Le film culte de Bernardo Bertolucci, sorti en 1972, avec Marlon Brando et Maria Schneider symbolise la brutalité systémique du cinéma envers les femmes. Sa fameuse scène de sodomie simulée avec du beurre a brisé la carrière de la jeune actrice. Jessica Palud en a fait un film du point de vue de Maria Schneider.
Tourné en pleine période de libération sexuelle, « Le Dernier tango à Paris » a pourtant fait l’objet d’attaques très vives à sa sortie en 1972. De nombreuses critiques et associations s’élevant contre son caractère pornographique. En France, le film a été interdit au moins de 18 ans. Patrie de Bernardo Bertolucci, l’Italie a poursuivi le réalisateur le condamnant à une peine avec sursis et brûlant des copies.
D’abord, le revoir. Mortifère, fébrile, il porte l’empreinte de la nouvelle vague, de son réalisme. On retrouve, d’ailleurs, dans le rôle du petit ami de Maria Schneider, Jean-Pierre Léaud, acteur fétiche de François Truffaut.
Beaucoup de dialogues sont improvisés. Brando est sublime en homme brisé et déviant. C’est une brute mais il crève l’écran. Maria Schneider a un visage d’enfant. Elle a 19 ans, lui 48. C’est dans le huis clos d’un appartement parisien que ces deux paumés magnifiques ont d’intenses rapports sexuels, à tendance sado-masochiste…
Ce n’est pas un si grand film, mais une scène est entrée dans l’histoire. Un mythe, un cas dans le cinéma. Marlon Brando se livre à une sodomie (simulée, il n’y a pas eu pénétration) en s’emparant d’une plaquette de beurre comme lubrifiant. Maria Schneider se débat, pleure. La scène a été décidée le matin même par les deux hommes sans la mettre au courant pour qu’elle réagisse « comme une femme et non comme une actrice » selon l’expression du réalisateur. Qu’elle « n’interprète pas l’humiliation et la rage mais qu’elle les ressente« . Brando la plaque au sol avec brutalité. Maria Schneider parlera d’un « double viol » de l’acteur, ce monstre sacré avec lequel une estime mutuelle s’était développée pendant le tournage, et du réalisateur qui a toutes les audaces.
Et même si dans le film, la jeune femme finit par abattre cet homme dérangé, dans une fin qui l’héroïse; malgré le succès international, Maria Schneider subit des sarcasmes. Elle entend à toute occasion la blague « Passe-moi le beurre ». Malgré des rôles chez Antonioni et Rivette, elle restera prisonnière de cette séquence.
Fait rare dans le cinéma à l’époque, elle parle, se rebelle, accuse. Il faudra attendre 2013 pour que Bertolucci confirme ce qu’avait vécu Maria et lui présente ses excuses mais l’actrice est morte deux ans avant, d’un cancer, à 58 ans. Elle ne s’en est pas remise, a sombré dans la dépression et la drogue.
« S’il avait existé des coordinateurs ou coordinatrices d’intimité, cette scène sulfureuse du Dernier Tango à Paris n’aurait pas existé », a expliqué Jessica Palud dans une présentation du film au Diagonal. C’est le postulat de départ de la réalisatrice pour ce portrait de Maria Schneider, plus que biopic, qui revisite le film le plus emblématique de la violence faite aux femmes sur les plateaux de tournage.
« Le dernier tango l’a tuée »
Jessica Palud a été assistante pour Bernardo Bertolucci dans un autre huit clos sensuel dans un appartement parisien, étrangement ressemblant, tourné 30 ans plus tard : « Innocents – The Dreamers », avec Eva Green, Louis Garrel et Michael Pitt. Au Diagonal, Jessica Palud est restée évasive mais on a bien compris que le métier d’assistante met aux premières loges des abus nombreux au cinéma. « Toutes les affaires qui sortent, tout le monde savait dans le métier, nous savions tous« . Intriguée par l’évocation de ce film maudit dans l’entourage du réalisateur italien au crépuscule de sa carrière, elle se documente, contacte la journaliste Vanessa Schneider, petite-cousine de Maria, auteur d’un livre poignant : « Tu t’appelais Maria Schneider ». En 2017 ressort un entretien où Bertolucci exprime ses regrets sur un ton contrit. La vidéo qui circule alors en plein #Metoo est un pas de plus vers la réhabilitation.
« C’est un film sur le regard, comment le regard abîme, comment le regard peut réparer. Maria était quelqu’un qui était en recherche d’amour, de respect, qui ne l’a jamais trouvé. Le dernier tango l’a tuée » a expliqué Jessica Palud. Droguée et ruinée, elle finira sa vie avec la faim au ventre.
Fallait-il rejouer la fameuse scène au risque de la figer encore dans ce rôle ? « J’ai eu accès au scénario original qui était annoté par la script, donc le scénario du plateau du tournage. On voit dans le scénario que la scène n’est pas écrite. On voit les annotations de la script quand la scène bascule. Pour moi, c’était très important de montrer ce basculement et de le vivre à travers ses yeux à elle et ses yeux à elle qui regarde la caméra et qui regarde cette équipe qui ne réagit pas.«
Ce film « lui rend sa dignité » a commenté de son côté la belle et vibrante Anamaria Vartolomei, 25 ans, une révélation. Dans l’émission « Quotidien », elle a confié avoir beaucoup pleuré durant le tournage. Même Mat Dillon, acteur culte américain (il a tourné avec Gus van Sant, Coppola, Lars von Trier, David Fischer) a été traversé par une même douleur cathartique en jouant « les scènes les plus difficiles » de sa carrière, d’autant que Brando est une de ses idoles. On a engagé un cascadeur pour la scène de la sodomie pour éviter que la brutalité du plaquage blesse l’actrice.
Dans la salle, à Montpellier : de nombreuses jeunes femmes qui ne connaissaient pas « Le dernier tango à Paris ». Une transmission s’opère à travers « Maria » en même temps qu’une relecture féministe qui affronte de vertigineuses questions sur la création.
L’équipe de « Maria » a monté les marches du dernier festival de Cannes qui a choisi de présenter le film en renonçant à fêter les 100 ans de Marlon Brando…
« Maria » de Jessica Palud, avec Anamaria Vartolomei, Matt Dillon et Céleste Brunnquell, est actuellement au cinéma.