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Jeux Olympiques : le revers de la médaille

Vidéosurveillance algorithmique des manifestations (VSA), scanners corporels : la loi JO menace nos libertés individuelles. C’est un des désagréments de cette grande fête mondiale du sport avec le creusement des inégalités sociales, et le manque de diversité. Dans un sondage récent, 33 % des Français exprimaient leur inquiétude. 

«  Montpellier a le feu sacré », clame la communication de la Ville de Montpellier. «  Portez la magie de la flamme », claironne Coca-Cola. « Accueillir le monde est un élément de fierté qui change le regard des Français sur eux-mêmes. C’est la fête des Françaises et des Français. Je veux qu’ils en soient fiers », martèle Emmanuel Macron. « Get ready for the best », nous enjoint Allianz, entre autres. A l’unisson, pouvoirs politiques et puissances économiques, sur le ton de l’invitation ou de l’injonction, veulent que nous célébrions tous la «  grande fête mondiale du sport », les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris.

1 088 policiers, 477 gendarmes à Montpellier

Autorisons-nous à rompre avec cette apparente unanimité. Plutôt qu’emboîter le pas des porteurs de la flamme, choisissons de faire un pas de côté. Succès populaire, le passage de la flamme à Montpellier l’a été, sans conteste. Parents et enfants en famille, jeunes en goguette : la foule. Pourtant, regardons froidement l’événement : des coureuses et des coureurs qui, un à un, parcourent deux cents mètres en portant la torche, puis passent le relais. A part quelques célébrités, comme l’athlète Kevin Mayer, vraiment rien de spectaculaire. Alors, pourquoi cet enthousiasme ? Probablement le besoin de rassemblement pacifique en laissant de côté grands et petits conflits, l’envie d’un rituel commun, l’expression d’une religiosité profane partagée lors de cette grand-messe mondiale. Ne faisons pas d’amalgame manipulateur, mais ayons l’Histoire en tête. Aymeric Mantoux, auteur de « Coubertin, l’homme qui n’inventa pas les Jeux », raconte que le cérémonial et le parcours de la flamme ont été créés en 1936, quand la propagande nazie s’appuyait sur l’olympisme.

Quitte à passer pour un rabat-joie, soulignons deux faits, à Montpellier. Dans les rues, beaucoup plus de bleu que de bleu-blanc-rouge : 1 088 policiers, 477 gendarmes. Un déploiement sans précédent. Donc une fête très encadrée. Sécurisation oblige, bien sûr. On constate aussi la très faible représentativité de la population de la ville parmi les porteurs et porteuses de la flamme. Sur 93 de ces volontaires, seuls 5 ont un patronyme d’origine étrangère. Loin de la « mixité » et de la «  diversité » des discours officiels.

« Nettoyage social » et menaces sur les libertés

Les Jeux Olympiques suscitent un déferlement d’emphatiques propos sur les valeurs du sport. Soit ! Pourtant, chacun sait bien que les J.O. sont orientés, structurés par des intérêts géopolitiques, des objectifs politiques, nationaux ou locaux, et des profits économiques. Il faut aussi avoir en tête les dégâts collatéraux de l’organisation des Jeux. Des associations accusent les autorités de mener un « nettoyage social » pour faire place nette.  La Défenseure des droits, Claire Hédon, a alerté sur « les risques d’atteintes aux droits et libertés ainsi que d’éventuelles situations de discrimination ». Antoine de Clerk, coordinateur du collectif «  Le revers de la médaille » (1), s’alarme : «  Sur le terrain, nous constatons des effets très préoccupants de la préparation des Jeux, en Ile-de-France : expulsion de populations en situation d’habitat informel et précaire, éloignement de personnes en situation de rue ou que l’on voudrait invisibiliser, effacer de l’espace public. »

Priorité absolue est donnée aux Jeux, auxquels la société doit tout entière s’adapter, comme ces étudiants dont la chambre en cité universitaire a été réquisitionnée et qui n’ont pas tous été relogés. Plus grave est la question de la sécurisation des spectateurs, des athlètes et autres participants.  Nul ne doute que cette responsabilité doit être bien exercée. Mais jusqu’à quel point ? Le 13 mai, des milliers de Parisiens ont reçu sur leur téléphone une « alerte extrêmement grave »… afin de leur signaler le début des inscriptions pour réclamer une autorisation de circulation dans certaines zones de la capitale. Erreur technique ou effet de la psychose ambiante ?

Une loi JO si discutable

Pour sécuriser les Jeux olympiques et paralympique, une loi spécifique a été votée, en avril 2023, en procédure accélérée. Elle introduit le déploiement de techniques de surveillance faisant appel à l’intelligence artificielle : à grande échelle, la vidéosurveillance algorithmique (VSA) des manifestations, destinée à détecter des « comportements suspects » et, pour le contrôle des accès, l’extension de l’usage des scanners corporels. Maryse Artiguelong, membre du bureau national de la Ligue des droits de l’Homme, alerte sur ces deux dispositifs. « Le déploiement de la VSA dans l’espace public, où la préservation de l’anonymat est essentielle, est une menace pour les libertés (d’aller et venir, d’expression, de réunion, de manifestation). Les données sensibles, notamment de santé, détectées par les scanners corporels, ne devraient pas être recueillies sans l’information et le consentement explicité de la personne concernée. » De plus, même si la « loi J.O. » ne s’applique que jusqu’en mars 2025, on peut craindre, comme on l’a vu ces dernières années, que ce texte sécuritaire provisoire soit, comme d’autres, prolongé, puis pérennisé, l’exception devenant ainsi subrepticement la règle.

N’empêche, la fête olympique ne sera pas troublée par ces sujets périphériques.  Certes, les logements à louer pendant les Jeux peinent à se remplir et leur prix a chuté et, à ce jour, la qualité de l’eau de la Seine pour y permettre des compétitions n’est pas certaine. Mais de beaux exploits sportifs vont mobiliser spectateurs et téléspectateurs. Ne gâchons pas leur plaisir… tout en restant lucides.

Un engouement relatif ?

D’autant plus que l’engouement pour les J.O. est loin d’être total. Une petite majorité de Français (53 %) se disent intéressés. Mais 35 % expriment de l’indifférence et 33 % de l’inquiétude, alors qu’ils sont 19 % à parler de fierté, autant de satisfaction et 13% d’impatience (2). L’accueil en France de la plus grande manifestation sportive du monde ne fait pas l’unanimité. Face au pilonnage politique et publicitaire, refuser une pensée unique, ce n’est pas être grincheux. Il est légitime d’examiner avec distance « l’immense honneur pour notre pays », comme l’exalte Michaël Delafosse. Ce n’est pas une « polémique », simpliste et stérile.  C’est la contribution à un débat par le libre et argumenté exercice de l’esprit critique.

Alain Doudiès

(1) Rassemblement, sous ce nom que nous leur empruntons, d’associations, d’acteurs et actrices de la solidarité : https://lereversdelamedaille.fr

(2) Enquête Ipsos pour La Tribune, menée les 10 et 11 avril 2024, auprès de 1 000 personnes âgées de 18 ans et plus, constituant un échantillon représentatif de la population française métropolitaine.

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