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Roderick Cox et la question noire

Fallait-il souligner que Roderick Cox, nouveau directeur musical de l’Opéra Orchestre national de Montpellier, était « le deuxième chef d’orchestre noir en France » ? On nous l’a reproché sur les réseaux sociaux. Mais les avis divergent. La question est complexe. Nous avons sollicité plusieurs lectrices et lecteurs de LOKKO pour avoir leur avis. Soufyan Heutte, écrivain, Hélène Jayet, artiste et Pénélope Dechaufour, universitaire nous ont écrit. Ainsi que le maire de Montpellier, Michaël Delafosse.

Photo prise le 23 avril, lors de la présentation officielle à la presse de Roderick Cox entouré du maire de Montpellier, Michaël Delafosse et la directrice de l’OONM, Valérie Chevalier (@OONM).

Noir est mon nom

« Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde », disait Camus. Ou c’est ce qu’on lui fait dire.

Et effectivement, les mots ont un sens et un poids. Ils sont censés en avoir en tout cas.

Ainsi, présenter un chef d’orchestre comme étant noir n’est pas neutre. Mais au-delà des mots, c’est savoir ce qui est dit et ce qui ne l’est pas.

Dans le cas de l’article de LOKKO, noir ne réduit pas Roderick Cox, mais est une composante de son identité (qu’il porte lui-même si l’on en croit ses engagements, notamment avec la célébration de la « black music »).

Noir, c’est aussi une culture, une culture musicale en l’occurrence, riche et florissante. Qui a imprégné des générations d’américains depuis plus d’un siècle. Musique bien souvent spoliée, sans vergogne, par une Amérique blanche (rappelons-nous les propos de Ray Charles sur Elvis (« Ce qu’il jouait, c’était notre musique« ). Le blues, je jazz, le rap et tant d’autres doivent énormément à la culture noire. Je le répète, noir n’est pas qu’une couleur, ça ne peut pas l’être. Être noir, ça change le rapport au monde. Être noir, c’est être l’héritier de cultures diverses et variées et d’une Histoire faites d’empires et de déracinement.

La France pudibonde en matière de racisme

Désigner Roderick Cox comme étant le second chef d’orchestre noir, c’est aussi signifier que l’exception vient confirmer la règle. Que ce milieu est plus que monochrome et albâtre. Ainsi, ce n’est pas une essentialisation, mais plutôt une dénonciation. C’est un doigt pointé vers un manque criant de diversité. Je ne parle pas de la diversité tant louée par les différents partis de gouvernement, le parti socialiste en tête. Je parle de la vraie. Celle qui permet à chacun de devenir qui il veut être. Celle qui ne filtre pas les talents à la couleur de l’épiderme. Celle qui perçoit que le racisme est plus institutionnel et systémique que moral.

Enfin, il est vrai que la France est pudibonde en matière de racisme. Jouer à la vierge effarouchée est un rôle de composition. La réalité est là et ce n’est pas en évitant de nommer les choses, de ne pas dire noir, que l’on effacera les stigmates et autres discriminations.

Je conclurai sur le fait que cette politique est assez paradoxale et en retard d’un wagon dans le train de l’antiracisme. De plus, il aurait fallu demander au principal intéressé quel était son positionnement sur la question. J’ai la certitude que sa réponse sera plus qu’intéressante.

Soufyan Heutte, écrivain, éducateur à la PJJ.

Oui, il est noir et il faut le dire

Ce n’est que le deuxième ?

Quelle tristesse que l’on en soit encore là ! Que notre couleur de peau soit un frein, un rejet ou parfois un outil de communication ou de débats haineux…

Nous sommes parfois utilisés pour figurer « le corps noir » pour le quota de certaines institutions. C’est la survivance de stéréotypes concernant les figures noires et le corps noir sert de faire valoir au corps blanc depuis très longtemps.

Dans une carrière d’artiste africain-américain ou « issue de la diaspora » comme on dit en France, nous sommes toujours confrontés au regard des autres, à la catégorisation et à ce que l’on peut représenter. On peut s’interroger sur certaines propositions professionnelles, « notre corps noir » est un symbole…

Est-ce un symbole progressiste ou un quota ?

Souvent considérés comme des créateurs à part et affublés d’un curieux astérisque (*noir), on attend toujours quelque chose de ces artistes-là, et ils doivent souvent travailler deux fois plus pour être reconnus.

Pour beaucoup d’entre nous, un exemple

La nomination de Roderick Cox comme nouveau chef de l’Orchestre national de Montpellier me ravit ! On en parle et tant mieux, mais ça ne devrait plus être un débat. J’espère que cela ne déchainera pas les « haters » ! Il faut noter que cette nomination aussi fait sens, suite à la récente Biennale Euro-Africa.

C’est une chance pour notre ville et pour l’équipe de l’Opéra national de Montpellier. Il faut que je vois ça de mes propres yeux (et oreilles) !

Il a un parcours incroyable, une connaissance de la musique conséquente et oui il est noir et il faut le dire ! Il symbolise pour beaucoup d’entre nous, une figure noire, un exemple, un air de « c’est possible ! ».

La société française a encore du chemin à faire autour de ces questions,

Car ce n’est que le deuxième… !

Hélène Jayet, artiste

Cette nomination est un événement emblématique

On aimerait beaucoup que la « ligne de couleur » ne soit qu’un mauvais souvenir aujourd’hui mais force est de constater qu’il y a encore du travail à accomplir collectivement avant d’y parvenir vraiment. C’est la raison pour laquelle je pense qu’il faut éviter de tomber dans le color blind qui pose aussi de nombreux problèmes …

L’effet et la charge d’une information varient en fonction de son émetteur. Que LOKKO dise que Roderick Cox est noir n’a pas la même signification que si c’était l’Opéra Orchestre, la municipalité ou le Ministère de la Culture qui le disaient. Même si je me méfie de toutes les attitudes prescriptives ; émanant de ces institutions, cette information aurait pu passer pour une instrumentalisation de la « question noire » dans l’objectif de valoriser l’image de nos institutions montpelliéraines à une époque friande de vernis progressiste. De cette manière, l’information aurait été utilisée au détriment des compétences et de la figure de Roderick Cox lui-même ce qui l’aurait paradoxalement invisibilisé. Mais, la parole des médias a un impact d’un autre ordre, qui se situe à un autre endroit.

Très récemment, la presse internationale s’est enthousiasmée autour d’Ed Dwight qui nous a été présenté comme le premier homme noir à avoir passé le concours de la Nasa dans les années 1960 et qui n’a finalement pu se rendre dans l’espace que cette année alors qu’il est nonagénaire ! Il s’agit ici d’un acte de réparation et la réparation passe par des actions symboliques dans l’espoir qu’elles ne restent pas isolées.

La persistance d’inégalités violentes

Donc, au contraire, venant de la presse, il me semble que cette information est pertinente (sans être forcément nécessaire). Elle aura permis de s’étonner qu’en 2024 Roderick Cox ne soit que le second…surtout en France, compte tenu de notre histoire. Cela paraît totalement absurde et montre la résistance de certains milieux autant que la persistance d’inégalités violentes. En ce sens, la dimension patrimoniale de la direction musicale, et de tous les arts liés à l’opéra, fait d’ailleurs de cette nomination un événement emblématique. Ce sont des espaces qui sont perçus comme des bastions conservateurs et on se souvient de la complexe expérience de Bintou Dembélé avec l’Opéra National de Paris autour des « Indes galantes«  version krump en 2019… Peut-être qu’un véritable renouvellement se met en route et qu’il permettra aussi de désenclaver ces pratiques artistiques en donnant envie à d’autres publics de s’y intéresser.

Cette information permet, par ailleurs, de réactiver les revendications d’associations comme « Décoloniser les arts » qui œuvrent depuis dix ans pour que les milieux artistiques et institutionnels de la culture subventionnée soient moins monochromes. A ce sujet, Roderick Cox dit combien le fait de ne pas avoir vu de chef d’orchestre qui lui ressemblait a constitué un endroit de questionnement important pour lui. La jeunesse a besoin de modèles pour pouvoir se construire sans limites.

Enfin, Roderick Cox lui-même explique volontiers que son geste artistique est façonné par une enfance bercée par les vibrations du gospel que chantait sa mère. Son geste est nourri par ce que nous appelons avec un collectif de chercheurs les « esthétiques jazz ». Il est important de reconnaître que la singularité du travail de ce jeune chef d’orchestre relève d’ancrages artistiques et philosophiques issus des diasporas afrodescendantes qui ont toujours à lutter pour plus de « dignité » comme le dirait Norman Ajari et comme en témoigne l’ampleur récente d’un mouvement mondial comme Black Lives Matter.

A titre personnel, au moment de cette annonce, j’ai repensé à la figure historique (et injustement méconnue) de Joseph Bologne de Saint-George, dit le « Chevalier de Saint-George », au XVIIIe siècle et je me suis réjouie de vivre dans une des rares villes de France où un artiste afrodescendant occupera un poste à hautes responsabilités dans un secteur culturel.

Pénélope DechaufourMaître de conférences en études théâtrales et en études culturelles à l’Université Paul Valéry Montpellier 3, laboratoire RIRRA21.

Je mesure la portée symbolique d’une telle nomination

On nous avait dit dans son entourage que Michaël Delafosse n’avait pas aimé que nous soulignions le fait que Roderick Cox était « le deuxième chef noir » en France. Surprise : rencontré à la Comédie du Livre, il nous apprend qu’il a suivi et apprécié le débat lancé par LOKKO et qu’il lui a donné envie de nous écrire.

Une des fonctions essentielles du journalisme, et de la presse écrite -que celle-ci soit imprimée ou en ligne- reste aujourd’hui encore de susciter, par les questions qu’ils posent, des discussions publiques, des controverses, de mettre en lumière certains impensés.

L’article qu’à consacré LOKKO à la nomination de Roderick Cox au poste de directeur musical de l’Opéra Orchestre National de Montpellier est à l’origine d’un débat qui, depuis quelques semaines, a fait parler en ville : fallait-il insister ou non sur la couleur de peau de ce jeune américain, prodige de la direction d’orchestre ? Était-il de bon ton de souligner que Roderick Cox est seulement « le deuxième chef d’orchestre noir en France » ?

À mes yeux et en tant que Maire de Montpellier, dont la tradition de ville-carrefour, accueillante et hospitalière, remonte au Moyen-Âge et ne s’est jamais démentie, les choses vont de soi : seul le mérite compte ; seules les qualités artistiques, professionnelles, humaines doivent prévaloir.

Mes convictions socialistes, humanistes et républicaines m’amènent à faire mienne depuis le début de mon engagement politique la célèbre déclaration de Jean Jaurès, paru à la une d’un autre journal, La Dépêche, en un autre temps, le 4 juin 1892 : « Je n’aime pas les querelles de race, et je me tiens à l’idéal de la Révolution française, c’est qu’au fond, il n’y a qu’une seule race : l’humanité ».

Mais ces convictions personnelles, dans lesquelles s’ancrent les principes que j’observe, ne m’empêchent pas, bien au contraire, de me réjouir de voir aujourd’hui un jeune et déjà grand artiste, afrodescendant, prendre la direction musicale d’une des plus belles institutions de notre ville, et d’un des grands lieux de musique de notre pays.

La trop faible diversité dans la culture

Et je mesure bien sûr la portée symbolique d’une telle nomination. Ainsi, qu’au sens premier du mot, sa portée politique : l’Opéra Orchestre de Montpellier a élu un chef à l’image de sa ville, à l’image de sa talentueuse jeunesse, à l’image de la très grande diversité qui la compose. Voilà un directeur musical venu des États-Unis, et qui amène avec lui beaucoup des influences croisées, des identités innombrables qui composent son grand pays. Son talent fou, sa très grande rigueur professionnelle, sa volonté d’amener l’orchestre encore plus haut, d’offrir aux publics, à tous les publics, une programmation encore plus ambitieuse, ont été déterminants dans le choix effectué par l’Orchestre.  

La route semble encore longue avant que la couleur de peau et que les origines d’une personne ne fassent plus objet de débats. Cette route passe par de telles nominations, qui font malheureusement aujourd’hui figure d’exception, et viennent cruellement souligner la trop faible représentativité de la diversité à l’endroit même où cette dernière aurait dû le plus naturellement s’imposer : les lieux de culture.

C’est de notre responsabilité commune de faire en sorte que, dans quelques années, la question soulevée par l’article de LOKKO ne soit plus, heureusement, d’actualité. Et c’est également de notre responsabilité commune d’accueillir aujourd’hui Roderick Cox pour ce qu’il est avant toute chose : un grand artiste.

Michaël Delafosse, maire de Montpellier, président de Montpellier Méditerranée Métropole.

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Wilder
Wilder
6 mois il y a

Ce que certains reprochaient ils contribuaient à le souligner. Alors changeons la question : que le chef est noir fallait-il le taire? On risque la censure , n’est-ce pas ?
Françoise WILDER

Philippe Maréchal
6 mois il y a

Peu importe sa couleur de peau, seules comptent ses qualités humaines et professionnelles reconnues en France et à l’étranger. Nous avons la chance d’avoir à la tête de la direction musicale de l’OONM un homme de conviction et d’écoute.

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