région aussi, et sans être spectaculaire, la « déconversion » de nombreux agriculteurs interpelle.

En Occitanie, d’après les chiffres publiés dans la synthèse des « Données de la bio d’Occitanie » de 2022, on pourrait croire que tout est pour le mieux dans le meilleur des bio-mondes : plus 4 % d’augmentation des surfaces et exploitations bio et en conversation en 2021. Mais ce pourcentage reflète en réalité encore les soubresauts de la période Covid et post-Covid, et en parallèle, on note également que 2 % des 13 658 et quelques exploitations concernées ont arrêté le bio.

En France, entre janvier et août 2022, ce sont quelques 2 174 producteurs qui ont choisi de revenir à une agriculture dite conventionnelle, pour la plupart à contrecœur. Des abandons qui représentent pour l’instant 4 % seulement des 58 720 fermes certifiées du territoire, mais la tendance est à la hausse.

30% plus cher

Cette tentation du retour à l’agriculture conventionnelle s’explique, bien sûr, par la baisse des achats de produits bio, partout en France. Achats qui auraient dégringolé de 6,3 % entre janvier et septembre 2022, selon la Fédération nationale d’agriculture biologique (FNAB). Un recul, net, pour la deuxième année consécutive. Pourquoi ?

Premier incriminé : le prix. En moyenne 30 % plus cher que le conventionnel, le bio serait trop cher, surtout en ces temps d’inflation et d’augmentation des prix des denrées. Or si le consommateur a bien intégré l’idée que le plus faible rendement du bio se répercute forcément sur les prix, cette compréhension n’augmente pas pour autant son pouvoir d’achat !

Deuxième piste : les labels « bio », qui n’inspirent plus forcément confiance. Aujourd’hui, le consommateur n’a pas envie de payer plus cher un produit dont il n’est même pas sûr qu’il corresponde vraiment aux exigences historiques du bio. Les logos du bio ne sont plus ce qu’ils étaient, et les consommateurs le savent.

L’exemple de l’oeuf

L’œuf représente le parfait exemple de l’effet pervers du succès bio. Produit phare de l’alimentaire bio, protéine animale la moins chère, peu onéreux d’une manière générale, et essentiel dans de nombreuses préparations, l’œuf est l’un des produits que les consommateurs achètent le plus facilement estampillé « bio ». Or en alimentaire, il existe neuf labels bio, certifications distribuées par des organismes indépendants…

On a vu apparaître des petites entorses, telles que l’acceptation des OGM, certes à doses infimes, mais présentes quand même. Puis, c’est le bien-être animal avec des fermes géantes, abritant jusqu’à 3000 poules par compartiment (ou salle de ponte) : la limite permise pour obtenir un label bio. Le plus célèbre label français, AB, est l’un de ceux qui a accepté de revoir ses ambitions initiales à la baisse. En réaction, un groupement d’agriculteurs bio engagés ont créé un nouveau label, Bio Cohérence, qui reprend les critères les plus stricts du label AB. Critères sacrifiés en grande partie sous la pression des lobbies industriels, et de la législation européenne.

L’effet pervers des grandes surfaces

C’est toujours la même histoire : ça commence avec quelques originaux qui se passionnent pour le bio, les variétés anciennes, le commerce équitable… Et puis les grosses enseignes, sentant que le marché pourrait être demandeur, s’engouffrent dans cette nouvelle manne : la grande distribution appliquerait des marges en moyenne 75% plus élevées dans le bio que dans le conventionnel, selon une étude de l’UFC-Que Choisir.

Une production de masse qui a zappé les petites exploitations fermières soucieuses d’incarner les « vraies valeurs » du bio, au profit des fermes-usines, assouplissant entre autre le fameux « lien au sol » cher aux agriculteurs passionnés. Mais il y a encore d’autres pistes pour expliquer la crise du bio, et là aussi, l’œuf reste un bon modèle.

Le confinement en cause

« Les ventes d’œufs bio ont explosé durant la crise sanitaire » titrait le magazine en ligne biolineaire.com cet automne. Une analyse partagée par beaucoup d’observateurs, et confirmée par les chiffres : + 40 % en 2020 notamment pendant le premier confinement, et ses divers ateliers de cuisine et pâtisserie.

Conséquence logique : le marché a surréagi. Pour Philippe Juven, alors président de l’interprofession des œufs (CNPO), interviewé par le Figaro juste après la crise, « avec les ruées en magasin, le Covid a faussé l’analyse de marché et la réelle dynamique de ce segment du bio ». Car une fois déconfinés, les Français ont préféré investir dans les loisirs plutôt que dans l’alimentaire.

Et puis de crise en crise, de guerre en guerre, de grippe aviaire en inflation, le marché des œufs bio s’est retrouvé excédentaire, avec bien trop de marchandise sur les bras pour pouvoir espérer l’écouler à bon prix. Aujourd’hui, le marché du bio est en peine, victime du succès de ses débuts. Œufs, mais aussi lait ou viande de porc, les produits bio sont désormais déclassés, afin de pouvoir être vendus moins chers, et écouler des stocks trop importants par rapport à la demande. Une situation qui n’est pas sans rappeler les « montagnes de beurre » issues du déséquilibre créé par la PAC dans les années 70, et même si les raisons de la surproduction ne sont pas les mêmes, l’absurdité demeure.

La mâche du voisin

Mais ce que le rapport mentionne également, bien que brièvement, et qui correspond à une évolution également nationale, c’est qu’un autre mode de consommation s’impose peu à peu dans les paniers de courses : le local. Plus 3,9 % de ventes, rien qu’en Occitanie, tendance à la hausse. Après les gabegies des grandes surfaces, les petits producteurs ont la côte, que ce soit par le biais d’AMAP, ou sur les marchés, à la ferme… Souvent bio, mais pas seulement, le « du jardin » intervient là où le bio venu d’ailleurs a clairement perdu en crédibilité.

Entre la mâche du voisin, à qui on fait confiance pour ne pas abuser des pesticides, et la salade hispanique, certes bio, mais vendue sous cellophane, la question se pose de moins en moins. Et quand c’est local, de saison, bio, et en plus pas trop cher car sans intermédiaire, là, c’est la garantie « consommateur heureux ».

Anne Servin Retaillaud : « Les AMAP, une bonne solution »

Anne Servin Retaillaud, à la tête des Jardins de la Léquette, à Saint-Bauzille-de-Montmel, est agricultrice bio. Comme de nombreux exploitants agricoles, elle préfère rester sur des petites surfaces. Il y a une douzaine d’années, elle a ajouté les œufs aux légumes, « en complément, d’abord, avec moins de 500 poules ». Mais rapidement, les œufs sont devenus une partie importante de son chiffre d’affaires. Ce que les analystes avancent, elle le vit au quotidien : « Pendant les confinements, venir à la ferme chercher ses œufs et ses légumes permettait de faire la balade à laquelle on avait droit. J’ai vécu une explosion de la vente des œufs, notamment. Et puis soudain, la chute, et je me suis retrouvée à en vendre moins qu’avant le Covid ! Les gens ne venaient plus, j’ai voulu comprendre« .

« Les gens ne viennent plus à la ferme »

Avec une amie, elle envoie alors un questionnaire à ses clients. La réponse a été claire : les gens n’avaient plus le temps. Plus le temps de venir faire leurs courses à la ferme, mais plus le temps non plus de cuisiner, comme quand on était confinés. L’argent ? Le prix du bio ? L’argument l’interpelle.

« Moi, je n’ai pas augmenté mes prix, alors que le prix des poules et de leur nourriture a considérablement augmenté en un an. De 8 euros, la poule est passée à 12, quant à l’alimentation du cheptel, là où je payais 1800 euros les trois tonnes en avril 2022, je les paye 2600 euros un an plus tard. Mais je ne l’ai pas répercuté sur mes prix. En revanche, je constate que mes clients partent souvent en vacances. Dès qu’il y a un week-end de trois jours, je ne les vois pas ! C’est une autre conséquence des confinements : même trois ans après les gens veulent bouger, et n’ont plus ni le temps ni l’argent pour venir ici« .

« Ils ont arrêté de subventionner le foncier »

Le plan d’aide de la Région ? Anne n’est pas au courant. « Ça m’étonne. Je sais qu’ils ont arrêté de subventionner le foncier, alors que c’est très difficile pour ceux et celles qui veulent créer une petite exploitation. J’ai lu que la Région investissait plutôt dans les laboratoires de transformation, j’avoue ne pas comprendre pourquoi« .

De toute façon, pour l’instant, son urgence est ailleurs. À 65 ans, elle souhaiterait prendre une retraite partielle et transmettre une partie de son exploitation à sa fille et une associée, mais trouver le bon montage juridique prend du temps.

En attendant elle continue de vendre ses œufs via une AMAP. « C’est un très bon moyen d’avoir une visibilité sur les ventes, contrairement aux légumes c’est assez simple à piloter, et les AMAP garantissent un minimum de trésorerie. Ceci-dit ce serait bien aussi qu’on ait un logo « Bio fermier » par exemple, parce que le bio qui vient de l’autre bout du monde emballé dans du plastique, ça ne correspond à rien !« 

À l’heure où même les magasins bio demandent l’aide de l’État pour s’en sortir, les AMAP seront-elles la solution pour ceux et celles qui continuent d’y croire ? Circuit court et local, du bio digne de ce nom, un rapport direct avec les producteurs… La liste des avantages est longue, mais là aussi : encore faut-il avoir un point-relais non loin, afin de pouvoir passer récupérer ses achats sans grand détour.

Plan Bi’O : la région à la rescousse

Signé en septembre 2023, le Plan Bi’O, doté de 300 millions d’euros sur 5 ans, veut soutenir la production en Occitanie (*).

Objectif du plan Bi’O version 2023 : renforcer la production régionale, 1ère région bio de France et meilleure Région bio d’Europe, tout en soutenant la distribution et la consommation de produits bio. Le plan concerne les plus de 20% des surfaces agricoles régionales qui sont actuellement cultivées en bio par 13 500 producteurs engagés. Pour y parvenir, le plan s’articule autour de six axes, avec des « mesures phares » telles que l’augmentation de produits bio, notamment dans les cantines scolaires, l’organisation d’une semaine de l’agriculture bio dont la première édition a eu lieu en septembre, ou encore l’accompagnement des projets d’investissement.

À terme (en 2027), le plan projette d’atteindre 25% de surfaces agricoles régionales converties en agriculture bio (20% en 2022) et 12% de part du bio dans la consommation alimentaire des ménages, contre 6,1% en 2022.

Réaliste ? L’avenir le dira. Ce que l’on sait, c’est que le premier plan B’iO régional 2018-2022, a « permis de porter l’Occitanie en première place des régions françaises« .

(*) Il est financé par les crédits européens du FEADER, ainsi que les crédits de l’État et des agences de l’eau, parties prenantes dans ce plan de soutien. Normal : ce sont elles qui doivent gérer les conséquences des rejets de pesticides, conséquences qu’il devient difficile d’ignorer, comme en témoigne notamment Le Canard Enchaîné du 18 octobre 2023 (« Peut-on encore boire l’eau du robinet en Occitanie ? », demandait l’hebdo satirique).

PHOTOS crédit Jardins de la Léquette sauf oeufs bio et grande surface.

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