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Élise Thiébaut : « Il faut échapper à cette vision patriarcale qui raconte la ménopause à notre place »

Autrice, journaliste, écoféministe, Élise Thiébaut est l’autrice de « Ceci est mon sang », un best-seller traduit dans plusieurs langues sur les règles. Elle a fondé la collection féministe « Nouvelles Lunes » au Diable Vauvert et publié cette année « Ceci est mon temps » au Diable Vauvert. Un livre sensible et documenté qui pose un regard neuf, joyeux et libérateur sur la ménopause, sortant radicalement de la vision catastrophiste héritée du patriarcat.

Entretien réalisé dans le cadre d’une journée dédiée aux auteurs/autrices et éditeurs/éditrices de la région par Occitanie Livre et Lecture. 

 
« On perd toute valeur sur le marché à la bonne meuf »

LOKKO : Vous placez ce livre dans le champ de l’écoféminisme. En quoi la ménopause relève-t-elle de l’écoféminisme ? En quoi les bouffées de chaleur auraient quelque chose à voir avec le réchauffement climatique ? Vous dites : « Nous avons imposé à notre planète une gigantesque ménopause en miroir de celle que nous vivons individuellement« .

ÉLISE THIÉBAUT : Pour avoir écrit « Ceci est mon sang », je me suis convaincue que la ménopause qui suit les règles, c’est comme le silence qui suit Mozart, c’est du tabou. Un double tabou même qui relève du sortilège sexiste dans lequel on cherche à enfermer les femmes depuis des siècles : on vous apprend que le jour où vous avez vos premières règles, vous devenez une femme, mais, en même temps, que c’est honteux, sale. Et quand on cesse de les avoir, on vous dit que vous avez perdu toute valeur sur ce que Virginie Despentes appelle « le marché à la bonne meuf ». On devient invisible, transparente etc… Une fois qu’on a dit ça, on n’a pas dit grand-chose.

Je suis d’abord allée voir les origines de ce mot. C’est très récent, ça date du début du 19ème siècle. Dans « Avis aux femmes qui entrent dans l’âge critique » (1816), le médecin Charles de Gardanne utilise le terme « menespausis » afin d’évoquer l’arrêt des règles. S’engage alors une pathologisation du corps des femmes dans son ensemble. Le corps stable, permanent, est masculin. Bien qu’il ait ce pouvoir d’enfantement, le corps féminin est débile, soumis à de multiples fluctuations. La ménopause, c’est carrément le stade de la mort.

 
« Les femmes vivent mieux leur ménopause à la campagne »

Comment arrive-t-on à ce parallèle climatique ?

A la même époque, c’est la révolution industrielle, et l’exode rural qui s’ensuit. Un temps où l’on mécanise le monde, placé sous horloge. La nuit disparaît avec l’électricité. Tous les cycles sont perturbés. Une grande déconnexion s’opère d’un certain nombre de cycles. On entre dans une ère de surproduction qui va engendrer le réchauffement climatique qu’on connaît aujourd’hui mais aussi une modification de nos corps.

On observe déjà à cette époque que les femmes à la campagne, mieux synchronisées avec les cycles de la vie, vivent mieux leur ménopause qu’en ville. On peut dire que les femmes vont vivre une ménopause de même nature que celle que vie la planète dans cette séquence de chosification des corps.

C’est un livre très informé, avec de nombreux éléments historiques, scientifiques mais aussi un livre très personnel où vous racontez votre vécu intime, sans tabou, souvent avec humour. Pourquoi avoir choisi ce double registre entre l’essai et l’autobiographie, à la fois documenté et léger ?

L’expérience la plus fondamentale, qui est celle d’avoir un corps, est indispensable à la compréhension du monde. Beaucoup d’auteurs et autrices, et notamment dans le champ du féminisme, pratiquent ce qu’on appelle l’autothéorie et donc réfléchissent à partir de leur expérience. J’ai toujours essayé de me réapproprier la mienne. Avoir ses règles, c’est 2400 jours d’une vie qui ne sont pas pensés, exprimés, n’ont pas voix au chapitre. On m’a souvent demandé à quel titre je parlais étant ni médecin, ni gynécologue. Je réponds à chaque fois qu’avoir eu mes règles pendant 40 ans m’autorise à penser cette expérience dans toutes ses dimensions, à échapper à cette vision patriarcale qui raconte à notre place. Le féminisme dit bien que l’intime est politique. Il s’agit de cela. Concernant la ménopause, ce qu’on nous raconte partout, et en particulier dans le champ médical, est faux.

« En faire une maladie est une fiction »

Selon vous, le syndrome prémenstruel est une fiction médicale. Il se dit des choses fausses ou en tout cas dont on n’est pas sûr du tout.

Le fait d’en faire une maladie est une fiction. L’hymen est une fiction, tel qu’il est raconté par la médecine. Sur le syndrome prémenstruel, on ne sait pas, aujourd’hui, quelle est la différence entre une femme qui a envie de se pendre dans les trois jours qui précèdent ses règles et une femme qui dit « moi tout va bien, les règles, de quoi parlez-vous ?« . On ne dispose d’aucun indicateur physiologique pour l’expliquer. Ce qui ne signifie pas qu’on n’éprouve pas un malaise parfois profond avant ses règles. C’est toute l’ambivalence de cette démarche : à la fois redonner toute sa place à ce vécu et sortir des narrations qui vont minorer notre expérience ou notre personne.

On voit que la perception de la ménopause est un pur produit du patriarcat.  Vous citez La Rochefoucault – »La ménopause est l’enfer des hommes« , Freud – »Les femmes ménopausés sont querelleuses, contrariantes, dictatoriales« . C’est une longue histoire de regards et qui est responsable aussi de cette vision biaisée et catastrophiste de la ménopause.

Ces discours catastrophistes qui nous impuissantent, c’est cela que je voulais mettre en cause. Je n’ai pas voulu m’appesantir non plus sur les discours négatifs sur les femmes et leurs corps, car je ne voudrais pas les perpétuer. Plutôt revenir à des narrations différentes et m’interroger sur d’autres façons de sortir de ces sortilèges.

Cette approche genrée, elle va loin ! C’est ce que vous appelez le sexisme médical. On a négligé de vérifier la toxicité des traitements hormonaux. On a ignoré l’endométriose. C’est une médecine qui tue quasiment.

L’endométriose touche 10 à 15% des femmes. C’est la première cause d’infertilité féminine. On en connaît les symptômes depuis l’Antiquité. Mais on ne sait toujours pas la diagnostiquer correctement. Certaines femmes vivent une errance médicale de plusieurs années. Cela dit beaucoup sur la manière dont la médecine dans son rapport au corps des femmes. Des études le montrent : quand un homme dit qu’il a mal à l’hôpital, il est soulagé plus vite qu’une femme dans la même situation, surtout s’il s’avère que cette femme est noire… Il a fallu attendre en 2000, 25 ans après la généralisation aux USA des traitements hormonaux substitutifs de la ménopause, la première étude randomisée en France qui révèle l’augmentation des maladies cardio-vasculaires et des cancers en lien avec ces traitements.

 
L’épouvante des hommes face à leur andropause

Il y a quelques lignes sur l’andropause. Vous parlez de « l’épouvante des hommes » face à leur andropause. On voit bien que c’est aussi un impensé total. Il y a un passage drôle où vous parlez de toutes les opérations que s’infligent les hommes, notamment la greffe de couilles de singes que s’est offerte Charles Maurras…

Symétriquement à la pathologisation de la ménopause, on nie l’andropause, on nie que les corps masculins vieillissent aussi, qu’ils sont soumis à des cycles, à des baisses conséquences de testostérone avec des conséquences assez similaires : des bouffées de chaleur, prise de poids, perte érectile, des phénomènes dépressifs. De l’épouvante, oui, qui tient au fait que ce n’est pas du tout inscrit dans le récit commun sur les hommes. Les médecins vont d’ailleurs se démener pour redonner de la vigueur aux hommes. A la fin du 19è siècle, un médecin franco-américain décide de s’injecter des extraits testiculaires de cobayes et de chiens. Il crée un médicament qu’il va vendre pendant plusieurs années. Et, un peu plus tard, dans les années 20 à 30, les greffes testiculaires de singes vont être pratiquées…

« La ménopause est un deuxième printemps »

Passons aux pages positives. Pour vous, la ménopause, c’est une métamorphose, une deuxième puberté.

Un deuxième printemps !

Vous dites : « Je me sens bien avec mon corps de matrone« . La disparition de l’espace public et son corollaire, un danger moindre de harcèlement, c’est appréciable. Et pour vous, surtout, la ménopause vous amène à l’écriture.

Il y a beaucoup de cultures qui considèrent la ménopause comme un moment de liberté où on réoriente l’énergie féminine axée jusque là sur la reproduction. Beaucoup de femmes se réalisent à partir de la ménopause, délivrées du poids reproductif. Cela m’est arrivé en même temps que je traversais des métamorphoses douloureuses, des épreuves. On ne va pas raconter que c’est une fête de tous les instants de vieillir, de perdre des repères construits autour de la féminité. Mais à un moment, quelque chose se libère.

Le laser pour la sécheresse vaginale, l’huile de CBD, le tantrisme : concrètement, on peut faire plein de choses pour bien vivre la ménopause.

Je n’ai pas tout essayé !

Une de vos amies, élevée par sa grand-mère dans l’idée que la ménopause pouvait être joyeuse, a très bien vécu la sienne, comme « un été indien ». Vous soulignez l’importance de la transmission contre les préjugés.

Les mots sont des sorts et ils vont conditionner la manière dont on va traverses les multiples expériences. C’est très important. Quand on vous dit tous les bonheurs ou les chemins de liberté que vous allez vivre, vous avez plus de chances de les trouver que si on vous balance : « c’est la mort du sexe !« .

 
« Le bon féminisme, c’est celui qui permet de s’écouter »

Sur le féminisme, vous notez ses deux versants. Le féminisme qui incite les femmes à performer comme les hommes, en oubliant leur corps, et celui qui resacralise le féminin, voire l’essentialise. Quel est le bon féminisme pour aborder la ménopause ?

Je ne donnerais pas de label. S’écouter, c’est important. J’essaie de donner des repères sur la manière dont ça peut être abordé dans les différents courants de pensée qui se réclament du féminisme. Je ne pense pas que mon corps est un temple et je ne pense pas non plus que les femmes devraient pouvoir « vieillir comme les hommes » selon l’expression. Je ne vois pas bien ce que ça veut dire. Cela n’a aucun sens. Si être féministe c’est être ensemble dans un conseil d’administration pour savoir comment on va opprimer des individus -mâles et femelles-, ça ne m’intéresse pas. Le bon féminisme, c’est celui qui permet de s’écouter et d’écouter les autres en étant le plus possible ouvert à ce qui nous entoure, au vivant. C’est cette manière qui a marché pour moi en tout cas.

Photo Pauline Rousseau

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ceci est mon temps, Au Diable Vauvert, 248p, 7,99€/20€.

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