La 44e édition du Festival se déroulera du 22 juin au 6 juillet. Elle sera la dernière sous la direction de Jean-Paul Montanari mais sans rien qui la distingue de son style habituel de grande croisière internationale. Forcément brillante, absolument brillante.
Des Montpelliérains un peu anciens, férus d’art chorégraphique, se souviennent d’une époque où le festival Montpellier Danse était bien différent de celui d’aujourd’hui. A coup de conférences, de rencontres, de débats, on y embrassait résolument les grandes thématiques politiques et sociétales qui marquaient l’époque à l’entour du seul fait artistique. Puis on a tourné la page de ces atmosphères enfiévrées.
D’où la conférence de presse un peu étrange qui s’est déroulée dernièrement à Montpellier, pour annoncer la programmation de la prochaine édition de ce festival, la quarante-quatrième. Elle se déroulera à des dates immuables : du 22 juin au 6 juillet. L’étrangeté résida dans la teneur des diverses prises de parole introductives, soulignant toutes la gravité inouïe de la situation géopolitique. En regard de quoi la physionomie du Festival paraît strictement imperturbée.
Artistes du monde
En opposition aux replis identitaires, aux crispations nationalistes, on a, certes, souligné le caractère « cosmopolite » de la programmation. 6 créations mondiales. Des artistes du monde entier se croisent à Montpellier. Ce qui est une pure constante, attendue, pour une manifestation de premier plan international dans le domaine du spectacle vivant. Par ailleurs, rien de particulier, non plus, ne marquera le fait que cette édition devrait être bel et bien la dernière à se dérouler sous la direction de Jean-Paul Montanari.
La der pour Montanari
Une minute aura suffi à rendre publique cette annonce, par la bouche du premier concerné, telle l’épilogue d’un feuilleton qui a déjà fini d’intriguer. Rien dans la programmation de ce nouveau cru ne semble marquer particulièrement cette date. Si ce n’est l’intitulé des tables rondes qui y sont annoncées : « Des institutions en mouvement pour les danses d’aujourd’hui ». Difficile d’imaginer un rendez-vous plus réservé à la seule technocratie institutionnelle de l’art chorégraphique.
Y sera sûrement légitimée le big bang structurel d’une remise en cause du modèle de l’autonomie du Centre chorégraphique national. Outre d’assurer qu’il est déjà très avancé dans la programmation du festival 2025, Jean-Paul Montanari annonce « tout faire pour que la suite (après son départ) soit intelligente, cohérente, forte, bien que différente, forcément ».
Les arbitrages institutionnels seront annoncés à la faveur de la prochaine inauguration de nouveaux studios de répétition dans le bâtiment de l’Agora de la Danse, boulevard Louis Blanc. L’étude de la nouvelle structure est conduite par Didier Deschamps, un chargé de mission qui n’est autre que le propre président du Festival -juge et partie, en quelque sorte, ce qui a fait tousser très fortement l’association qui regroupe tous les Centres chorégraphiques nationaux de l’Hexagone. Le ton a été donné, en tout cas, lors de son intervention préliminaire en conférence de presse : soit un panégyrique du directeur partant, d’un niveau de flatterie presque gênant.
Continuité et transition contrôlée
Bref, tout respire la continuité, la transition contrôlée, si ce n’est un certain conservatisme. De même la grille de programme de l’édition du Festival 2024. Au demeurant brillante ; forcément brillante. Absolument brillante. On ne boudera surtout pas son plaisir. La vente des billets en est ouverte ce 26 mars. Elle se déroulera sous les auspices de « la confiance aveugle qu’y fait le public », en s’arrachant les places en un temps record, tel qu’il a déjà été annoncé. Les recettes propres représentant un tiers du budget, ce qui est peu courant. Avec quelque chose d’un rythme de croisière, imperturbable, le paquebot Montpellier Danse effectue un retour au port, pour changement de capitaine, selon une feuille de route depuis longtemps explorée, comme suit.
Trois spectacles dans la salle Berlioz du Corum
Ils attirent le public le plus large, et garantissent entre les trois quarts et neuf dixièmes des recettes de la manifestation :
-Wayne McGregor, le Britannique le plus capé sur la scène internationale, mais vu seulement une fois à Montpellier, dans la création mondiale de Deepstaria, en ouverture du festival. Les ramifications de cette pièce passent par l’Intelligence artificielle et le Métavers.
-Angelin Preljocaj en clôture, pour une création française en Requiem(s) pour dix-neuf danseurs, après qu’il vient de perdre père et mère coup sur coup.
-Le Cloud Gate de Taïwan, dans le grand style moderne chinois : niveau technique époustouflant, lumières et mouvements éblouissants. Impact spectaculaire garanti (reconnu sur la planète entière).
Les frémissements en plein air
Les spectacles au Théâtre de l’Agora, les seuls en plein air, baignent dans la ferveur festivalière.
– Saburo Teshigawara, le maître de la danse contemporaine au Japon, au comble d’un art de la précision délicate et de l’élégance onirique.
-Dimitri Chamblas & Kim Gordon : aussi bien compagnon de route d’un Boris Charmatz que d’un Benjamin Millepied à l’Opéra de Paris et Los Angeles, l’ébourifant (et nouveau Montpelliérain) Chamblas est un as du carnet d’adresses, capable d’inviter sur scène l’une des plus grandes stars du rock (et huit danseurs rencontrés sur la planète entière).
-Michèle Murray, l’autre Montpelliéraine de cette édition, est une héritière inspirée de l’art de Cunningham. Elle combine sa rigoureuse intégrité, avec la prise en compte des personnalités diverses et histoires de danses des vingt-cinq interprètes du Ballet de Lorraine (photo).
Les grandes pages de l’Opéra-Comédie. Cette salle traditionnelle est un écrin pour les pièces de haute écriture et grandes références.
-Anne Teresa De Keermaecker y revient juste quelques mois après y avoir étincelé en saison d’hiver. Mais cette fois sur les partitions sans doute plus accessibles, des Quatre saisons de Vivaldi.
-Josef Nadj, jusque là presque ignoré à Montpellier, avec sa danse-théâtre fortement teintée d’humeur centre-européenne. En création mondiale, il s’entoure, exceptionnellement, de six danseurs d’Afrique sub-saharienne.
-Merce Cunningham (après Bagouet l’an dernier), honoré en référence cardinale. Trois de ses pièces sont reprises par le Ballet de Lorraine, dont l’un des codirecteurs compta parmi ses interprètes new-yorkais.
Les explorations à La Vignette, au Hangar et au Bagouet
–Sorour Darabi, iranien, a suivi la formation ex.e.r.ce de Mathilde Monnier à Montpellier. Il se tourne vers les Mille et une nuits (studio Bagouet).
-Armin Hokmi, autre Iranien en exil, évoque la mémoire du grand festival de Shiraz -ou Persépolis (studio Bagouet)
-Taoufiq Izzediou, leader de la nouvelle danse au Maroc, montre le même jour trois pièces s’enchaînant dans trois salles différentes (Vignette, Hangar et aussi Kiasma de Castelnau)
-Arkadi Zaïdes, issu d’une scène israélienne critique, poursuit une recherche de pointe en danse documentaire, questionnant les implications de l’IA (studio Bagouet).
-Mette Invargsten, est une grande de la scène européenne la plus indisciplinée, audacieuse, parfois provocatrice, étonnamment inconnue à Montpellier (Hangar). Photo ci-dessus.
-Marta Izquierdo Munoz, en création mondiale, se souvient du roller emblématique de l’époque de la movida dans l’Espagne post-franquiste de sa jeunesse. Elle rejoint l’univers très actuel des roller derby queer, pour saisir un changement d’époque (Vignette).
-Daina Ashbee, performeuse issue d’une communauté canadienne autochtone, avait déjà montré à Montpellier toute une série de pièces intrépides et incisives (Studio Bagouet)
Le Théâtre de Grammont reste une scène rare pour Montpellier Danse.
La tonitruante sud-africaine Robyn Orlin y signe une pièce dans le genre où elle excelle : se mettre au service d’une compagnie très enracinée dans la culture de son pays (cette fois, les huit danseurs métis du Garage Ensemble).
MONTPELLIER DANSE du 22 juin au 6 juillet 2024. En savoir +, ici.
Photos de haut en bas : Josef Nadj @Théo Schornstein / Saburo Teshigawara @Mariko Miura / Ballet de Lorraine @Laurent Philippe / Mette Invargsten© Bea Borgers.