Patrick Coutin, l’homme qui aimait regarder les filles

Patrick Coutin est l’auteur d’un fameux tube des années 80 : « J’aime regarder les filles ». Mais cet artiste singulier a mené sa carrière en homme libre et sorti une dizaine d’albums loin de la variété française. A 72 ans, l’écrivain et marin-voyageur a jeté l’ancre à Sète. Il est en concert ce 3 mai à la Secret Place. 

Dans le grand recensement des incontournables de la chanson francophone/tendance rock, on trouve : un tube de Johnny : « Que je t’aime » par exemple, le  « Daniella » des Chaussettes Noires, « La fille du père Noël » de Jacques Dutronc, le « Oh les filles » d’Au bonheur des dames mais aussi le « Quand t’es dans le désert » de Jean-Patrick Capdeville et le « Gaby » d’Alain Bashung. On pourrait même y ajouter « Rock Amadour » de Gérard Blanchard le premier après Jacques Higelin à avoir transporté l’instrument de prédilection du musette dans le rock.

Mais la liste serait bien incomplète si on faisait l’impasse sur Patrick Coutin, et son « J’aime regarder les filles ». Une chanson enregistrée en plein mois d’août qui raconte l’histoire d’un mec qui mate les filles à la plage. « Regarder mais pas toucher » s’empresse-t-il de préciser, #metoo incitant à reformuler… Et même si, dans le même temps, le duo « Chagrin d’amour » assurait « Chacun fait ce qui lui plait ». Ben non justement.

Le succès, Patrick Coutin explique aujourd’hui à LOKKO qu’il ne l’a « pas vraiment cherché, ça m’est tombé dessus mais j’en suis aujourd’hui encore reconnaissant« . Un bonheur improbable pour ce rocker à la voix de crooner, ancien étudiant en philo pendant Mai 68, marqué par un road-trip californien de jeunesse. Il travaille alors à « Rock & Folk » où il signe des papiers sur Higelin ou Christian Vander (« Magma »). Un copain journaliste joue les entremetteurs auprès des maisons de disques. D’un coup, quatre d’entre elles manifestent leur intérêt. C’est finalement EPIC/CBS (pas encore Sony) qui emporte le morceau. Époque bénie où les majors étaient généreuses -Philips, Polydor, Warner, RCA-.

Les grosses radios (France Inter, RTL, Europe 1, RMC) ne se montrent guère intéressées en réceptionnant le premier album de Coutin. Puis, c’est un certain 10 mai 1981 et, dans la foulée, la libération des ondes et l’explosion de ce qu’on a appelé alors les radios libres. Elles s’emparent du disque en diffusant abondamment le titre qui ouvre : le fameux « J’aime regarder les filles ». 1 million d’exemplaires vendu. Un titre qui lui vaudra de figurer quelques années au rang des « Stars des années 80 ». Mais où cet adorateur des Stones et des Doors apparaît comme un intru aux côtés des Sabrina, François Feldman, et autres Jean-Pierre Mader. Coutin ne figure plus dans la tournée 2024 qui fait halte le 9 novembre prochain à l’Arena Sud de France. 

Deux autres albums suivront avec une précision de métronome. « Un étranger dans la ville » en 1982. Avec sa photo en mode Paris by night à Rochechouart et en fond le ciné Delta qui devait fermer 3 ans plus tard pour laisser la place aujourd’hui à une friperie. 

Sur ce second opus, le titre-phare « Comme un étranger dans la ville » n’est pas sans rappeler le « Tout flambe » de Capdevielle mais plus encore la chanson entendue dans « Macadam cow-boy » interprétée par Harry Nilsson : « Everybody’s talkin », reprise en français par Gilles Marchal puis Eddy Mitchell. Un album où il est particulièrement bien entouré par l’excellent guitariste Dan Ar Bras (qui excellait chez Alan Stivell ou chez Fairport Convention) et Bernard Paganotti à la basse. Dans une superbe réalisation signée Laurent Thibault du studio d’Hérouville. Classieux.

L’album suivant en 1983 se présentera avec une pochette signée du prestigieux studio Harcourt. Album qui contenait au moins trois tubes potentiels : « Rends-Moi Mon Coeur… Gamine », « Louise », et « Condamné à l’amour » si les mêmes radios avaient ambitionné de fouiller davantage.

Brouille ensuite avec Epic suite au départ d’Alain Lévy pour Polygram et assez longue parenthèse discographique pour Coutin. Il faudra en effet attendre 10 ans avant de voir apparaître un nouvel album original dans les bacs : « Aimez-vous les uns les autres » chez New-Rose et avec le management de Bernard Nove-Josserand bien connu sur la place de Paris.

Entre ces deux albums un petit « Live » contenant entre autres une reprise de Dylan : « Knocking on Heaven’s Doors ». 2001 : nouvel album avec  « Industrial Blues » dont on peut retenir particulièrement le très beau : « J’irai mourir un jour » (là où j’aurais dû vivre…).

Première complicité avec le bassiste Gilles Michel, pilier de l’Utopia, le club-temple du blues dans la capitale. Michel toujours à ses côtés aujourd’hui encore pour ses concerts dans une formule à trois (avec une batteuse pour compléter le trio). A écouter dans l’album suivant datant de 2012 « Babylone Panic ».

Suivra ensuite un triptyque autour de la notion de paradis dont la pochette de l’un des opus « Paradis électriques » (2020) sera illustrée par Hervé Di Rosa (*).

Album dans lequel figurait entre autres : « Marilyn est folle », une complainte rare sur l’histoire d’une femme internée. On la partage ici.

Un bel objet ce coffret de luxe avec 3 disques (format vinyl comme avant) + 3 sérigraphies signées tour à tour Gilbert Shelton, Tanino Liberatore et Hervé Di Rosa + 1 livret de 32 pages écrit par l’écrivain et journaliste montpelliérain Stan Cuesta.

Le même ami Cuesta qui lui a passé commande d’un passionnant texte sur Jim Morrison (plus qu’une simple biographie) pour sa collection : « Les Indociles » (chez Hoëbeke) où figurent également Janis Joplin, Jacques Higelin, Léonard Cohen, Joan Baez, Catherine Ringer.

Dernier album en date sorti l’an dernier : « L’homme invisible ». Avec sa belle gueule d’indien en couv sur la pochette. Enregistré au sortir du confinement. Période qui a permis à Coutin de renouer avec une vieille connaissance -les miracles d’internet- : le talentueux guitariste américain David Grissom connu entre autres pour son travail aux côtés de John Cougar Mellencamp. « J’ai un peu de dispo côté travail et côté studio, il me lance : viens si tu veux ! Le temps de le dire et j’ai pris le premier avion en partance pour Austin (Texas)« . Ville d’un million d’âmes, l’un des temples du blues et de la musique country (spécialement lors de la décennie 70). Ville qui compte pas moins de 250 salles de concerts sans parler des bars et des clubs et abrite aussi l’un des plus prestigieux festivals de musique au monde le « South by Southwest ». « Un rêve. L’affaire a été vite pliée. Le disque en boite en deux jours« . Là où « jadis » on prenait des semaines pour tout enregistrer. Dix titre bluffants dont  » A part ça tout va bien » dont les écolos seraient bien inspirés d’en faire leur hymne.

En plus d’être chanteur et musicien, journaliste et écrivain, Patrick Coutin est aussi marin et voyageur. Et ça ne date pas d’aujourd’hui. Une passion qu’il partage avec Antoine, le premier chanteur navigateur qui dans les années 60 assurait : « Je reprends la route demain ». Pour l’heure, il a garé son embarcation dans le port de Sète, la ville d’où Pierre Vassiliu s’est envolé pour aller parler aux anges, il y a dix ans. Il ne le savait pas. Ils se connaissaient bien. Vassiliu avait mis Coutin à l’affiche au temps où il avait monté une salle de concert à Apt dans sa période vauclusienne. Une ville plus rock qu’il n’y paraît où il a eu le plaisir de « retrouver Tony Truant et Didier Wampas dont j’ai produit un album« . Pas de hasard !

Patrick Coutin (+ Boomerang), le 3 mai à 20h30 à la Secret Place. Prix Libre

Photo de Une Fredo Slim

A propos de Di Rosa, ce lien à la plate-forme Singulart.

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