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Du grand Jacques Allaire en mari dostoïevskien

Jeu subtil autant qu’extrême, l‘acteur montpelliérain a beaucoup impressionné, en novembre dernier, au théâtre d’O, lors des avant-premières de « L’Eternel mari », adapté de Dostoïevski et mis en scène par Nicolas Oton pour la Cie Machine Théâtre. A voir les 30, 31 janvier et le 1er février au domaine d’O. 

Il tombe, éructe, pleure, rit, parle fort et malin. Mille hommes en un. Le plus intellectuel des acteurs montpelliérains livre une composition physique, incarnée, quasi chorégraphique. Parfois, des interprétations vous font écarquiller les yeux.

Depuis la mort de sa femme, Pavel Pavlovitch Troussotzky est un homme modifié. Jusqu’ici dominé par l’amour, il exprime une autre part de lui-même. « L’homme intelligent, c’est terminé » dit-il. C’est dans cet état post-traumatique que cet homme sans qualité rend visite à celui qui est le possible père de sa fille, désormais orpheline. Qui fut amant de sa femme.

Quel personnage ce mari dostoïevskien, cet homme-monstre à facettes qui ouvre d’infinies possibilités de jeu ! C’est un ivrogne attachant, un clochard céleste, aussi vicieux que candide, rustre roué, un pitre exécrable, un « bouffon aviné ». Grotesque, poignant et insubmersible. « Je pensais que vous étiez un éternel mari », lui lance l’amant de sa femme. Mais vous êtes un rapace ! ». « Pour moi, ce n’est pas le monstre qu’on décrit habituellement dans ses grimaces ou ses excès », commente Jacques Allaire, « ce qui est monstrueux c’est qu’il laisse tout voir ! »

L’acteur est bien servi par le remarquable travail de tout un collectif. En premier lieu, le metteur en scène Nicolas Oton, qui en est à sa troisième mise en scène de Dostoïevski après les « Carnets du sous-sol » et « Crime et châtiment », et a travaillé « sur les eaux sombres de la psyché humaine » pour ce face à face dont on ne sait pas toujours s’il est réel ou fantasmé. Une comédie noire qui est plus du côté de Freud que de Feydeau, du cauchemar que du duel. Ensuite une traduction lumineuse et actualisée du grand André Markowicz. La scénographie de Cécile Marc, aussi, un lieu unique, un espace sans murs comme un crâne ouvert. Et l’élégance inspirée et juste de Frédéric Borie dans le rôle de l’amant accablé. On a là, la crème du théâtre montpelliérain. Jacques Allaire n’avait jamais joué pour Nicolas Oton et n’avait pas travaillé depuis longtemps avec Frédéric Borie. L’adaptation du roman de Dostoïevski s’est faite collégialement, à trois.

Quand, corde au cou, sur le point de se pendre, l’éternel mari demande à l’ancien amant de sa femme, lui rendant une visite impromptue : « Attendez, Je vais me changer », on est dans le noir grotesque des chaos intérieurs. Et des désirs cachés. Entre les deux hommes : un baiser, qui n’est pas que russe, dit aussi les élans troubles que peut inspirer la concurrence dans un couple. Ce sont deux univers mentaux qui se touchent et flambent au souvenir du même fantôme de femme. Placés très près de la scène, avec un dispositif tri-frontal, le spectateur ou la spectatrice est partie-prenant.e, voyeur et voyeuse. 

Chez Allaire, le plaisir du jeu est manifeste. « J’adore jouer ! J’aime autant jouer qu’un enfant peut le faire », explique-t-il à LOKKO, « mais j’ai particulièrement aimé ce rôle qui est d’une complexité délirante, c’est sans fond, pratiquement du sable. Pavel Pavlovitch Troussotzky n’a pas de point fixe. Il fallait montrer l’ensemble des flottements de cette psyché plastique qui invite presque à de la danse. Un corps central, mouvant, mobile, transformé et transformant et qu’on ne peut pas prévoir ». Du grand art !

Représentations à Narbonne Scène Nationale, 8 et 9 novembre 2023, au Théâtre dans les vignes à Couffoulens, les 16 et 17 novembre, à Uzès, aux ATP,  le 21 novembre, à Alès au Cratère-Scène Nationale, les 16, 17, 18, 19 janvier 2024, au Domaine d’O (théâtre Jean-Claude Carrière), les 30 et 31 janvier 2024 et le 1er février 2024, enfin au théâtre Jacques Cœur à Lattes, le 3 février 2024.

Photos Raphaël Herdelin.

Rens, ici

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