Un grand opéra de la vengeance, du souffle et des voix pour cette production qui marque l’entrée en fonction du chef Roderick Cox en tant que directeur musical de l’OONM, dans une mise en scène efficace du grec Yannis Kokkos.
La Forza del destino de Giuseppe Verdi réussit l’exploit d’associer une partition magistrale à un livret assez indigeste, une sombre histoire emberlificotée de culpabilité et de vengeance que Yannis Kokkos en homme de théâtre aguerri gomme autant que possible, signant une mise en scène efficace.
Le public montpelliérain qui avait pu en 2016 apprécier sa version épique de « Turandot », a reconnu son amour pour le graphisme et les lignes épurées. Il invente ici, avec un assemblage de vidéos et de décors stylisés, un univers onirique et symbolique qui sert avec bonheur les péripéties mélodramatiques des personnages.
Une ouverture d’anthologie
Connue de tous par le cinéma ou la publicité, cette ouverture magistrale cite plusieurs des motifs principaux de l’opéra. Elle s’ouvre sur un appel des cuivres en trois notes répétées qui ne sont pas, comme on le lit souvent, les trois coups du théâtre mais bien les coups de semonces du destin. S’ensuit un motif ascendant des cordes, aussi lancinant que poignant qui exprime l’agitation et l’effroi des protagonistes. L’espoir, le soulagement et le pardon toujours en proie à la persistance du thème du sort funeste, affleurent dans cette ouverture dans une cohérence musicale qui contrebalance le livret quelque peu décousu et parfois capillotracté.
Ayant émis quelques réserves sur sa direction de La Bohème en fin de saison dernière, force est de constater que l’alchimie opère maintenant entre l’orchestre montpelliérain et son nouveau chef l’américain Roderick Cox. Il propose une version à la fois énergique et romantique de cette ouverture avec un pupitre de cordes aux accents dramatiques très convaincants et le magnifique son du clarinette solo, Andrea Fallico. Une dynamique qu’il fait perdurer tout au long des quatre actes de l’œuvre.
Un drame shakespearien
Alvaro et Leonora s’aiment sans espoir car le père de celle-ci s’oppose à leur union. Alvaro tue accidentellement ce père qui maudissait sa fille, l’obligeant à l’exil. Pour une raison mystérieuse, chacun des amoureux fuit de son côté. Elle court se réfugier auprès d’un moine dans une grotte, tandis que lui part à la guerre où il se lie d’amitié avec le frère de Leonora. Lequel poursuit un seul but dans l’existence : venger son père. Evidemment Carlo, le frère, comprend que son ami n’est autre que le traître et le pourchasse. Tout ce petit monde se retrouve dans le même couvent pour un dénouement aussi sanglant que mélodramatique.
Au milieu de tout ce pathos, des épisodes légers voire comiques parsèment la tragédie comme pour en accentuer par contraste l’aspect dramatique. Deux personnages, la gitane Preziosilla et le moine Melitone viennent proposer des respirations plus burlesques dignes d’Offenbach. Personnage pivot de l’intrigue, le Padre Guardiano incarne la sagesse et l’humanité.
Une distribution de qualité
La soprano mexicaine Yunuet Laguna incarne à la perfection une Léonora tragique et puissante. La voix est parfaitement placée, les aigus sont largement timbrés avec des piani envoûtants, n’enlevant rien aux graves dignes d’une mezzo. Elle incarne son personnage et rend sa douleur crédible, faisant oublier les bizarreries du livret. Face à elle, le ténor franco-tunisien Amadi Lagha a plus de mal à entrer dans l’intrigue et à incarner la fougue d’Alvaro. Le premier acte n’est pas convaincant, la voix est un brin nasalisée et il a du mal à trouver de l’ampleur. La suite viendra démentir cette première impression : les deux derniers actes vont lui donner de belles occasions plus lyriques.
On l’avait appréciée dans la Vie Parisienne en 2023 : la mezzo soprano corse Eléonore Pancrazi campe une Preziosilla pétillante et provocante sans jamais tomber dans une vulgarité caricaturale. Son rôle est redoutable mais elle ne succombe à aucun piège technique, abordant la partition avec une facilité et une brillance remarquables. Une des bonnes surprises de la soirée.
La basse arménienne Vazgen Ghazaryan, familière de Verdi, constitue la deuxième heureuse surprise. Son incarnation du Padre Guardiani est un modèle de technicité et de profondeur. Il donne au personnage toute la noblesse et la bonté incarnant ainsi l’universalité du message. Enfin, Stephano Meo est un Carlo qui manque de présence dans la première partie mais se trouve renforcé par la dramaturgie des actes suivants.
Mention spéciale aux chœurs de Montpellier et Toulon qui occupent l’espace visuel et sonore avec beaucoup de professionnalisme. Un opéra très applaudi dans un Corum quasi complet.
Dernière représentation au Corum le 27 septembre, puis au Zénith de Toulon, les 18 et 20 octobre.
Photos Marc Ginot