Morte ce mardi 18 juin à 92 ans, Anouk Aimée a joué pour Fellini, dans deux des meilleurs films de l’histoire du cinéma : « La dolce vita » en bourgeoise triste et désinvolte, et « Huit et demi », où elle incarne l’épouse du réalisateur névrosé et résiste à Mastroianni.
Dans « La dolce vita », elle est l’ennui moderne
Anouk a été aimée des dieux. Elle eut la chance de jouer, jeune, sous le regard bienveillant de Fellini, en ce temps béni où cinémas italien et français étaient jumelés. Dans « La Dolce Vita », magnifiée par la photographie, personne plus que son personnage ne porte la substance du film : l’ennui moderne. C’est une jeune femme de « la haute », qui n’a d’autre raison de vivre qu’être, et ne peut ainsi exister. Elle ne croit même plus aux soirées avant qu’elles aient commencé, elle a entériné la défaite. Elle est comme Rome, sa grâce passe inaperçue, car plus personne ne regarde ni ne voit, comme dans la « grande belleza ». Elle a tout vu pense-t-elle, puisqu’elle porte des lunettes noires, comme pour se protéger de la répétition et de la nausée. Elle pourrait partir de Rome, mais le monde moderne est achevé, ici ou ailleurs. Elle dissimule sa tristesse sous sa désinvolture.
Blasée au plus haut point, peut-être par artifice, elle raccompagne avec Marcello une prostituée dans une de ces banlieues dépeintes par Pasolini , habitées sans l’être. Mollement, elle recherche là une authenticité, qui la tirerait de sa torpeur. C’est l’échec d’avance. A moins de trouver l’amour, qui n’est pas à tous les coins de rue, mais il requiert de se donner tout entière, dans un monde sans gravité, de fausseté, où chacun est un paparazzi. Elle consomme les ersatz de l’amour, d’une nuit, sans issue autre que le petit matin vulgaire. Mais peut-être passe-t-elle tout près de l’amour de Marcello, par peur, crainte d’être flouée ? Pour qu’il existât, encore eut-il fallu se décider à une étincelle. Aussi lui reste-t-elle à surenchérir sur la légèreté de Marcello, à sombrer dans le mépris de soi, jusqu’à se salir. Dans un monde froid, où l’on surjoue la gaieté contre le vide, se risquer au premier pas est bien trop périlleux. « Insoutenable légèreté de l’être », a-t-on écrit un jour.
Dans « Huit et demi », une femme forte
Dans le second film, « Huit et demi », Fellini explore d’autres facettes d’Anouk Aimée, et la révèle encore plus à elle-même comme actrice. Il tire encore une fois parti de sa complexité. Cette fois, elle est l’épouse du réalisateur névrosé, dans ce grand film-psychanalyse, dont la conclusion sera qu’il faut sublimer, comme artiste, et devenir qui l’on est, sans plus se mentir. Mastroianni est obsédé par les femmes, la femme, la pureté originelle du linge blanc dans lequel l’enveloppaient les femmes de son enfance. Anouk Aimée, Luisa, elle aussi est en blanc, mais elle est têtue, avec ses lunettes sévères, sa coupe courte, son absence de tricherie. Elle est la seule à résister à ce grand enfant, et le met ainsi dos au mur, lui qui ne veut pas choisir, grandir, renoncer. Elle allie une profonde fragilité et la ténacité, tenaillée, de son côté, entre la jalousie et le dégoût d’elle-même. Quand Mastroianni la rêve, alors l’actrice se transforme du tout au tout, elle devient la douce femme, substitut de la mère, l’épouse maternante rêvée du réalisateur. Mais dans le réel, si on peut le discerner dans ce film, parmi les milles femmes, amantes ou actrices, elle est celle qui le contraint à surmonter ses conflits destructeurs. C’est que le maestro a du trouver, dans cette actrice française menue, une véritable force à laquelle il valait de mesurer son personnage (qui bien sûr, est Fellini lui-même).
A la UNE Anouk Aimée dans « La dolce vita »+ photo du tournage avec Federico Fellini (réalisateur), Pier Paolo Pasolini (scénariste), Marcello Mastroianni et Anouk Aimée, et ci-dessus dans « Huit et demi », crédits DR.
1 « La grande belleza », de Paolo Sorrentino, « la dolce vita » du XXIe siècle.
2 Pasolini a été appelé par Fellini pour réécrire le scénario, afin de « sauver le film », ainsi les chefs d’œuvres, comme Casablanca, sont parfois issus du chaos.