On vous recommande le dernier livre du journaliste rock montpelliérain Stan Cuesta sur Jimi Hendrix et la collection musicale qu’il dirige Les Indociles. Petite surprise : la play-list de ce spécialiste de Joan Baez, Lou Reed ou Jeff Buckley, entre autres, est exclusivement française, et surtout très personnelle. On y trouve Mendelson, Nino Ferrer, les Wampas, Souchon, Pascal Comelade avec Marie et Lionel Limiñana.
Mendelson : « Héritage ». Mendelson était le meilleur groupe français de tous les temps. Copinage ? Je ne parle pas d’eux parce que ce sont mes amis, ce sont devenus mes amis parce que j’aimais ce qu’ils faisaient. Ma chanson préférée du Dernier Album. Comme Pascal Bouaziz, j’ai fait des enfants et j’ai l’impression de n’avoir rien à leur transmettre. « J’ai la casquette de grand-père / Un mouchoir / Un Opinel cassé« . Cette chanson me tue. C’est moi. J’aurais voulu l’écrire. Compliment ultime.
Bruit Noir, « Deux Enfants ». Mendelson est mort, vive Bruit Noir. Encore une chanson de filiation. Et une des plus belles évocations qui soit de Nino Ferrer, ce génie incompris, et de « Kinou », « la deuxième chanson la plus triste de toute la chanson française« .
Nino Ferrer, « La Maison près de la fontaine ». Ma mère n’avait pas beaucoup de disques. Vivaldi, Mozart, Sidney Bechet, les Platters, Amalia Rodriguez, « Aufray chante Dylan ». Et ce 45 tours de Nino Ferrer, acheté à sa sortie, magnifique, dont je ne me suis toujours pas remis. J’aurais tant à dire sur Agostino Ferrari. J’ai failli écrire un livre sur lui, et puis quelqu’un de plus malin m’a doublé… Mais j’ai fait mieux. Mon fils s’appelle Nino. La boucle est bouclée.
Les Wampas, « L’Amour, c’est comme le Tour d’Italie ». Sur scène, les Wampas sont incroyables. Mais leurs performances délirantes et grandioses ont tendance à faire oublier que Didier Wampas est, avec Pascal Bouaziz, l’un des meilleurs auteurs de la chanson française d’aujourd’hui. Capable d’écrire des choses que personne d’autre n’oserait chanter – écoutez « Roy », sur l’album précédent –, d’une drôlerie surréaliste ou, ici, d’une tristesse infinie. Comme le grand cinéma italien. Et quelle voix ! Terriblement émouvante. « L’Amour, c’est comme le Tour d’Italie / Une seule victoire, on y repense toute la vie« .
Alain Souchon, « Âme Fifties ». J’ai beaucoup aimé Souchon. Puis plus du tout. Et il a sorti ça. Il est le seul à pouvoir écrire un tel chef-d’œuvre. Tous les poils de mon corps se dressent. J’y suis, sur la plage, dans la 404 de mon grand-père. Bon, c’était dans les sixties, mais ça n’avait pas tellement changé. L’énumération des voitures et des prénoms, à la fin, m’achève. Et puis, « Dans le Radiola / André Verchuren / Les enfants soldats / Dans les montagnes algériennes. » Tout est là, en quelques mots. Superbe.
Alex Beaupain, « Cours Camarade ». Je n’aime pas la chanson française d’aujourd’hui. Je les trouve presque tous mous, nuls, gnangnans, avec des textes indigents. Mais un jour, j’ai entendu ça. Bien sûr, c’est du pur Souchon. Mais c’est la plus belle chanson que Souchon n’a jamais écrite. C’est dingue qu’un gars d’aujourd’hui parle encore de la déception de l’après-mai 68. Et une vraie mélodie, enfin ! Je sauve donc Beaupain pour cette unique chanson. Je n’aime rien d’autre de ce que j’ai entendu de lui. Pas grave, celle-là me suffit.
Nicolas Comment, « Jack ». .Jack Kerouac est pour moi l’un des plus grands écrivains du XXème siècle. Et la Beat Generation, l’un de ses mouvements littéraires les plus importants. Nous avons tellement de goûts en commun avec Nicolas Comment que c’en est parfois effrayant. Cette chanson est de toute beauté. Et son final… Comme chez Souchon ou Ferrer, une litanie de prénoms, magique. « Jack, Allen, Neal, Greg ». Typiquement le genre de titre qui, dans un autre monde (le mien), devrait être un tube, mais qui, dans celui-ci, n’en sera jamais un. Aucune importance. J’ai l’habitude.
David McNeil, « Magicien ». David McNeil est le plus grand. Nous ne sommes pas beaucoup à le savoir. Il a eu tellement peu de succès qu’il a arrêté de chanter pour écrire des livres, aussi géniaux que ses chansons. Il fallait le faire. Dans l’un d’eux, récemment réédité en version illustrée, « Quelques pas dans les pas d’un ange », il évoque superbement son père, Marc Chagall. Ce qu’il avait déjà fait, il y a des années, dans cette chanson bouleversante.
(David McNeil est tellement maudit que cette chanson n’est pas disponible sur les plateformes de streaming, comme tout ce qu’il a sorti chez RCA ! Par contre on y trouvera, sur le même sujet, « Papa jouait du rock and roll », extrait d’un de ses formidables premiers albums pour le label Saravah).
Bill Pritchard, « Une Parisienne ». Françoise Hardy, dont Bill est fan depuis toujours, était venue faire les chœurs sur son « Tommy & Co » produit par Etienne Daho. Puis il avait écrit en son hommage « The Yeah Yeah Girl From Paris » -clin d’œil au titre de l’édition anglaise du premier album de Françoise. Dans cette adaptation, j’ai été encore plus loin, en multipliant les références à notre idole commune. L’album, qui aurait dû exister en deux versions, l’une anglaise, l’autre française, dont j’avais écrit les paroles, est finalement sorti avec un mélange des deux, produit par une grosse maison de disque française. Échec commercial retentissant –ma spécialité. Je l’aime beaucoup.
(Encore une affaire de famille. Je suis dans les chœurs avec Bill et, à la guitare, notre ami, le regretté Olivier Libaux, fondateur des Objets et de Nouvelle Vague, merveilleux musicien. So long, Olivier)
Pascal Comelade, Marie et Lionel Limiñana, « Fin du Monde ». Je m’aperçois que je n’ai choisi que des Français. Moi, le journaliste de rock, qui suis censé faire la promo de mon dernier livre consacré à Jimi Hendrix. Ah ah. Encore raté. Pascal, Marie et Lionel sont des amis, eux aussi. Tous les bons sont mes amis. Et eux sont plus que bons. Ce sont les meilleurs. Du monde ! Qui touche à sa fin, d’où ce poème de Jakob Van Hoddis (1887-1942) initialement traduit par Aragon et publié dans la revue Littérature en 1922. Le texte est sublime, la musique aussi.
Portrait de Stan Cuesta @Fleur Schut