Le ministère de la Culture a publié un rapport ce lundi 19 février expliquant en détail le choix de Bourges comme Capitale européenne de la culture 2028 et les raisons de l’échec des 3 autres villes candidates : Montpellier, Clermont-Ferrand et Rouen. Le dossier « robuste » et « ambitieux » de Montpellier a été recalé car « pas assez axé sur l’Europe ».
Vous pouvez lire le rapport de 30 pages rendu public (très bonne chose) sur le site du Ministère de la culture. Une analyse assez passionnante malgré une langue peu poétique. D’autant plus intéressant qu’il est assez rare qu’un geste de politique publique soit ainsi évalué par une instance d’autorité en cours de mandat. Dans ce domaine, rien ne s’oppose à ce que les projets de la municipalité voient le jour, votés par des assemblées (les conseils municipaux et métropolitains) où l’opposition est minoritaire. La seule sanction est celle des urnes et encore intègre-t-elle a minima et de façon diffuse les questions culturelles. Même si la candidature montpelliéraine au titre de Capitale européenne de la culture ne résume pas à elle seule le déploiement très volontariste de Michaël Delafosse dans la culture, elle en a été une puissante incarnation, surmédiatisée.
Présidé par l’italienne Rossella Tarantino, une économiste spécialisée dans les politiques de revitalisation territoriale par la culture (qui avait conduit la candidature de la ville de Matera, au sud de l’Italie, désignée Capitale européenne de la Culture pour l’année 2019), le jury a évalué chaque candidature en fonction de six critères : contribution à la stratégie de long terme de la ville / contenu culturel et artistique / dimension européenne / portée / gestion / capacité de réalisation.
Mais, en toute logique, la dimension européenne des projets a primé pour départager les 4 finalistes : Bourges, Clermont-Ferrand, Rouen et Montpellier.
Bourges : « un esprit européen cohérent »
Pluie de compliments sur Bourges, la ville-lauréate. Et une confirmation : le jury a été sensible à son statut de ville moyenne. Comme indiqué dans un précédent article, le titre est donné depuis plusieurs années à des petites villes dont le nom ne nous dit généralement rien : « le jury a été inspiré par le concept de la candidature Territoires d’avenir dès la phase de présélection, le trouvant pertinent à la fois au niveau local et au niveau européen« . Et aussi à son ambition écologique : « la candidature s’attaque de manière innovante au changement climatique par le biais de projets à faible émission carbone, aspirant ainsi à devenir un modèle pour les villes de taille modeste« .
Mais c’est sur le volet européen que Bourges a séduit, en particulier avec sa Cité européenne des artistes et son Conseil européen citoyen : « L’ensemble de la candidature reflète un esprit européen cohérent« . « Bourges 2028 », commente le jury, « présente un récit visionnaire qui dépasse les limites locales pour aborder des questions européennes et mondiales urgentes, en mettant l’accent sur l’inclusion, la durabilité écologique et une échelle humaine« .
Sur Clermont-Ferrand, dont la candidature était axée sur le Massif Central comme « Terre du milieu », le jury se montre assez sévère. « Positivement impressionné » par le ralliement de 600 villages, il a trouvé l’idée mal traduite, de manière «particulièrement compliquée et peu claire« . Et tacle « une vision artistique » manquant d’une « dimension européenne claire« .
Rouen, centrée sur la Seine comme personnage principal, n’essuie pas de griefs sur sa dimension européenne mais on voit assez clairement que son projet n’est pas apparu comme tenant la route : « le jury regrette un manque de détails et de clarté concernant le programme« .
Une candidature « robuste »
Du point de vue européen, le dossier montpelliérain est largement commenté mais pas favorablement.
D’abord les compliments : un programme « ambitieux et de haut niveau ». « La candidature est très robuste et repose sur une stratégie à long terme solide, complétée par un budget opérationnel approprié, un soutien institutionnel unanime et un solide réseau de partenaires ». Beaucoup débattu localement, l’aspect conceptuel a été relevé aussi par le jury : l’intégration de priorités (diversité du public, environnement, décentralisation) via les thèmes « relier », « acter » et « célébrer » « peut être perçue comme trop complexe ».
Le bilan pointe également le manque de clarté des critères de sélection pour les appels à projets artistiques de 700 000 euros chacun lancés en 2022 et 2023. Des critiques avaient été émises localement dans ce sens.
Une surprise : le rapport passe assez vite sur l’alliance des 154 communes, pourtant un argument central pour l’équipe porteuse du projet (en photo, la délégation en décembre dernier à Paris pour un ultime passage devant le jury européen).
Mais c’est la vocation européenne de Montpellier 2028 qui fait l’objet des plus longs développements. Des reproches feutrés mais assez cinglants qui visent au cœur du choix éditorial de cette candidature : « le jury regrette que les projets ne soient pas davantage axés sur l’Europe« .
Dans la foulée de la Biennale Euro-Africa d’octobre 2023, suite du mémorable sommet Afrique-France de 2021, Montpellier avait imaginé une audacieuse candidature euro-africaine. Mais cela n’a pas convaincu.
Le jury européen a « apprécié cette coopération étroite avec l’Afrique et encourage Montpellier à continuer de travailler sur cette dimension. Toutefois, tout en appréciant l’importance accordée à des thèmes d’intérêt européen tels que la transition écologique, l’équité sociale et la solidarité, ou la promotion des valeurs d’humanité et de paix, le jury attendait également plus d’informations sur la manière dont Montpellier 2028 entendait promouvoir la diversité culturelle en Europe, renforcer la compréhension mutuelle en Europe et mettre en avant des aspects communs de l’histoire européenne, et regrette que les projets ne soient pas davantage axés sur l’Europe« .
Le document, ici.
C’est un très bel article passionnant et surtout éclairant