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Montpellier-New-York-Paris : Gaëtan Bruel, l’homme mobile

Gaëtan Bruel vient d’être nommé, à 36 ans, directeur de cabinet de la nouvelle ministre de la culture, Rachida Dati. Le montpelliérain a un parcours impressionnant qui l’a mené du collège Arthur-Rimbaud à la Mosson à la Villa Albertine, 5ème avenue à New-York en passant par le cabinet du Ministre des armées, puis celui du Ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Il a fait sienne la devise de Nemo : « Mobilis in mobile ». Lionel Navarro l’avait rencontré cet été à New-York.

 

Photo Beowulf Sheehan

Quand je rencontre Gaëtan Bruel, il est encore représentant permanent des universités françaises aux USA, Directeur de la Villa Albertine à NYC, Conseiller culturel nommé, à 30 ans, auprès de l’ambassade de France où ce fils de professeur des écoles en maternelle et d’éducateur spécialisé avait raconté son goût pour le travail, son urgence à vivre, à agir intensément et sérieusement. Energique et passionné, il avait commenté ses activités au service du rayonnement artistique, culturel, linguistique de la France sur le territoire étasunien.

C’est l’après-midi, 17 heures. « Pardonnez-moi de vous accueillir sans veste. » Gaëtan Bruel me tend la main et m’invite à m’asseoir. Il est grand, le cheveu et la mèche qui lui couvre le front sont noirs, les yeux sombres. Il porte de petites lunettes, la barbe courte, un pantalon, un t-shirt, couleur sable, sans manches longues. Je n’ai pas osé regarder ce qu’il a comme chaussures. La vaste pièce où le trentenaire travaille et reçoit donne plein ouest. Devant la porte par laquelle je suis invité à entrer, un canapé, des chaises, une table design. Sans doute du mobilier français. A gauche, dans l’angle, son bureau. Devant moi, les immenses fenêtres. La vue donne sur la 5e avenue, le mur d’enceinte, les arbres de Central Park. Ce 27 juillet, le soleil tape. Fort. Un autre brûlant été à New York. Pas de clim. Je m’installe et dis au revoir à Laure Poupard, l’assistante du conseiller culturel auprès de l’Ambassade de France aux Etats-Unis. Dans son courriel de ce matin, 11h26, il m’écrit qu’il partira en vacances demain, le 28, et qu’il rentrera à New York le 21 août. De mon côté, le 21 août, je serai de retour en France depuis quelques jours.

-« Je suis disponible aujourd’hui en fin d’après-midi (5pm) si vous l’êtes également.

Bien cordialement,

Gaëtan Bruel »

-14h19, je lis le courriel, réponds à 14h20. Message retour, 14h21 : « Très bien ! A mon bureau, 972 Fifth Avenue (croisement avec la 79ème rue). Au plaisir de vous rencontrer tout à l’heure. » 

Une mère instit, un père éducateur

-« Vous vivez à Montpellier et vous enseignez ? » Lui, il y est né et a grandi à Juvignac. Aujourd’hui, sa famille habite près de l’étang de Thau. Nous évoquons la mer Méditerranée. Pour un séminaire collectif qui a réuni toute son équipe au début de la pandémie et qui a donné lieu au projet de la Villa Albertine, il a repris à son compte la devise : Mobilis in mobile, celle du Nautilus et du Capitaine Nemo. Au fur et à mesure de notre conversation, je comprendrai combien cette devise, Mobile dans l’élément mobile, constitue, renforce, dirige l’esprit d’aventure de Gaëtan Bruel. De plus, à l’instar du navigateur, il m’apparaîtra comme un explorateur aux voyages multiples épris de justice. Oublions les passages de destruction que cause Nemo dans le roman « Vingt Mille Lieues sous les mers » !

Il me dit que sa mère est « instit » -j’aime ce mot qui ne s’utilise quasiment plus- et son père, éducateur spécialisé : « Il s’occupait d’accompagner d’anciens prisonniers dans leur projet de réinsertion. » Sa famille a eu le réflexe de proposer la filière S à ce fils, bon élève, lecteur de Jules Verne. Lui, il a préféré aller en L. Mon cœur de littéraire pour qui les mathématiques sont un mystère s’en réjouit. Durant notre conversation, selon les sujets, il utilisera la langue carrée du conseiller enthousiaste et convaincu, et celle, intime, de l’homme qui se livre avec chaleur et spontanéité. Il est ravi de faire découvrir ses différentes fonctions à l’Ambassade : conseiller culture, représentant permanent des universités françaises aux USA, directeur de la Villa Albertine.

Gaëtan Bruel connaît LOKKO. Les raisons pour lesquelles je souhaite faire son portrait dans ce magazine : je suis attentif aux parcours humains, à ce qu’ils peuvent avoir d’exemplaires pour des personnes confuses quant à leur avenir, qui hésitent à se donner la chance de concrétiser leurs projets professionnels et de vie. Comment ne pas être curieux d’un individu, né en 1988, qui, à 30/31 ans, est nommé à la tête d’un service prestigieux au sein de la représentation diplomatique de la République française auprès des États-Unis d’Amérique ? Lui-même est « très curieux de tout, et notamment du parcours des autres qui peut aider à comprendre certains pièges à éviter. » Pourtant, selon lui : « Il n’y a pas de leçon à tirer des autres. Il faut se méfier des modèles. » Dois-je comprendre qu’il note, comme une possible friction existentielle et éthique, une différence entre l’être et les choix à accomplir pour ne pas se faire engloutir dans le malheur dont on est la cause ? « Ceux qui font de grandes études n’ont pas toujours les meilleures cartes. » A l’Ecole normale supérieure, l’élève Gaëtan Bruel « est sorti du cadre ». La suite de son parcours montre qu’il a fait une chance de cette volonté d’explorer des chemins différents.

Le mot « éphémère » vient aussi plusieurs fois dans sa bouche. L’éphémère de toutes choses hante-t-il cet homme dont le travail, dans les ministères, le patrimoine historique français et la politique culturelle, pourtant, a pour territoire et ambition le long terme ? Mobilis in mobile. Ancien élève au collège Arthur-Rimbaud, dans le quartier de la Mosson (photo), des années pas faciles, mais où les professeurs l’ont le plus marqué, ancien élève d’écoles post-bac de haut vol, cet homme jeune des expériences diverses a pu mesurer les écarts de chances entre les individus et les populations. « Il y a beaucoup d’inégalités dans la vie mais une égalité demeure : le bonheur et le malheur sont universels. Les réseaux sociaux -où l’herbe est plus verte qu’ailleurs- fabriquent des fantasmes. Néanmoins, c’est toujours par rapport aux conditions que l’on a réunies que l’on peut créer, où que l’on soit, son bonheur. » Après une courte pause, il ne s’adresse plus à son intervieweur mais au professeur en LP que je suis : « Des gens malheureux, il y en a aussi après l’ENS. »

Mon ami Stève Puig, universitaire, professeur de littérature française et francophone à NY me dit : « C’est un gros bosseur. » « Gros bosseur » est un euphémisme concernant la quantité de travail que ce conseiller-là abat et qu’il a dû abattre pour entrer en hypokhâgne puis rester en khâgne, à Louis-Le-Grand, Paris. « On vit dans un monde où le travail est important. » Au sein de l’Ambassade, il a un poste à responsabilités. Beaucoup de pression. La charge mentale ? Conséquente. « Après 6 ans auprès d’un ministre, dans des sujets qui peuvent être compliqués, je suis vacciné contre le stress. » Pour lui, « le travail peut être un cadre heureux. »

« Il a influencé le paysage culturel new-yorkais »

Dans un article de French Morning, Glenn Lowry, directeur du MoMa (Museum of Modern Arts), reconnaît les efforts et l’énergie du diplomate : « Avec toutes les connexions qu’il a créées, Gaëtan a profondément influencé le paysage culturel new-yorkais. » Réfléchissant aux pratiques de mes propres supérieurs hiérarchiques, dans mes expériences professionnelles, en France ou aux USA, je le questionne sur sa vision du leadership : « Le bon chef est un chef d’orchestre qui accompagne ses équipes, et se place le plus possible à leur niveau. Toutefois, la verticalité peut être utile avec comme enjeux : mettre du liant, amener tout le monde dans un projet sans effacer les singularités de chacun. Le chef crée une valeur collective et offre la possibilité de l’épanouissement personnel dans son travail. » Donner son rôle à chacun, faire que chacun soit à l’aise. Gaëtan a une certaine obsession du consensus et de l’espace pour la discussion, même dans sa position. « Il faut créer du consensus si vous avez une vision singulière des choses. Vous n’avez pas le choix. » Naïveté ? 

« Je sens une forme d’urgence »

« Ma philosophie n’est pas la procrastination. J’aimerais que ma vie soit beaucoup plus active… Pourtant je travaille assez. » Depuis sa démission de l’Ecole Normale Supérieure d’Ulm pour poursuivre d’autres projets, depuis ses années de Master en anthropologie historique à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Gaëtan Bruel a rendu concrète sa philosophie de l’existence et de l’agir : « Je me suis rendu compte que j’étais sur des rails qui ne me correspondaient pas forcément. Je sens une forme d’urgence. La vie peut être plus brève que ce que l’on pensait ».

Une réussite à la vitesse TGV

Ainsi, en 2011, après 6 mois comme Assistant de direction chez Grasset, il quitte Paris pour Columbia University et y enseigner le français jusqu’en mai 2012. Ensuite, pendant plus de 4 années, il est conseiller « discours, mémoire, culture et recherche » dans le cabinet de Jean-Yves Le Drian,  Ministre de la Défense. Ensuite, nomination, à 28 ans, au Centre des monuments nationaux : il devient Administrateur du Panthéon et de l’Arc de triomphe. 1,5 million de visiteurs par an. « J’ai eu la chance d’avoir eu des expériences professionnelles variées. Chacune m’a beaucoup intéressé. » Face à cette belle réussite à la vitesse d’un TGV, sa mère lui fait part d’une forme d’inquiétude : « Que feras-tu après ? » Après ? Gaëtan Bruel me dit qu’il a grandi pris dans la tension entre la liberté offerte par ses parents et un environnement d’excellence scolaire. Plus vous partez vite et fort, plus vous risquez, peut-être, de vous brûler les ailes. « Il y a aussi des gens malheureux dans les grandes filières. Elles sont l’exemple d’un modèle où la société vous dit quoi penser, faire. »

Les années Jean-Yves Le Drian

Il suivit Jean-Yves Le Drian dans son passage du Ministère des Armées à celui de l’Europe et des Affaires étrangères. De 2017 à 2019, l’ancien élève du collège Arthur-Rimbaud est conseiller Amériques, diplomatie culturelle, influence et Francophonie. Mobilis in mobile. La direction d’un Service d’exception à l’ambassade de France aux Etats-Unis sera l’étape suivante. Depuis 80 ans, aux USA, les services culturels français existent. Il prend son poste en 2019. Bientôt, il a à gérer une situation de crise, celle de la pandémie, des confinements, de la fermeture des frontières. Par le truchement de ses domaines à l’ambassade, la culture, l’éducation, les connaissances et les savoirs, l’homme de 30 ans observe alors que « à tort ou à raison, les Américains voient la France comme un pays qui se patrimonialise ». Là-bas, l’attraction à l’égard de notre pays diminue-t-elle ?

Retrousser ses manches, répondre aux différents défis posés : renouveler le regard des Américains sur la France et les Français, mettre en place des débats d’idées sur les questions qui les préoccupent : exploration spatiale, IA, logement, etc., éviter les malentendus dans les points de vue entre les deux pays -il y a des choses à revendiquer et des choses à se reprocher des deux côtés-, partir de la réalité de terrain, trouver comment accompagner les Français dans le développement de leur projet outre-Atlantique… « Le travail de conseiller culturel est de voir le verre à moitié vide, et de ne pas se contenter des succès que nous obtenons aujourd’hui, car ils sont le fruit d’un effort de long terme. Nous travaillons en réalité aujourd’hui pour les succès de demain. Ceux-là sont loin d’être acquis. »

Gaëtan tourne le dos à l’énorme soleil passant lentement derrière la canopée du parc. Je me demande si sa nuque n’est pas en train de fondre. A un moment donné, il me verra silencieusement peiner à taper mes notes sur mon ordinateur portable. La lumière crue, inconfortable, caniculaire, me tombe en plein visage : je coule de transpiration. Toujours assis dans un fauteuil, tout en poursuivant son propos, il déplacera, d’un bras, diplomatiquement, un autre pour le mettre dans l’ombre. Je bouge. Je suis plus à l’aise maintenant. Il ne paraît rien, sur lui, de la température dans son bureau qui est, pour moi, une gêne très apparente.  Il me dit qu’il est peut-être représentatif de sa génération. Gaëtan convoque une forme de crise de l’autorité. La génération précédente n’a pas préparé un monde meilleur pour la nouvelle génération. L’homme en face de moi tient dans la chaleur, plus de 30°C. Il a sans aucun doute appris à tenir, comme officiel, quelle que soit la situation désagréable dans laquelle les urgences, le contexte, les obligations, sa responsabilité le placent. « J’ai fait mon lot d’écarts, mais ces écarts sont positifs. Mes aventures scolaires et professionnelles m’ont transformé. » C’est-à-dire ? Il se souvient des professeurs qu’il a eus, et qui l’ont respecté, et qu’il a respectés pour cela.

Albertine, le soft power à  la française

La COVID. La pandémie a créé la Villa Albertine. Alors que tout était planétairement à l’arrêt : « Pendant 3 mois, nous avons réfléchi. Sur cette base, nous avons fondé la Villa Albertine à partir de l’idée du sur-mesure dont ont besoin les artistes et le public. Nous avons engagé le renouvellement des publics et des modalités d’action de l’ambassade. » La Villa Albertine, c’est, Mobilis in mobile, le soft-power à la française, un programme de résidences, de l’argent pour la création artistique, un dispositif global d’accompagnement des artistes français sur le territoire étasunien, des podcasts, des livres. Gaëtan me tend deux volumes. L’un, format poche, présente les projets retenus par le jury de la Villa Albertine pour 2023 ainsi que les réalisateurs, photographes, journalistes, écrivains, universitaires, biologistes, historiens, archéologues, musiciens, etc. qui les portent. L’autre, un magazine beau et copieux de 242 pages a pour titre « States – A Creative Magazine by Villa Albertine ». Le premier numéro, c’est : FOOD (IS) CULTURE.

Actuellement, la politique culturelle fait sa révolution : comment offrir à chacun ce qu’il réclame ? « Nous vivons dans un nouvel âge de l’offre et de la demande. La demande n’est plus collective mais individuelle. Ça n’a plus beaucoup de sens de dire les Américains, les Montpelliérains… Il y a mille manières de l’être ! » Les transformations sont visibles et le constat bien présent : avec internet et le numérique, « le monde culturel et la vie sont modifiés. Le monde numérique a changé nos modes de consommation culturelle. On ne va plus à un concert sans prendre son billet en ligne. » Gaëtan me fait alors découvrir « La longue traîne », un livre de Chris Anderson, entrepreneur et journaliste américain, auteur de plusieurs livres sur les économies de l’internet et de la gratuité. Chris Anderson montre comment la culture de la niche a pris le dessus sur la culture du best-seller. « Dans le monde institutionnel, on vit encore trop souvent dans un monde pré-numérique, au sens où on continue de penser que le numérique, c’est d’abord un enjeu de communication. Alors que c’est avant tout un nouveau paradigme où tout le monde a désormais la capacité de produire, distribuer et recommander des contenus. Cela nous impacte tous, comme individus mais aussi comme institutions. »

« Je suis un enfant de la politique culturelle de Georges Frêche » 

Nous discutons de Montpellier, de ses enfance et adolescence dans cette ville. « Je suis un enfant de la politique culturelle de Georges Frêche. J’ai bénéficié de l’écosystème culturel local et de sa richesse avec le Musée Fabre, la médiathèque Emile Zola, le CDN, l’Opéra et l’Orchestre national. J’ai été ouvreur au Festival de Radio France. » Ses premières émotions artistiques sont liées à la cité héraultaise. Gaëtan n’hésite pas et cite l’exposition Zao Wou-Ki : La Quête du silence (2004). Il dit jouir d’une forme de créativité dans son parcours de vie et ses différentes fonctions. Il ajoute :  » …mais je ne suis pas artiste ». Je me retrouve dans cette parole : « La culture est un refuge émotionnel, très personnel, qui a, en même temps, une dimension politique. Les créateurs ont des choses à nous dire dans un monde en crise. » A ses yeux : « La vision et la sensibilité des créateurs ont la capacité de transformer le monde dans lequel on vit. » Là, pour ma part, je suis plus hésitant.

Mon interviewé analyse la situation actuelle de la francophilie aux USA. Il en dresse un portrait vieillissant. Les francophiles d’aujourd’hui sont ceux d’il y a 30 ans. En 2023, les francophiles du futur n’existent pas encore. Il s’en inquiète et avance un exemple édifiant avec la perte, en 10 ans, de l’influence et de l’apprentissage du français dans le monde étasunien : « En bref, 5000 universités sont implantées dans le pays. En 2010, 500 programmes de français étaient proposés. Aujourd’hui, le chiffre est tombé à 300. » Au moment de l’émergence de la pandémie, le conseiller culturel constate que le regard des Américains évoluait. Maintenant, leur regard est tourné en direction de l’Asie et de l’Océanie. Au-delà des clichés et des commémorations communes, Gaëtan Bruel établit un bilan de constats entre la France et les USA : « Depuis l’indépendance des Etats-Unis, il existe un différentiel d’attention à l’autre avec le risque d’une indifférence intellectuelle vis-à-vis de la France. » Je me dis : vis-à-vis du pays le moins puissant des deux.

Gaëtan Bruel a compris le sens de ma visite, l’importance de son témoignage, pour moi, prof et journaliste. « Que mes choix peuvent m’appartenir est ce qui m’a été le plus structurant. Ado, on est un peu déresponsabilisé. Il est très important de pouvoir se dire qu’on ne peut que s’en prendre qu’à soi-même, même si c’est en partie injuste car la société nous impose une partie de nos choix. Mais identifier les choix que l’on peut faire, et faire que ces choix portent en germe le pouvoir de changer ma vie, c’est une prise de conscience forte. Tout est choix et participation. Il y a plein de manières d’avoir un engagement associatif, de discuter avec les gens. » Il faut saisir que la vie est un nuancier de couleurs, que tout n’est pas fait de blocs. Apprendre le compromis, ce qui n’est pas se compromettre. « Nous vivons dans un monde où l’ordre de la hiérarchie peut s’inverser. Les plus jeunes ont la compréhension la plus affûtée pour une part du réel. Il leur faut apprendre à formuler les choses dans un cadre structuré et l’école a un grand rôle à jouer. Chacun a la capacité de formuler son point de vue sur le monde tout en ayant une forme d’humilité. C’est-à-dire : être assez désinhibé sur le fond tout en le disant respectueusement. Sur la forme, on se laisse un peu trop aller au péremptoire. Il est important de mettre les formes pour donner un avis. »

(Une parenthèse : ce 27 juillet 2023, je ne le sais pas encore, Gaëtan Bruel peut-être. Dans deux mois, il sera nommé au cabinet du Ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse pour y réfléchir à la place des arts et des humanités dans le système éducatif français. Le 2 octobre 2023, il en deviendra officiellement directeur adjoint puis sera nommé, ce mois de janvier 2023, directeur de cabinet de la nouvelle Ministre de la culture (photo). Tout ceci en 6 mois. Mobilis in mobile…)

Gaëtan Bruel m’expose ce qui constitue une sorte de boussole dans sa vie active : « Dans un monde qui bouge, on doit bouger soi-même sans avoir l’idéologie de la bougeotte. Ne pas changer dans un monde qui bouge, c’est risquer la déconnection. Bouger pour bouger, ce n’est pas non plus pertinent. Il faut se transformer de manière juste. Trop en faire, ou ne pas faire ce qui est approprié et convient, cela a un coût. » Veut-il signifier qu’avoir l’ambition d’une feuille au vent et les projets d’une balane ne permettent pas la découverte d’un sens à sa vie ? Selon l’expérience de Gaëtan Bruel, « les gens qui ont eu des échecs dans leur parcours réussissent mieux à rebondir. » Ils finissent par avoir une recherche plus vagabonde et moins soucieuse de l’épanouissement. Mobilis in mobile. Gaëtan évoque certains de ses anciens camarades : « Ceux qui ont le mieux réussi de mes études à Louis-Le-Grand sont ceux qui ont été virés après la première année. »

Au moment des choix d’orientation, pendant ses années lycéennes à Jean Monnet, seul établissement scolaire de France à dispenser l’ensemble des 7 arts proposés par l’Éducation Nationale, le jeune Bruel s’interroge. Elève studieux, il ne sait pas quoi faire. « Je suis un bon exemple de quelqu’un qui a été sur des rails. A 16 ans, 17 ans, nous sommes ce que les autres projettent sur nous. En France, il y a peut-être une hiérarchie scolaire désirable. Par ailleurs, n’y aurait-il pas une forme de confort à suivre ce que les autres nous demandent de suivre ? » Cependant, dans un parcours d’orientation, existe-t-il une certitude de l’avenir, l’assurance quant à savoir quoi faire ? L’adolescence : « Qu’est-ce qui va nous épanouir dans l’avenir ? » L’adolescent Gaëtan délibère : une prépa ? Où ? Montpellier ? Toulouse ? Paris ? Il se porte candidat pour entrer dans une Classe Préparatoires aux Grandes Écoles de la cité scolaire Janson-de-Sailly, des lycées Pierre-de-Fermat et Louis-le-Grand. « A mon étonnement heureux, j’ai été pris dans ce dernier. » Son Saint Graal ? Intégrer l’ENS. « J’en rêvais sans penser que c’était pour moi. »

« N’attendez pas d’être chef pour penser comme un chef »

Mobilis in mobile. Le Conseiller culturel revient sur son parcours depuis ses « années très importantes dans un environnement scolaire pas du tout simple à Montpellier » : celui qui, depuis une décennie, a côtoyé le monde militaire et côtoie les arcanes des pouvoirs politique, économique, éducatif, artistique internationaux dresse des constats. Le fil rouge de ses expériences professionnelles ? La culture, toujours aux marges d’autre chose. Il s’est aussi rendu compte à quel point, sur le fond, il faut être ambitieux. Il me dit qu’on se censure trop et qu’on manque d’humilité. « J’ai failli ne pas passer en khâgne. J’étais parmi les premiers recalés. Sous-admissible. Un électrochoc. J’ai énormément bossé l’année de cube. » La remise en cause a été forte. « J’ai fait des choix. » C’est là qu’il a découvert qu’il aime en faire. Son travail à l’ambassade, n’est-ce pas, finalement, décider ? « J’apprends à ne pas faire plaisir à tout le monde. J’ai parfois un avis tranché. Je respecte qui n’a pas le même avis que moi. Mais j’ai aussi appris à ne pas trop m’en soucier. »

Il me parle et pense à mes élèves de CAP et de Bac pro. Dans mon courriel, du 26 juillet, je lui avais écrit :  » … à l’écoute d’élèves pouvant être perdus face à ce qu’il est possible d’inventer pour leur vie, je tiens à ce qu’ils comprennent et sachent qu’ils sont capables, eux aussi, de construire leur propre chemin – et un chemin peut-être différent de celui pour lequel ils sont formés. » De retour dans mon lycée, je veux leur apporter, dans mes bagages, un témoignage positif. De son côté, Gaëtan donne ce conseil à ses stagiaires : « N’attendez pas d’être chef pour penser comme un chef. »

Portrait à la UNE @Beowulf Sheehan / Photo de la 5ème avenue @DR / Photo du collège Arthur Rimbaud @collège Arthur Rimbaud / Rencontre à la librairie de la Villa Albertine @Villa Albertine-Ambassade de France à New-York / Zao Wou Ki, Huile sur toile, 54 x 65 cm -Galerie Vanuxem, Paris © Archives Zao Wou-Ki@musée Fabre / Ministère de la culture @DR.

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