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Bérénice par Castellucci/Huppert : radical, somptueux, clivant

Deuxième grande production de la cité européenne du théâtre à Montpellier, « Bérénice » dans une mise en scène de Romeo Castellucci avec Isabelle Huppert a divisé les spectateurs. Les vers de Racine soumis à une expérience contemporaine extrême.

« Reviens Racine ! » a crié un spectateur à la fin. C’est toujours bien un peu d’ambiance au théâtre. C’est bon signe. Il est évident que la belle et intelligente radicalité de Romeo Castellucci n’a pas fait l’unanimité.

Montpellier à l’avant-scène

Durant quelques jours, Castellucci et Huppert ont arpenté le domaine d’O en survêtement comme chez eux. Les temps de répétition ont été très courts d’autant que Isabelle Huppert a dû se rendre à la Berlinale. C’est la deuxième grande production, après le flamand Ivo van Hove au dernier Printemps des Comédiens, imaginée, conçue, financée et commercialisée par cette nouvelle Cité européenne du théâtre, fusion du printemps des Comédiens et du domaine d’O. C’est à Montpellier que s’est imaginée la rencontre des deux géants : Castellucci/Huppert. Et c’est Montpellier qui est à la manœuvre pour vendre le spectacle qui sera joué prochainement à Paris. Un spectacle qui a coûté cher, le coût d’un opéra : 800 000 euros.

Ambiance de première, ce 23 février, avec des visages connus et du bon vin alors que se déroulent les Césars sur Canal Plus. Dans l’interview « exclusive » de Midi-Libre, elle a bien manqué cette question touchy à Isabelle Huppert : Benoît Jacquot est le réalisateur avec lequel elle a le plus tourné après Claude Chabrol.

Puissante scénographie minimaliste

Un voile translucide au début de la pièce, la scène s’ouvre sur le vaste plateau du Jean-Claude Carrière, comme on dit, avec en fond de scène : une étrange composition chimique dont les composants se succèdent en lettres lumineuses (teneur en potassium, en silicium etc…). Annonçant un théâtre de corps, organique, un précipité de Bérénice ?

Huppert avance seule, spectrale dans une robe en dentelle crème. Elle est sonorisée. Froide, droite et appliquée à réciter les vers de son infortune de femme larguée par Titus. Reine de Judée, elle ne peut être une épouse à Rome. Raison d’état donc.

Qui règne sur la scène : l’alexandrin inégalable de Racine, certes considérablement taillé, démarrant à la fin de l’acte 1 d’où la fureur des puristes ? Ou la force de cette menue femme de 70 ans, double égérie du cinéma et du théâtre que Castellucci voit en « actrice définitive » ?

C’est une divinité morbide et délaissée à la diction monocorde, parfaite, machinale qui nous parle de sa douleur. Elle bouge au ralenti, livide, comme un cadavre éloquent. Des piquets lumineux viennent strier l’espace et le redistribuer. Scénographie fascinante tout en étant d’une grande simplicité : d’immenses drapés noirs à la grecque se levant sur des blancs.

Elle devient folle sous nos yeux cette malheureuse, enlace un radiateur qu’elle imagine être Titus, pose en cabotine déjantée devant un miroir mobile, pense à mettre du linge dans une machine à laver malgré son désarroi : des moments qui désacralisent le répertoire sans pitié, tenant davantage de la performance pour lieux alternatifs. 

Huppert sidérante

Soumise au « silence rude » de son ex-amant, Bérénice se console comme elle peut. « Rassures-toi mon cœur, tu peux encore lui plaire« . Sa voix vocodée, samplée, indique les désarticulations intimes qui vont la mener au pire. On le sait par avance, on le sent bien. « Je crains votre douleur plus que votre colère » lui dit Titus par ces textos en lettres lumineuses en fond de scène qui se substituent à sa présence. Elle est la seule rescapée de la lecture détergente du metteur en scène italien, exceptés 15 figurants, sénateurs romains recrutés localement qui vont baisser leurs pantalons dans une brume artificielle (la veulerie d’état ?) ou 2 acteurs dans un duo décolonial/queer à la maigreur hiératique, un homme noir, l’autre blanc. 

Un parti-pris d’exploration, de forage, d’une grande et abyssale solitude. Sans doute le point névralgique de cette proposition qui ouvre des espaces mentaux plus qu’elle n’impose de sens. « Dieu quelle violence » s’exclame Titus, effrayé par le « désordre extrême » de Bérénice. « Je sens bien que, sans vous, je ne saurais vivre » confie-t-il. Sans en apporter la preuve.

Huppert est sidérante dans le crescendo de cette Bérénice qui ne pouvait pas avoir lu « Comment l’amour empoisonne les femmes » de Peggy Sastre, bible des jeunes féministes du 21è siècle. Qu’ont voulu dire Castellucci et Huppert en mettant un focus sur la démence féminine ? Le metteur en scène italien a parlé de « l’inactualité » de Bérénice. Il fait sans doute allusion à cela. Quelques discussions ont porté, après la représentation, sur l’éventuel féminisme radical de Bérénice, sur son engagement sacrificiel d’un cran au dessus des compromissions de la meute masculine qui entoure Titus. Quand même. Kiffer un homme jusqu’à la mort, vraiment ? Il n’y a rien d’autre à faire, après une rupture, quand on est une riche et belle reine de Palestine ?

« Titus m’aime, il ne veut point que je meures » agonise Bérénice, écroulée sur le sol, quittée par la vie, par les mots qui ont de plus en plus de mal à sortir de sa bouche. « J’abandonne un ingrat qui me perd sans regrets« . A la fin : cette scène zulawskienne -où elle hurle au public, au moment de partir : « Ne me regardez pas !« – fait froid dans le dos.

Aussi strident que somptueux

A quel moment une partie du public a-t-elle décroché ? Quand Huppert se fait mendiante ? Quand elle est prise de convulsions, montrant une étrange jouissance dans son martyre ? Dans le public, deux genres de réception : ceux qui étaient du côté du « Reviens Racine » et ceux qui ont retenu leur souffle durant toute la représentation, et ont encaissé comme un uppercut ce spectacle puissant, aussi strident que somptueux (mais l’accueil, le lendemain, a été plus unanime et chaleureux). Mention spéciale à la bande-son industrieuse de Scott Gibbons, le compositeur américain d’électro. Et aux robes d’Iris van Herpen, magnifiques.

« Reviens Racine ! » : ce cri du cœur au moment des applaudissements a tout dit. Castellucci est à Racine ce que les Sex Pistols sont à l’hymne britannique. Nous ne sommes pas à la Comédie française. Et c’est très bien !

Photo Romeo Castellucci @Luca Del Pia. Photos Isabelle Huppert @Jean-Michel Blasco.

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Jules Renard
Jules Renard
8 mois il y a

Au secours !!! Racine remue dans sa tombe !!!!!Quel massacre !! Mais je n’ai rien compris sans doute sur le rôle de la machine à laver, la nudité de ces hommes ou la musique d’orage !! ( j’en passe).
Huppert fait du Huppert, elle a du talent !
Non, c’est vrai, nous ne sommes pas à la Comédie française mais sommes nous même dans du théâtre ?
Le public était beaucoup plus réservé que ne le laisse entendre le commentaire ci-dessus, juste deux rappels de politesse pour le travail de I. Huppert . On peut oublier

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