Initialement prévue dans le projet de loi de finances, une baisse de 10 millions d’euros du soutien de l’Etat aux radios associatives, qui représente presque la moitié du budget des 750 radios associatives en France, a suscité un vif émoi. La mobilisation des équipes des radios et d’élus des territoires a permis de repousser la menace. Pour autant, l’horizon de ces médias d’enracinement local et de lien social n’est pas dégagé. Sous la pression du RN, le gouvernement est tenté de durcir ses critères d’attribution.
10 millions d’euros de coup de ciseau quand le gouvernement vise 60 milliards d’économie : le sujet est apparemment subalterne. Il s’est révélé hautement politique dans l’histoire à épisodes de ces dernières semaines. Un événement politique en 4 temps.
La perte de 40% de leurs ressources
10 octobre. Le projet de loi de finances annoncé par la ministre de la culture, Rachida Dati, comporte une réduction du fonds de soutien à l’expression radiophonique (FSER) de 35,7 millions d’euros en 2024 à 25,3 millions d’euros en 2025. Soit une baisse de 29 % des crédits qui représentent, en moyenne, 40 % des ressources de 750 radios associatives en France.
13 octobre. L’association « Les Locales » qui, depuis février 2024, regroupe la Confédération Nationale des Radios Associatives (CNRA) et le Syndicat National des Radios Libres (SNRL), monte au créneau en demandant « Qui veut la mort des radios associatives ? » Même mobilisation au plan local. Les radios interpellent les élus, notamment les parlementaires, avec quatre arguments comme autant de dangers : menace sur la pérennité des radios associatives, recul du pluralisme et de la diversité médiatique, déficit d’expression publique pour nombre d’acteurs culturels qui n’ont pas accès aux grands médias, suppression de centaines d’emplois dans un secteur qui en compte environ 3 000.
Le maire de Montpellier en renfort
Le maire de Montpellier, Michaël Delafosse, a résumé ainsi l’enjeu : « Grande conquête de 1981, les radios associatives contribuent à la pluralité de l’information, à la diversité culturelle. Les asphyxier financièrement reviendrait à affaiblir nos libertés. Dans un contexte de concentration des médias, leur défense est indispensable. »
Les professionnels soulignent que le projet de Rachida Dati de réduire le budget du FSER est totalement contradictoire avec ses annonces, en juillet, à l’issue du « Printemps de la ruralité » qu’elle a lancé en janvier. Cet axe majeur de sa politique doit se traduire par une « nouvelle donne en faveur des territoires ruraux », avec un budget de 98 millions d’euros sur trois ans, pour favoriser le développement des actions culturelles, en valorisant les initiatives locales, en maillant le territoire en proximité et en favorisant l’accès à la culture. Soit exactement les actions que des centaines de radios associatives réalisent, quotidiennement, résolument.
A côté des grands réseaux publics ou privés, les radios associatives, indépendantes, vives et créatives, usent de la liberté que la Loi actuelle leur permet. Elles sont comme ingouvernables. S’attaquer à elles est donc un véritable choix politique, bien plus que budgétaire : l’économie de 10,4 millions d’euros ne représente que 4 % des crédits de la Mission médias, livres et industries culturelles.
« Pas un député, qui ne soit pas ému »
22 octobre. Devant la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale, Rachida Dati doit faire face à un feu nourri contre sa volonté de sabrer dans le budget du FSER. Télérama raconte : « Quasiment pas un député, quel que son bord politique, qui ne soit pas ému ou insurgé contre cette mesure. » On sait la ministre apte à saisir rapidement d’où vient le vent politique. « Dans certaines régions, elles constituent presque le seul accès à la culture, la seule expression culturelle et nous y sommes très attachés. » se ravise-t-elle. Elle dit s’être engagée auprès des représentants de ces radios à « trouver une solution de financement, avec le soutien des parlementaires. »
29 octobre. A l’Assemblée nationale, Laurent Saint-Martin, ministre du budget et des comptes publics, confirme que le gouvernement a fait machine arrière. Il affirme ne pas vouloir procéder à des « coupes aveugles » et argumente : « Les collectivités territoriales n’ont pas à prendre le relais de ces financements. Cela mettrait en danger des radios. Le gouvernement a entendu ce message et suivra la proposition faite de manière à remonter le montant des crédits à celui de l’année 2024, à savoir de plus de dix millions d’euros ».
Alors, soulagement dans les radios associatives et chez leurs auditrices et les auditeurs ? Oui. Mais avec l’idée que cet épisode n’est pas le dernier et que l’horizon des radios associatives est loin d’être complètement dégagé. Voici pourquoi.
Philippe Ballard, député RN : « Faire le tri »
L’incertitude sur l’avenir des radios associatives persiste pour des raisons politiques. Pour complaire aux membres de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, Rachida Dati n’a pas seulement lâché sur l’argent, elle s’est aussi montrée favorable à une proposition de Philippe Ballard, député RN de l’Oise, qui a déclaré : « Dans ce monde cohabitent des stations tout à fait honorables, mais aussi d’autres qui peuvent tenir à l’antenne des propos hors du champ républicain (ndlr : les radios cultuelles musulmanes seraient-elles visées ?). Il serait nécessaire de faire le tri et d’attribuer les subventions sur des critères plus solides. Quelques millions d’euros pourraient être ainsi économisés. » La ministre est allée illico dans le même sens : « Vous avez raison. Ces 750 radios ne sont pas toutes de même qualité et de même niveau et parfois de la même nécessité. Je suis assez favorable à ce qu’on mette des critères de contrôle. Là dessus, je vous suis. Il n’y a pas de difficultés. »
Alors, quel tri ? Selon quels critères ? ll y a de quoi s’inquiéter, parce que les radios associatives sont déjà contrôlées, doublement. L’ARCOM (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique), délivre, ou pas, les autorisations d’émettre. Elle attribue, ou pas, les fréquences. De son côté, avant de verser les subventions, le ministère de la culture contrôle l’application du FSER. Pour la « subvention d’exploitation » aux radios de catégorie A, c’est à dire « accomplissant une mission de communication sociale de proximité », en vérifiant que leurs ressources provenant de la publicité ou du parrainage représentent moins de 20 % de leur chiffre d’affaires. Ou, pour la « subvention sélective à l’action radiophonique » en s’assurant que leurs programmes donnent une bonne place à des « actions culturelles, éducatives, d’intégration, de lutte contre les discriminations, en faveur de l’environnement et du développement local ».
Défendre la liberté des ondes
Ces priorités formulent de choix politiques caractérisés, donc modifiables. Aussi constituent-elles une source d’inquiétude. On l’a vu : actuellement, les radios associatives sont loin d’avoir la bride sur le cou. Mais elle pourrait être très raccourcie si le Rassemblement national n’avait pas seulement de l’influence sur le gouvernement, comme aujourd’hui, mais prenait le pouvoir. Certes, un des piliers du RN, Bruno Bilde, député du Pas-de-Calais, a posé une question écrite à la ministre de la culture en attirant son attention sur « les conséquences préoccupantes de la réduction des aides allouées aux radios associatives » et en reprenant l’argumentaire des organisations professionnelles. Au delà de ce propos de circonstance, il est membre d’un parti qui ne distingue pas par sa défense de l’information conçue comme un bien public et est ainsi favorable à la privatisation de Radio France et de France Télévisions. Voilà qui incite à la vigilance.
L’affaire des projets de coupe dans le budget du FSER a fait une démonstration publique claire : l’importance, pour la démocratie et la vie locale, de médias de proximité, en radio, en presse écrite ou sur le net, enracinés dans leur territoire, proches de leur audience, affirmant et démontrant au mieux leur indépendance, nouant de multiples et fructueux liens avec leur public et portés par des équipes arcboutées dans la pérennisation de leur média.
Les auditeurs et les auditrices qui trouvent, dans la diversité et la qualité de l’offre des radios associatives, satisfaction de leurs centres d’intérêt et accomplissement de leurs passions, doivent être, en les soutenant, en période de tempête ou de calme, d’authentiques défenseurs de la liberté des ondes.
Bonne nouvelle pour ceux qui luttent pour la liberté d’expression et l’intelligence créative. Quant aux imposteurs, et il y en a, ils vont pouvoir continuer à se la jouer et à vivre de la rente.