Cinemed : une édition sur fond de tensions géopolitiques

Aucune comédie cette année : la 46ème édition de Cinemed, chambre d’écho des tensions du monde méditerranéen, a été empreinte d’une gravité particulière. L’absence de longs métrages israéliens dans la compétition, et l’Antigone d’or à un film palestinien, a suscité des commentaires. Christophe Leparc, son directeur, invoque des raisons purement artistiques : « ce n’est pas un boycott. Le festival n’a pas à prendre position ».

Pour cet article, LOKKO a invité Magmaa

Sur le temps long, Cinemed fait figure de monolithe ancré dans le paysage culturel, sorte de vigie observant l’état du monde. Pour sa 46ème édition, le festival programmant du cinéma de Méditerranée, cette mer en « fuseau étroit, allongé de Gibraltar jusqu’à l’isthme de Suez et à la mer Rouge » (Braudel), a présenté une sélection de long métrages en compétition assez homogène. Portés par des thématiques essentiellement sociétales et géopolitiques, dans un formalisme plutôt dramatique, les films de 2024 se sont singularisés par leur gravité.

Auréolé du prix de la critique, Panopticon (ci-dessus) de George Sikharulidze, a été reçu comme un choc esthétique, abordant, par le prisme d’un anti-héros étouffant dans une Géorgie réprimée par l’orthodoxie, les mécanismes des déviances sexuelles. Doublement primé, par le prix du Public et le prix du jeune public, La vierge à l’Enfant de Binevsa Berivan (dessous), a eu le grand mérite de montrer, par une écriture subtile, qu’une femme victime de viol n’était pas nécessairement une créature frêle, une victime idéale, mais pouvait être une combattante kurde survivant avec panache, détermination et désir de vengeance. Doublement récompensé, par le Prix étudiant de la première œuvre et l’Antigone d’Or, To a land unknown de Mahdi Fleifel, montrant le parcours semé d’embuches de deux cousins palestiniens devenus clandestins à Athènes après avoir fui un camp d’internement au Liban, a profondément ému les jurés.

Le millésime 2024 aura eu la particularité de concentrer sujets d’actualité et transcendance du 7ème art, de la place des femmes luttant contre l’archaïsme d’un asservissement (Aïcha de Mehdi Barsaoui ou Hayat de Zeki Demirkubuz traitaient aussi ces thématiques) à la situation de conflit armé au Moyen Orient entre Israël et l’état palestinien.

« Ce n’est pas un boycott d’Israël »

Aucune comédie en compétition cette année. Ni de long métrage israélien, dont l’absence a été commentée dans les rangs de la presse. Le journal Le Monde, notamment : « Six films palestiniens, quatre libanais, un israélien. Décompte qui interpelle ». Sauf que le temps du verbe haut et des scènes de sketch d’un Tel Aviv on Fire, réalisé en 2018 par Sameh Zoabi (réalisateur palestinien de nationalité israélienne), est révolu six années plus tard, à l’heure de l’escalade des tensions israélo-palestiniennes. Interrogé au sujet d’un boycott de la production israélienne, Christophe Leparc, directeur de Cinemed depuis 10 ans, détaille les véritables raisons qui ont motivé sa décision : « Ce n’est pas du tout un boycott. Il y a deux ans, il n’y en avait pas non plus. Je trouve ça même un peu insultant, car j’ai répété, que le cinéma israélien en ce moment, n’était pas au mieux de sa forme. Il faut que les films présentés fassent œuvre de cinéma, prennent un certain recul sur l’actualité car le cinéma a du mal à être pertinent dans l’immédiateté. En 2023, j’avais programmé et adoré Le Déserteur de Dani Rosenberg, mais je n’ai pas choisi Of Dogs and men car il ne m’a pas convaincu. Quant au film d’Amos Gitaï (ndlr : « Pourquoi la Guerre », un essai filmique, adapté de lettres entre Albert Einstein et Sigmund Freud), il était impossible de l’avoir en compétition car la date de sortie était trop proche ».

Attaché à laisser le temps et la place aux cinéastes reçus, Christophe Leparc rejette fermement toute velléité de prise de position, soucieux de ne pas réduire les cinéastes à leur nationalité. Même si Rehab Nazzal (photo), réalisatrice du court métrage Vibrations from Gaza, a appelé au boycott d’Israël dans son message vidéo de remerciement pour la réception de son prix, le directeur de Cinemed est ferme : « Le festival n’a pas à prendre position. Elle a le droit de penser ce qu’elle veut. Je ne vais pas museler le message d’une réalisatrice qui nous l’envoie de Bethléem. Je ne peux que laisser la parole aux cinéastes, car je ne peux pas me permettre de me mettre à leur place. Je ne vis pas ce qu’ils vivent, je ne suis pas légitime pour ça ».

« Tout le monde peut prendre position avec son libre arbitre, poursuit-il. Moi, mon rôle est de leur donner une voix et de faire en sorte qu’ils rencontrent des financeurs européens. Il est important que les réalisateurs venant de pays en conflit, trouvent des solutions sur la rive nord méditerranéenne afin de financer leur travail en toute indépendance ».

Cette volonté qui constitue un aspect important du travail de fond fourni par Cinemed, a engendré lors de cette 46ème édition, plus de 350 rendez-vous professionnels. Au sein de ceux-là, la 10èmeédition du programme intitulé Du court au Long, a doté d’une résidence d’écriture au LabMed offerte par Meditalents, la réalisatrice israélienne Amit Vaknin pour son projet On the Sidelines. De quoi équilibrer la représentation des points de vue sur un Proche Orient en guerre, dont les cris résonnent jusqu’à Montpellier.

 

En photo, à la UNE, le film lauréat de l’Antigone d’Or, « To a land unknown » de Mahdi Fleifel, et ci-dessus l’équipe du film sur la scène de l’opéra Berlioz lors de la cérémonie de clôture. Sortie le 12 mars 2025.

La liste des lauréats de cette 46ème édition ici.

Crédits photo @Cinemed.

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