Iqra ! : la belle alliance du slam et du théâtre

Rencontre du théâtre et du slam assez étonnante, à la Passerelle à Sète : Iqra ! raconte le dialogue difficile entre pères et fils dans les quartiers. Le rare Sameer Ahmad (photo), rappeur montpelliérain, y sublime la langue musicale de Soufyan Heutte.

Soufyan Heutte a déjà publié un premier roman « Mes poings sur les I », inspiré déjà de ce quartier qui est à la fois lieu nourricier, identitaire, heureux et douloureux, et objet d’exploration. On sent chez lui l’écriture investie de tas de choses : son pouvoir de consolation, de dépassement et de rêve.

Publié chez Domens, « Mektoub ! » a suivi, qui traite avec inspiration cet impensé littéraire et sociologique qu’est la relation difficile entre père et fils dans les quartiers. « Mektoub ! » raconte un face à face tendu, et sans mots, entre Mohamed, le père, le blédard, dans le silence et la soumission (pour le dire vite, c’est tellement plus compliqué) et Kamel, le fils, devenu délinquant, révolté bruyant par manque de fondation. Et des mères prises en étau entre ces deux pôles masculins. C’est ce roman qui a été le point de départ de l’adaptation théâtrale sous le titre « Iqra ! ».

Avant son spectacle, début mars à Sète, interviewé finement par Malika Aboubeker, dans la salle d’Unisons à la Paillade, Soufyan Heutte avait eu des mots forts sur ce qu’il appelle les « faibles lueurs » des quartiers. Ces « darons » invisibilisés tandis qu’on parle davantage des mères. Il est lui-même un fils avec une sacrée personnalité : enfant de la Paillade, rappeur, quelques années légionnaire, devenu écrivain et éducateur à la PJJ (Protection judiciaire de la jeunesse). « Les pères font peur aux jeunes à qui ils ne veulent pas ressembler« . Fumeur de shit, Kamel appartient à « une jeunesse qui a les crocs mais qui a connu les accrocs ».

« J’écris à voix haute voix » : c’est une évidence quand on le lit. La langue de Soufyan Heutte est porteuse de récits autant que de rythmes, de douleurs en creux, de pessimisme amorti et de fascination pour ses semblables. C’est un flow contenant un univers plein et complexe. Une précieuse bande-son du quartier. Porter sur scène ce roman est une évidence.

Surtout si c’est fait avec Sameer Ahmad, que le média Melty appelle « La Brute du Hip-hop français » en référence à sa vénération du western en général et en particulier « Le Bon, la Brute et le Truand » de Sergio Leone. « La meilleure plume du rap français », selon Soufyan Heutte, vient de sortir un album assez incroyable « La vie est bien faite » (*) mêlant acrobaties linguistiques, références rap et imagerie cinématographique, entre rap, jazz et blues. Une pointure montpelliéraine assez méconnue. Le rappeur est chez lui dans ce texte qu’il sublime.

Au saxo, la fraîcheur et la fluidité de Romain Tourre (photo) viennent enrichir la proposition. Ce spectacle, Sandrine Mini, directrice de la Scène nationale de Sète, en relai du soutien premier de Frédérique Muzzolini au théâtre Jacques Cœur de Lattes, confiait ce soir du 2 mars vouloir le maturer encore. Des besoins se font sentir du côté de la mise en scène. Et le porter un peu plus loin. Il le mérite.

 

Mektoub !, Soufyan Heutte, Domens, 12€.

(*) Le podcast de la soirée est à écouter, ici.

La vie est bien faite de Sameer Ahmad (Bad Cop Bad Cop/iHH Records/Zone). En écoute, ici.

Photos Charles Magne.

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