Le cap est fixé pour l’avenir de Montpellier Danse et de l’Agora de la danse qui abrite le festival Montpellier Danse et le Centre chorégraphique national. Dès l’an prochain, une association unique, et une nouvelle direction, collective, animeront la totalité de l’Agora, Cité internationale de la danse dans l’espoir de dynamiser un bâtiment resté terriblement intimidant. Avec ce mot d’ordre : « Il faut une rupture, changez tout ! ».
L’interminable feuilleton est, quand même, terminé. Jean-Paul Montanari, 77 ans, assure qu’il sera à la retraite en janvier 2025. Cela, même en continuant de veiller au parfait bouclage de la prochaine édition du festival, la quarante-cinquième, Montpellier Danse. Il le dirigeait quasiment depuis ses origines. Dans les bureaux d’à côté, une autre personnalité de la danse, moins connue du grand public, fera lui aussi ses cartons : fin décembre 2024, Christian Rizzo, chorégraphe, sera parvenu au terme réglementaire de sa mission de dix ans de direction du Centre chorégraphique national de Montpellier Languedoc-Roussillon.
Un appel à projets en septembre
Toute une tragi-comédie, typiquement montpelliéraine, débouche sur une procédure absolument classique, banale, normale, dans le cas des successions à la tête des grands établissements culturels, vaisseaux amiraux de la prestigieuse politique culturelle française. Soit un appel à projets. Tout simplement. Lequel sera rendu public dès septembre. Les candidats -non de simples individus, mais des équipes, binômes, trinômes, voire des collectifs, comportant au moins un artiste, et pourquoi pas plusieurs- prendront les rênes d’une nouvelle association, unique, animant la totalité de l’Agora, Cité internationale de la danse.
On est quand même à Montpellier. Et rien n’a été si simple. L’Agora de la danse est cet énorme bâtiment -ancien couvent des Ursulines, ancienne prison, ancienne caserne Grossetti- qui borde le boulevard Louis Blanc et donne son nom à une station de tramway. Derrière ses grilles anti-SDF monstrueuses, son escalier monumental, son lourd portail de bois immuablement fermé même en plein festival, sinon contrôlé par des agents de sécurité quand il s’entrouvre pour des soirées strictement sur invitation, les milliers de passagers des lignes 1 et 4 qui, chaque jour, s’arrêtent un instant à cette adresse, ne peuvent rien y déceler qui leur donne envie d’y pénétrer sans craintes.
7000m2 dédiés à la danse
Il y a pourtant là un outil public fabuleux, fleuron de la grande épopée des ambitions culturelles de Georges Frêche, maire de Montpellier à partir de 1977, initiateur de moults festivals et équipements. L’Agora de la danse : aujourd’hui, aux termes de presque quarante années de projets et travaux, 7000 mètres carrés sont intégralement dédiés à l’art chorégraphique, avec huit studios permettant de nombreux accueils d’artistes -dont le fabuleux studio Bagouet accueillant du public- , un merveilleux théâtre de plein air (près de six cents places) utilisé moins de dix soirs par an, une cour somptueuse mais vidée de toute vie, une école expérimentale de pointe pour la formation de jeunes artistes. Et enfin les bureaux de deux entités distinctes : le Centre chorégraphique national, et le festival Montpellier Danse, totalisant près de six millions d’euros de budget annuel.
Et entre les deux : un mur invisible, mais furieusement hermétique, fait de querelles de compétences, susceptibilités d’égo, incompatibilités statutaires des structures, et autres passions toxiques du pouvoir. Michaël Delafosse, président de la Métropole de Montpellier, restait très discret sur le sujet depuis son arrivée au pouvoir. La danse semblait faire partie des très beaux meubles reçus en héritage, à conserver précieusement, mais sans trop d’enjeux saillants, avec son public plutôt confidentiel dans la création, à cheveux blancs quand il s’élargit, autour d’un art qui a perdu de son mordant dans l’époque.
Michaël Delafosse entre dans la danse
Or voici que le maire de Montpellier descend vigoureusement dans l’arène. L’équipement de l’Agora vient d’être totalement terminé ; un studio supplémentaire, une galerie d’exposition. Et le départ conjoint des grands directeurs impose la question de l’avenir. Là, pas question de laisser s’affaiblir cette position « parmi les capitales mondiales de la danse », que Montpellier a conquise. Le mot d’ordre est devenu : « Il faut une rupture, changez tout ! » selon la formule de Montanari lui-même. Une nouvelle direction, certes, mais Delafosse assure : « Surprenez-nous, ne continuez pas comme avant. Je ne gère pas un mercato de directions. L’urgence est à la défense de l’inventivité, la créativité, l’écriture de la modernité. Sans quoi, c’est le populisme qui menace. Il faut des gestes de puissance ; ça n’est pas un problème de gestion de petits lieux ».
Et un commentaire de philosophie générale : « La France des procédures tue la France des projets ». Car il y avait bien un hic des procédures. Le Centre chorégraphique, dans lequel le Ministère de la Culture est très impliqué, relève d’un label dont les termes sont fixés très rigoureusement sur le plan national. Au contraire, le Festival ne relève, historiquement, que de la volonté politique locale, fixant ses propres règles. La Métropole, très largement financeuse, y est chez elle.
A la rentrée dernière, on ne s’est pas épargné la péripétie d’une curieuse mission de préfiguration d’un nouveau projet, confiée au seul président du seul Festival, se retrouvant ainsi juge et partie. De quoi faire monter au créneau la totalité des CCN de l’Hexagone, qui voient dans leur fameux statut, leur label national, une protection des artistes qui les dirigent, avec leurs projets, contre les pressions des élus locaux. La page est tournée, de cette crispation soudaine : « Nous voici tous alignés : Ministère, région Occitanie, Métropole de Montpellier, mais aussi les deux président.es des deux entités, CCN et Festival ».
Une maison des artistes plus ouverte sur la ville
Les labels nationaux sont des acquis de l’histoire. Le délégué à la danse au sein du Ministère, la D.R.A.C. Occitanie et sa conseillère danse, acceptent l’idée d’une entité nouvelle, dans le cas particulier du dispositif montpelliérain. On y dépasserait, de façon expérimentale, les cadres réglementaires légués par l’histoire. Puisque l’époque a changé. Il y eut les pionniers des années Lang. Il pourrait y avoir de nouveaux pionniers, inventant une Agora de la danse qui serait « une maison des artistes avant tout », en même temps que « plus ouverte sur la ville et accessible aux professionnels et aux différents publics tout au long de l’année ».
Le maire de Montpellier rassure : « Pas de réduction de budget, au nom d’économie d’échelles. Au moins le total des deux budgets existants, voire augmentés, notamment grâce à un mécénat d’entreprises sensibilisées par cette nouvelle dynamique. Mais cet argent doit aller à l’artistique. Pas au règlement de factures d’électricité en train de flamber ». Et pas plus d’objectif de dégraissage dans les équipes actuelles. Lesquelles ne sont pas pléthoriques, au demeurant.
Rumeurs, pures rumeurs
Appel à projets, donc. Dès que lâchée cette expression, la boîte à rumeurs s’ouvre. Les uns voient déjà Nicolas Dubourg s’installer dans le fauteuil. Il dirige le Théâtre de la Vignette, a conduit la candidature (échouée) de capitale européenne de la culture, et préside nationalement le Syndeac, très influent syndicat professionnel. Comme à chaque fois revient immanquablement le nom du brillant Boris Charmatz, convaincant leader de ce qu’il reste de la danse contemporaine française, brillant ces jours-ci à Avignon, mais déjà accaparé par la mission très difficile de succéder à Pina Bausch en Allemagne. D’autres encore se laissent séduire par le chorégraphe Dimitri Chamblas, impétueux et décomplexé dans le vent de l’époque, installé à Montpellier, très proche de Charmatz justement, et pouvant se réclamer des héritages des maîtres montpelliérains Bagouet et Monnier.
Nous voici en plein mercato. Totalement prématuré. L’appel à projets tourne la page procédurale. Place aux réflexions de fond. En position d’observateur proche de ces choses depuis plus de trois décennies, on se permettra quelques remarques. Se dire touché d’avoir croisé Claudine Frêche, grand témoin des plus grandes époques, mise en avant comme pour marrainer toutes ces annonces lors de la cloture du dernier festival. Là, bien symboliquement, c’est coincé contre la terrible grille de l’Agora, que s’est exprimé le maire, devant un parterre où on aurait pu aimer voir figurer de jeunes porteur.ses d’options d’avenir, elleux absent.es.
Le poids du passé
En table ronde, quelques jours plus tôt, on était resté pantois que la parole fût accordée avant tout à des figures de la danse des années 80, et autre opérateur du cabinet Lang, ou directeur d’un ballet d’Opéra, et autre journaliste-historien du micro-milieu. Sans oublier que sur le territoire local et régional, la danse connaît bien d’autres acteurs, bien d’autres espaces, que les seules figures de l’Agora. C’est un tissu à faire vivre. La question plane aussi, d’une discipline artistique qui a besoin urgent d’ouverture indisciplinaire, et de genres nouveaux, en zone décoiffante. Que ça swingue !
Comme président de la Métropole, c’est au Festival que Michaël Delafosse se sent chez lui. C’est très légitimement qu’il recherche chez Jean-Paul Montanari une épaisseur de la mémoire, autant qu’une immense expertise professionnelle, trempée dans une redoutable maîtrise des réseaux d’influence, locaux, nationaux, internationaux. Reste qu’on ne saurait se satisfaire des litanies des récits anciens glorieux, encensements et autosatisfactions. A y être, c’est tout de même l’oeuvre des artistes qu’il s’agit d’admirer, plutôt que l’exercice du pouvoir par ceux qui sont chargés de se mettre à leur service.
A cet égard, si décevante et poussive qu’ait été la direction du CCN par un Christian Rizzo, qui en son temps prétendait tout révolutionner de son art et de l’institution, il y a néanmoins réécriture de l’histoire, à l’accuser lui seul d’avoir figé l’Agora en bastide verrouillée.
Et maintenant : de l’air !
Oui, ouvrir les portes du « palais » au public! En faire une nouveauté, une attraction, un échange fabuleux,
Dimitri Chamblas s’y est prêté plusieurs soirs. Avant le spectacle la grille s’est ouverte au public,( inscrits!) 1h avant la présentation dans la cour de l’Agora, Les participantes on put s’imprégner physiquement , sensoriellement, intérieures, du spectacle à venir.
Prêts à y « rentrer » Nous étions bien une cinquantaine à évoluer, vieux, jeunes, moins jeunes, hommes, femmes, pieds nus dans cette magnifique cour, suivant les consignes du chorégraphe, nous avons eu la chance de pénétrer le travail de l’artiste et nous sommes entrés dans le spectacle en traversant la scène . Ce fut, c’est une véritable performance.
Très belle initiative, innovante.
Magnifique expérience que j’ai eu la chance de vivre , merci Dimitri,
Une belle ouverture a ce magnifique patrimoine.
Merci en teà Dimitri! Je suis dithyrambique, et fait partie de la génération de Freche…!
Il est impératif de rendre la chorégraphie pérenne au sein de l’Agora et d’être à l’avant-garde de la danse contemporaine en lien avec la vie de la cité.
L’Agora doit être peupler d’artistes quelles que soient leur nationalité, leur esthétique leur religion, leur sexualité…
Il faut mettre la créativité comme axe prioritaire à la Culture tout en ayant des gestes de puissance pour la Culture.