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Fanny De Chaillé, orfèvre d’un théâtre qui se la pète pas

Au Théâtre de La Vignette, la toute nouvelle directrice du Théâtre national de Bordeaux a présenté Une autre histoire du théâtre. Une pièce qui crépite d’intelligence virevoltante au point de se la jouer vraiment trop légère ? Spectacle vu le lundi 22 avril au théâtre universitaire de la Vignette.

L’histoire du théâtre. Ah. Dans la culture française particulièrement, voilà qui peut craindre. Le poids de l’institution. L’intimidation patrimoniale. La propension, frisant parfois le grotesque, à se proclamer phare guidant l’humanité depuis vingt-cinq siècles… En contrepied de quoi, on peut saluer le parti pris par Fanny De Chaillé, dans sa dernière pièce, Une autre histoire du théâtre. Après le Festival d’Automne à Paris, ce spectacle vient d’être vu au théâtre de la Vignette à Montpellier (plein de son public toujours si juvénile, on ne se lasse pas de le noter).

Dans Une autre histoire du théâtre, on peut aussi entendre Une « nôtre » histoire du théâtre, suggère l’une des quatre interprètes sur le plateau. Comprendre : une histoire qui serait celle du métier vécu par les comédien.nes elleux-mêmes, pas forcément des stars, et en tout les cas protagonistes à un autre niveau que le panthéon -généralement masculin- des grands auteurs et metteurs en scène. Fort bien. C’est libérateur. Ou à tout le moins rafraîchissant.

Sur le plateau, cela commence bien lourd et épais. Une sorte de prologue. Dans un cours de théâtre, qui se déroule là, l’enseignement touche à ce que cet art peut aussi véhiculer de très suspect. Quasi sadique, le prof pousse à l’extrême les techniques de manipulation, d’humiliation, de sujétion, à l’endroit d’une apprentie comédienne. Tout l’enjeu est posé, d’un art où dans le même corps cohabitent une personne (un.e comédien.ne, un.e artiste), et un personnage, qui est, en somme, l’oeuvre de l’artiste mais alors aussi du metteur en scène, voire de l’auteur. C’est tout au vertige d’un possible rapport de domination. A déconstruire.

Nous y voilà. On arrête là. La transition opère à travers un fulgurant jeu coupé de lumières qui fera merveille tout le spectacle durant, dans une conception de Willy Cessa. La situation a changé. Plus de prof dans cette affaire. Nos (jeunes) interprètes se retrouvent rien qu’entre eux. Ils passent à un libre atelier, pour mettre en jeu l’idée qu’ils se font de leur « nôtre » (la leur) autre histoire du théâtre. Pas besoin d’un dessin : voici la situation bien vrillée, et en abyme, de personnages, qui ne sont autres que les comédien.nes bien présents, en train de mimer des comédien.nes en train de jouer. Allons-y sur le fil liminal entre fiction et réalité.

Au son, le travail de Manuel Coursin dissocie la localisation visible du point d’émission vocale d’une part, et du (des) point(s) de diffusion. Cet effet stimule les jeux de dédoublements de personnalités propre à l’enjeu théâtral. Cela déteint sur la perception que s’en font la spectatrice, le spectateur, gentiment déstabilisés sur un terrain glissant, qui échappe ainsi à la platitude d’une linéarité narrative.

Le résultat de cette manière de déconstruction est forcément délectable, quand s’y colle, avec maestria, une autrice et metteuse en scène aussi cultivée et virtuose que l’est Fanny De Chaillé. Une fois de plus, son travail crépite d’intelligence. Et pourtant rien ne s’impose en surplomb. Tout reste frais ; sans jamais se la péter. C’est un alliage assez rare ; une qualité plutôt réjouissante. Les registres du loufoque, de la satire, de l’autodérision, ne cessent d’émailler les situations qui s’enchaînent à bon rythme, essai après essai.

Cela puise manifestement au vécu direct de ces quatre jeunes comédien.nes à l’orée de leur carrière (Malo Martin, Tom Verchueren, Margot Viala, Valentine Vittoz). Ça n’est pas pour rien dans le sentiment de vivacité, liberté de ton, gourmandise de jouer, qui trame leurs petits défis, concertations, chamailleries (et même bagarres physiques spectaculaires, renversant les attendus de genre, tout comme il se doit dans le nouveau consensus). C’en est quasi chorégraphique, dans l’aisance à fendre l’espace, comme à rebondir en idées.

Reste le consensus. Cet art fait montre d’une telle facilité à se jouer de tout, d’une telle obstination à toujours rester sympa quoiqu’il arrive, qu’on a fini par y chercher en vain ce qu’il nous transmettait de bien important sur le sens et la portée de cet acte de soi partagé qu’est tout de même un propos théâtral. Et on y a senti pointer la redoutable satisfaction narcissique que peut aussi receler cet art de la métamorphose de soir sous les regards. C’en fut au point de se demander s’il ne s’agissait pas de se faire malin, plutôt que foncièrement intelligent. A tout le moins concerné par un monde dont l’effarante réalité taraude toute fiction.

Bon. Non sans qu’on passât un très bon moment, on l’a compris.

Photos Marc Domage

Programmée au festival d’Avignon, Fanny Chaillé y présente du 10 au 12 juillet : « Avignon, une école« . Quinze jeunes comédiens et comédiennes traversent l’histoire du Festival d’Avignon pour raconter leur propre histoire.

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