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Bye Bye Tibériade : la Palestine des femmes

Hiam Abbass a quitté son village palestinien pour réaliser son rêve de devenir actrice en Europe, laissant derrière elle sa mère, sa grand-mère et ses sept sœurs. Trente ans plus tard, sa fille Lina, réalisatrice, filme son retour. Un film important qui se pare d’une importance supplémentaire en résonnant avec l’actualité.

 

Prix Ulysse du documentaire au Cinemed, le film est encore projeté à Montpellier, au cinéma Utopia.

Je ne serai pas impartiale en vous invitant à aller voir le film de Lina Soualem ! Autant vous le dire en préambule, j’aurais dû retourner à Nazareth à l’automne, j’aurais dû aussi marcher le long des eaux scintillantes du lac de Tibériade… Depuis le 7 octobre, la totalité des  massacres me bouleversent. Chaque mort qui éloigne chaque citoyen d’Israël, juif, musulman, palestinien, chrétien, athée ou druse, maronite, orthodoxe ou encore arabe israélien, de la paix m’atteint, me déprime et m’alourdit. Inutile de tenter de m’enfermer dans la binarité, je m’y refuse et choisis d’écouter d’autres voix, celles des historiens, des écrivains ou des artistes , celles qui ne vocifèrent pas mais espèrent restituer un dialogue. 

Explorer les mémoires 

Lina Soualem est une exploratrice des mémoires : fille de l’acteur franco-algérien Zinédine Soualem, elle a tourné en 2020 Leur Algérie, un documentaire consacré à ses grands-parents paternels, une histoire d’exil , des racines… Qui a convaincu sa mère, l’actrice Hiam Abbass (Succession, The old man, Tout va bien, l’Aube du monde) de convoquer avec elle, parfois dans les rires et parfois la douleur, les femmes de sa famille et aussi de la Palestine. 

C’est une lignée de femmes fortes mais aussi malmenées par l’histoire que nous raconte la réalisatrice. Photos, films de vacances familiales, archives et images contemporaines tissent des morceaux d’une histoire en lambeaux. Des parcours de vie réduits au silence, des moments intimes qui éclairent l’histoire d’Israël et de la Palestine. 

De l’arrière-grand-mère Um Ali, il n’existe que des photos : une couturière modeste qui élève seule ses enfants après la mort du chef de famille provoquée par le douleur de la perte de sa maison lors de la Nakba (la « catastrophe » en arabe) qui, en 1948, fut pour environ 700 000 palestiniens, synonyme d’exode forcé et de confiscations. La même année, Neemat, sa fille, faisait des études pour devenir institutrice dans une école catholique de Jérusalem, ville dont elle fut expulsée : finis les rêves d’enseignante, veuve très tôt elle élèvera seule ses enfants à Deir Hanna. 

L’enquête et l’intime  

« Quand je questionnais ma mère, elle me répondait : n’ouvre pas les douleurs du passé » raconte Lina au début du film. Pourtant, Hiam Abbass revient sur ce passé : devant un mur blanc, elle colle avec sa fille les photos d’une histoire familiale intimement liée à l’exil, à l’amour de la terre et à la transmission. Pour ne pas tomber dans le piège d’une émotion trop personnelle, la réalisatrice se fait parfois journaliste face à sa mère et l’accompagne dans ce récit. D’abord photographe puis actrice, elle a fui Deir Hanna pour connaître un monde plus grand, pour échapper au poids des traditions et au destin des femmes. Elle raconte ses choix, ce pays devenu trop petit pour elle mais aussi les retrouvailles quand elle retourne auprès des siennes avec sa petite fille : Lina était déjà un trait d’union entre ces générations. 

 Dans ce voyage que mère et fille vont entreprendre, nous visitons des terres inconnues : celle de chagrins incommensurables comme l’éloignement irréversible de cette tante, empêchée de quitter un camp de réfugiés en Syrie et que seule Hiam (avec un passeport français) pourra visiter des années plus tard et celles des rires : joie des retrouvailles  en Galilée d’Hiam et ses  sœurs. Des trajets en voiture avec en fond l’omniprésence israélienne, des visites sur les ruines de ce qui fut jadis la maison familiale et des silences qui sonnent comme des déclarations d’amour. 

Le film comme support de transmission

Mêlant passé et présent dans un patchwork d’images et de conversations, le film devient un objet de transmission mémorielle, un film au féminin pluriel où la colère n’apparaît qu’en filigrane laissant la part belle à la féminité, au courage de la résistance et la résilience de ces femmes qui ont choisi de reconstruire leur vie malgré tout. 

Sur un balcon, au crépuscule, Hiam, doigt pointé sur l’horizon , tourne sur elle -même : « Par là, c’est  la mer,  là, le Liban puis la Syrie et ici, la Jordanie ». Et elle ajoute dans un soupir : « et nous, nous sommes là ! Au milieu ! » Dans cette terre qui n’est plus la leur, la force de ces femmes loin de la résignation force le respect. La réalisatrice réussit son pari : rendre visibles celles que l’on ne voit pas. Ce documentaire  représentait la Palestine aux oscars 2024 mais ne saurait être réduit à la simple géographie tant il touche à l’universel. 

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