La Vie Parisienne par Christian Lacroix en euphorisante folie baroque

Réhabilitée dans sa version originelle par le Palazzeto Bru Zane (*), La Vie Parisienne, la plus connue des opérettes françaises fait l’objet d’une mise en scène sur mesure. Pour cette production de l’opéra de Montpellier, le créateur Christian Lacroix en signe les décors et les costumes et enfile pour la première fois les habits de metteur en scène. Il y réussit une folie ludique, bigarrée et baroque qui a euphorisé le public de l’Opéra Comédie.

Un opéra bouffe cosmopolite

En 1866, alors que la capitale s’apprête à recevoir des millions de visiteurs pour l’exposition universelle, Offenbach est au sommet de son art et de sa popularité. Il compose La vie Parisienne : un opéra bouffe cosmopolite, véritable bouffée de bonne humeur et d’optimisme.

Réunis par leur maîtresse commune, Metella, femme libre et futée, Gardefeu et Bobinet, coureurs de jupons fatigués et très largement fauchés décident de ne courtiser que des femmes du monde. Gardefeu jette alors son dévolu sur une baronne danoise.  Pour arriver à ses fins, il usurpe le rôle de guide, promène le mari dans une farandole de fêtes peuplée de nobles, de parvenus de tous pays et de gens du peuple. Des intrigues alambiquées s’entremêlent jusqu’au moment où les masques tombent dans un dénouement certes attendu mais  tellement drôle, dans un style que reprendra Feydeau quelques années plus tard.

Christian Lacroix décrit son décor comme une structure à la Eiffel, un demi-cercle construit autour d’un ascenseur plus ou moins social. Des panneaux, des meubles et des estrades de cabaret complètent le plateau où une foule bigarrée se déplace dans une luxuriance baroque, une explosion de couleurs et d’accessoires d’une élégante originalité. Chaque détail est précieusement travaillé et magnifie le talent des artistes : le défilé des trois danseurs est bluffant avec des costumes qui glorifient une féminité assumée et non singée avec une grâce bluffante. Christian Lacroix réussit le défi de la gaudriole sans jamais tomber dans la vulgarité : le rire est franc, joyeux mais jamais graveleux .

Un marathon au rythme infernal

Une pointure la tête de l’orchestre de Montpellier : Romain Dumas, dont on connaît le talent de directeur d’orchestre mais aussi de compositeur, réussit ce marathon musical avec brio. Il gère les aléas du spectacle vivant, rattrape le décalage du premier tableau avec une sûreté de capitaine dans la tempête et trouve tous les ressorts de cette musique brillante où les valses succèdent à des mélodies inspirées de la musique klezmer, cette musique yiddish  qu’Offenbach, juif allemand d’origine, a côtoyée dans sa jeunesse .

Un véritable marathon au rythme infernal ! Trois heures et demie de musique  que parcourent  avec talent  les musiciens de l’orchestre. Ici encore chaque détail est soigné : on peut découvrir dans cette version inédite des petits bijoux et des clins d’œil plein d’humour. Les références à Mozart égrainent la  partition : une cadence évitée par ci, un petit concerto par là et une surprise de taille dans le dernier acte ! Cette version inédite est décidemment une heureuse surprise : elle rend plus compréhensible l’intrigue et offre des parties d’écriture totalement inconnues .

Il y a de la modernité dans ces femmes là et elles sont les véritables héroïnes de l’intrigue : futées, débrouillardes et indépendantes, elles laissent les hommes croire à leurs plans tortueux et tirent en réalité toutes les ficelles dans une bonne humeur revigorante : nulle guerre des sexes ici, chacun et chacune fixe les règles du jeu. Même si le public n’est pas dupe de l’utopie, il apprécie cet optimisme qui mêle tous les milieux sociaux et les nationalités dans une joyeuse bienveillance. Voilà un bain d’insouciance qui visiblement enchante et euphorise le public.

Une distribution à l’américaine

Grâce à une distribution conçue à « l’américaine » avec des artistes chanteurs, danseurs et comédiens, Offenbach prend des allures de voyage à la Jules Verne, mêlant Fellini à l’univers de comédie musicale à la Léonard Bernstein.

Flannan Obé , fils du comédien Jean Obé, coche toutes les cases: il incarne un Gardefeu un brin dandy, séduisant et  drolatique. La voix est impeccable et il enchaîne airs et pas de danse avec facilité.

Son comparse, Bobinet, est incarné par Marc Mauillon. Un ovni musical qui parcourt le répertoire baroque ou contemporain  dans deux registres différents : ténor ou baryton. Il est ici un joyeux luron dont il incarne les facéties avec naturel. Mentions spéciales pour Jérôme Bouteiller (au centre sur la photo) qui assume le ridicule du Baron Danois avec aisance ainsi que Pierre Dhéret assurant plusieurs rôles dont celui vocalement très périlleux du Brésilien.

Les chanteuses ne sont pas en reste. Pas moins de huit talents se succèdent sur scène : Florie Valiquette est une délicieuse Gabrielle. Une vraie comédienne qui chante dans différentes positions farfelues tout en assurant des aigus fort pointus.

La mezzo soprano Eleonore Pancrazi incarne une sulfureuse Metella avec de magnifiques graves très voluptueux tandis que la soprano Marion Grange donne à La Baronne, grâce et ingénuité.

Elégance et drôlerie, technique et fantaisie : les danseuses et danseurs sont impeccables. Leur propos adapté mais aussi surprenant enrichit de nombreuses scènes : ils sont la cerise sur le gâteau de cet énorme dessert sucré mais jamais indigeste.

Ne boudons pas un plaisir si rare, celui de la bonne humeur collective ! Un public unanime a salué les premiers pas convaincants de Christian Lacroix à la mise en scène qui vient partager avec son complice Romain Gilbert des applaudissements longuement nourris. Un spectacle festif, excentrique et élégant à savourer sans modération.

(*) Le Centre de musique romantique française, qui a pour vocation la redécouverte et le rayonnement international du patrimoine musical français du grand XIXe siècle (1780-1920) a retrouvé des partitions originales et même des brouillons de l’oeuvre d’Offenbach.

A l’affiche à l’opéra Comédie de Montpellier, les 22 et 23 décembre à 20h, le 26 décembre à 17h et les 3 et 4 janvier à 19h. A priori, c’est complet…

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